Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Les gestionnaires d’un fond pro-israélien investissent 500 millions dans une entreprise de fabrication d’armes en Israël. Les investisseurs militants demandent des réponses

La banque canadienne Scotia détient la plus grande part des fonds étrangers dans Elbit Systems, dont les produits sont reliés à des abus des droits (humains).

Murtaza Hussain, The Intercept, 6 avril 2023
Traduction, Alexandra Cyr

La banque canadienne qui détient le plus de parts dans une entreprise israélienne d’armes, est sous la loupe des groupes de défense des droits humains.

Selon l’agence Bloomberg, l’automne dernier, la banque Scotia, une des plus grandes banques du Canada, était devenue un investisseur majeur dans Elbit Systems, première entreprise sous contrat avec le ministère de la défense israélien. Jeudi, lors d’une réunion des actionnaires, un représentant du groupe Eko qui surveille les investissements en rapport avec les règles éthiques, a présenté une pétition de 12,000 signatures appelant au retrait de l’investissement de la banque Scotia.

Angus Wong, cadre dirigeant des campagnes dans le groupe Eko autrefois connu sous le nom de Sum0fUs, a présenté la pétition : « Depuis octobre, où nous avons commencé à faire circuler la pétition, nous avons demandé à la banque Scotia de se retirer du financement de Elbit Systems. C’est un fabriquant d’armes qui ont causé un nombre incalculable de morts civiles. Il ne s’agit pas de savoir pourquoi elle détient ces actions c’est de savoir pourquoi elle est l’investisseur étranger le plus important. Nous exigeons de savoir pourquoi elle investit des centaines de milliers de dollars de l’argent de familles de classe moyenne dans cette compagnie ».

M. Wong a informé The Inercept que le représentant de la banque à la réunion n’a rien répondu aux questions sur Elbit et les droits humains et n’a pas parlé des investissements importants de la banque (dans cette entreprise). À la réunion des actionnaires de la banque, un représentant a déclaré que les investissements sont toujours faits « dans les intérêts des actionnaires ».

Cet investissement de 500 millions de la Scotia éclipse ceux de ses compétiteurs canadiens, la banque TD et la Royale. Elles détiennent à elles deux environ 3 millions d’actions dans cette entreprise.

Selon Adriana DiSilverstro, une chercheuse et consultante en fiabilité des entreprises, «  il est inhabituel qu’une grande banque de ce type investisse dans Elbit Systems. Il est aussi inhabituel qu’un gestionnaire de fonds aussi important détienne un pourcentage aussi grand d’actions dans une compagnie à moins qu’il ait un intérêt stratégique quelconque ».

Cet investissement de la Scotia s’est fait grâce à un outil de gestion appelé « 1832 Asset Management », dans une subdivision particulière, connue sous le nom de Dynamic Funds. Plusieurs de ces fonds sont gérés par David Fingold leur directeur. (La banque a décliné notre demande de commentaire et D. Fingold n’a pas répondu non plus).

D. Fingold est un investisseur controversé dans les entreprises israéliennes. Selon un récent rapport, ces fonds détiendrait 2% des parts de la Banque Mizrahi-Tefahot, une entreprise qui figure sur la liste des Nations Unies des entreprises profitant des colonies israéliennes, ainsi que 8% du groupe Strauss, un conglomérat copropriétaire de Sabra et qui a été critiqué dans le passé pour avoir soutenu publiquement l’armée israélienne. Les fonds gérés par M. Fingold et investis dans ces compagnies, sont tous issus de « 1832 Asset Managements ».

Les investissements de David Fingold en Israël

Il n’est pas du tout possible de relier les investissements de D. Fingold dans des compagnies comme Elbit à une idéologie particulière. Mais, ses interventions sur ses réseaux sociaux sont lourdement marqués par des liens avec des influenceurs.euses partisans.es d’Israël ainsi que des sites en ce sens. Plusieurs de ses parutions partagent des contenus du ministère israélien des affaires étrangères, de personnages pro-Israéliens comme Hananya Naftali ( important influenceur pro-israélien) dont certains présentent les Palestiniens.nes comme des partisans.es du terrorisme et du nazisme.

