Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Négociations du secteur public

Les négociations du Front commun

Les résultats étonnants d’une lutte qui ne veut pas mourir

Après de longs mois de préparation, des mobilisations dans tous les secteurs d’activités, dans toutes les régions et des négociations ardues, une entente est intervenue au grand plaisir des directions syndicales du Front commun satisfaites du résultat alors qu’une composante majeure de la CSN, la FSSS propose à ses 110 000 membres de rejeter cette entente. Pourquoi ce revirement inattendu ?

C’est du jamais vu

Chaque ronde de négociation porte son lot de bons et mauvais résultats. Celle-ci comporte toutefois une spécificité. Elle était axée sur la reconnaissance salariale des employés de l’État. Les demandes concernant les conditions de travail avaient été quasi délaissées au profit de substantielles hausses de salaire pour les 3 prochaines années, 13,5 %. La relativité salariale n’était pas inscrite à l’ordre du jour de la table centrale de négociation alors que la retraite ne faisait pas l’objet de demandes spécifiques.

Il est connu que les syndicats les plus combatifs résistent à souscrire à une entente jugée insatisfaisante, mais qu’une fédération aussi importante que la FSSS composée de plus de la moitié des syndiqués CSN au sein du Front commun en propose le rejet et demande à ses membres 10 jours additionnels de grève, c’est de l’inédit.

De quoi est faite l’entente de la table centrale de négociation :

Le règlement salarial sur 5 ans en terme réels est de 5,25 % soit 1,5 % en 2016, 1,75 % en 2017 et 2 % en 2018. Il n’y a pas d’augmentation salariale intégrée à l’échelle de traitement pour les deux autres années, mais plutôt un montant forfaitaire équivalent à un bonus de 500 $ en 2015 et de 250 $ en 2019, si vous êtes au travail à ce moment-là. Il n’y a pas de protection du coût de la vie ni d’enrichissement, deux exigences de départ de cette négociation. Cette appréciation diffère de celle des directions syndicales qui affirment que les augmentations seront d’environ 10 %, les montants forfaitaires et la relativité salariale étant ajoutés au 5,25 % consenti par le Conseil du Trésor.

La relativité salariale de 2,4 % en moyenne (1) que le gouvernement veut donner à compter d’avril 2019 à ses employés n’est pas la reconnaissance réelle pour toutes et tous de la valeur de leur emploi, mais une reconnaissance partielle de l’iniquité salariale de diverses catégories d’emploi sous-payées. Ainsi ce règlement profite en partie aux profs de cégep ainsi qu’à quelques groupes d’employés peu nombreux dans leur catégorie d’emploi (ouvriers du bâtiment, psychologues...), mais dessert notamment les professionnels de commissions scolaires et de cégeps.

Bien qu’il n’existe aucun délai pour conclure les travaux de l’exercice de relativités salariales(2), de dire la CSQ, les mandats de cette centrale étaient en 2011 « de ne pas accepter une baisse ou un gel de salaire, et ce, pour aucun corps d’emploi. »(3) Il est en ce sens légitime de questionner l’abandon des plaintes en équité salariale consenti par la FIQ (4) et repris par le Front commun pour en arriver à un règlement avec le Conseil du Trésor.
Quant à la retraite, le Front commun avait le choix de ne déposer aucune demande quant au régime de retraite.(5) Le régime est en santé et ne posait pas de problèmes. Toutefois, le résultat final est une nette régression qui se traduit par une augmentation de l’âge de la retraite de 60 à 61 ans et pénalise celles et ceux qui doivent quitter avant 61 ans en augmentant la pénalité actuarielle de 4 % à 6 %.

Cette problématique d’accès à la retraite a cours en Europe depuis plusieurs années. Poussé par cette vague, le gouvernement Harper avait décidé unilatéralement de repousser de 65 ans à 67 ans, progressivement de 2023 à 2029 (6) , l’accès à la Pension de vieillesse et au Régime de supplément de revenu garanti. Le gouvernement Trudeau (7) doit abroger cette décision et ramener à 65 ans l’accès à la Pension de vieillesse.

Dans cette foulée, l’effet de repousser à 61 ans l’âge d’accès sans pénalité à la retraite ne se répercutera pas seulement sur les membres du Front commun, mais sur l’ensemble des travailleuses et des travailleurs. Le gouvernement Couillard s’appuyant sur les décisions fédérales veut depuis 2014 repousser l’âge d’accès au Régime des rentes du Québec. Le projet d’entente du Front commun sur cette question lui ouvre la porte pour le faire.

Qui sont les gagnants, qui sont les perdants ?

Les gagnants annoncés sont les salariés enseignants de Cégep de plus de 10 ans d’expérience, les psychologues et les ouvriers de métiers. Ces derniers verront leur salaire s’apparenter à ceux reconnus par la Commission de la construction du Québec (CCQ). Ces gains spécifiques sont dus au règlement de relativité salariale qui leur sera appliqué à compter d’avril 2019. Les sommes combinées peuvent représenter une hausse au-delà de 10 % sur 5 ans de leur salaire.

Les autres salariés des services publics et parapublics auront pour la plupart 7, 65 % et quelques-uns, un peu moins. Les membres du secteur santé de la CSN semblent être de ce nombre : « Les délégués de la FSSS-CSN jugent qu’il est nécessaire de poursuivre la négociation sur cette voie, notamment afin d’œuvrer à un meilleur partage de la richesse au Québec ». (8)

Résister, une solution raisonnable ?

L’analyse des résultats de cette ronde est l’élément central qui incite les membres des syndicats à accepter ou rejeter cette entente de principe. La durée de la convention de 5 ans fait mal. Les conditions de travail acceptées signeront alors une paix sociale sur ce front jusqu’en 2019 et elles ne semblent pas sur le point de s’améliorer.

Les coupes budgétaires qui ont cours dans les services publics depuis 2003 ont été accentuées depuis 2014. Les contraintes financières imposées aux commissions scolaires, aux cégeps et dans le réseau de la santé ont mis à mal les services rendus aux usagers. De ce côté il n’y a pas d’embelli à l’horizon. Ainsi, en 2015 « en santé, les dépenses ont augmenté de 2,4 %, sur une prévision de les augmenter de 1,4 %. Le dépassement de 400 millions de paiements versés aux médecins laisse entrevoir de nouvelles coupures... »(9) Seul le réseau des commissions scolaires peut espérer un réinvestissement de 80 millions $, mais sans savoir où il sera versé, car il n’est pas inséré à la convention collective convenue entre les parties FSE-CSQ et Conseil du Trésor.

La FSSS-CSN fait preuve d’une grande détermination en osant remettre en question une entente de principe convenue par la table centrale du Front commun. Cette résistance interpelle les bases d’unité du Front commun et la solidarité établie entre les diverses composantes de ce regroupement. Les informations de la FSSS-CSN indiquant que la moitié de ses salariés gagnent moins de 30 000 $ par an et que 40 % d’entre eux sont des précaires (10) laissent à penser qu’ils sont les laissés pour compte de cette négociation.

Dans cette aventure ils ne sont pas seuls à résister. La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) forte de ses 34 000 membres poursuit la négociation. Tout comme la FSSS-CSN, elle veut un règlement satisfaisant qui améliore les conditions de vie et de travail de ses membres et demande, de plus, un réinvestissement en éducation pour assurer les services requis aux élèves, victimes des mesures d’austérité du gouvernement Couillard.

D’aucuns diront que le fruit est mûr, il faut le cueillir. D’autres oseront défier l’inconnu et chercher une brèche qui permette de bonifier ce qui est sur la table. Nous ne saurions que les encourager à oser cette approche. L’austérité qui sévit et se maintiendra menace la survie des services publics. Le gouvernement Couillard ne s’en cache pas, il cherche non pas à améliorer les services publics et les programmes sociaux, mais à favoriser la tarification de ces services, à diminuer les impôts et à pressurer les salariés à son emploi qui peinent à répondre aux besoins des usagers.

Même si des gains ne sont pas assurés, la résistance qui a cours indique au gouvernement que le règlement ne passe pas comme lettre la poste. Le gouvernement a la marge de manœuvre financière pour bonifier ce qui est sur la table, Bombardier et les médecins peuvent en témoigner. Il est juste de le sommer d’ouvrir les goussets de sa bourse. Le front commun lui aussi sera transformé de cette résistance. Une nouvelle avenue du syndicalisme est à se dessiner.
Vivement que ce renouveau syndical advienne !

Ghislaine Raymond
Politologue
Ex-membre FSE-CSQ

1 CSN, INFO-NÉGO ENTRE NOS MAINS NO. 5 LE POINT SUR LES RELATIVITÉS SALARIALES 2015/12/21
http://entrenosmains.org/project/info-nego-entre-nos-mains-no-5-le-point-sur-les-relativises-salariales/
2 CSQ, Relativités salariales - Foire aux questions
http://www.lacsq.org/equite-salariale/relativites-salariales-foire-aux-questions/
3 Ibid.
4 Tommy Chouinard, « Équité salariale : une hausse de 5% pour les infirmières en 2018 », La Presse, 2016/01/15
http://www.lapresse.ca/actualites/sante/201601/14/01-4940049-equite-salariale-une-hausse-de-5-pour-les-infirmieres-en-2018.php
5 Front commun 2015, LE RREGOP, UN RÉGIME EN SANTÉ. POURQUOI VOULOIR LE MUTILER ? http://frontcommun.org/materiel/outils-dinformation-sur-la-retraite/
6 Canada, Foire aux questions de la Sécurité de la vieillesse
https://srv111.services.gc.ca/sv/foire#Q1
7 Élections Canada 2015 Parti libéral : la retraite à 65 ans et un supplément de revenu indexé différemment
http://ici.radio-canada.ca/sujet/elections-canada-2015/2015/09/14/001-parti-liberal-aines-retraite-supplement-revenu-srg-justin-trudeau.shtml
FSSS-CSN, La négociation en santé et services sociaux n’est pas terminée, 2015/12/23
8 http://www.fsss.qc.ca/la-negociation-en-sante-et-services-sociaux-nest-pas-terminee/#more-9140
9 Régis Caron, « Pas de surplus faramineux, prévient Leitao », Journal de Québec, 2015/11/19
http://www.journaldequebec.com/2015/11/19/pas-de-surplus-faramineux-previent-leitao
10 CSN, Le site frontcommun.org est lancé, 2014/06/20
http://www.csn.qc.ca/web/csn/communique/-/ap/comm2014-06-20b?p_p_state=maximized#.VpwJBlIWE7C

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