Fin 2021, D. Fingold a aussi partagé sur Twitter un article qui traitait l’entreprise Ben and Jerry et son conseil d’administration « d’antisémites de l’année ». C’était une réponse à la compagnie qui avait annoncé qu’elle ne vendrait plus ses produits dans les colonies. (Après la demande de commentaires à M. Fingold par The Intercept, il a rendu son compte Twitter privé).

Suite à l’annonce de Ben and Jerry, 1832 Asset Management a retiré ses investissements de la compagnie mère de cette marque, soit Unilever. Après la prise de position de Ben and Jerry sur le conflit (israélo-palestinien), elle a été la cible répétée de mouvements de désinvestissements aux États-Unis en 2021.

Les documents publics montraient que 1832 Asset Management détenait 700,000 parts dans Unilever au 31 mars 2021. C’était une position forte mais ces parts ont été vendues graduellement jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus du tout en septembre 2021. Mais les sources publiques actuelles font état d’une position moindre de 67,000 parts environ récemment. Rien dans cette situation ne permet de dire si c’est Dynamic Funds qui a procédé aux ventes.

Dans une entrevue dans un média financier israélien, M. Fingold expliquait que ses investissements en Israël dépassaient l’index mondial MSCI qui sert de guide aux fonds mutuels pour la distribution de leurs investissements dans diverses économies. Certains fonds suivaient l’index mais Dynamic ne le faisait a dit M. Fingold.

Au cours d’une autre entrevue, M. Fingold a déclaré : « Nous sommes en Israël depuis aussi tôt que 2002. Nous avons investi ici depuis longtemps. La plupart des firmes ne peuvent investir au-delà du poids d’Israël dans l’indice MSCI, mais nous n’en tenons pas compte et c’est ainsi que le pays détient une plus grande partie de nos investissements que son rapport aux indices ».

Des investissements socialement irresponsables

Alors que les investissements socialement responsables sont devenus un incitatif de marketing pour les institutions financières, ça n’a pas vraiment affecté les bilans des plus grandes entreprises.

La banque Scotia fait la promotion de ses « quatre piliers pour des activités bancaires responsables » et enrichit ses listes d’indices d’investissements socialement responsables. Elle vente aussi ses « alliances » avec diverses communautés marginalisées dans ses outils de promotion et a identifié « le développement des droits humains » comme le socle environnemental, social de ses objectifs de gouvernance dans ses décisions de placements.

Ce langage édulcoré ne l’a pas empêché de détenir une part dominante chez un manufacturier d’armements accusé de permettre de terribles abus aux droits humains.

Elbit Systems est sous examen minutieux de la part de militants.es depuis des années à cause de son implication dans l’armée israélienne qui opère dans les territoires occupés. Elle est championne du développement de drones pour l’armée israélienne ainsi que de systèmes d’armement, de munitions et d’appareils de surveillance.

Ses drones ont servi à poursuivre des attaques qui ont tué des civils.es. En 2014, à Gaza, une attaque (israélienne) a tué quatre enfants qui jouaient sur la plage. Un rapport a fait état qu’elle avait été effectuée avec l’aide des drones de surveillance de Elbit.

Des militants.es ont aussi accusé Elbit de vendre ses technologies de surveillance à des régimes comme celui de l’Éthiopie qui les a déployés largement pour cibler des dissidents.es, des journalistes sur son sol ou à l’extérieur.

Plusieurs grandes banques européennes et fonds de pension ont retiré leurs investissements dans Elbit au cours de la dernière décennie à cause de son rôle dans les territoires occupés. La compagnie a aussi été mise à mal parce qu’on la soupçonne d’être impliquée dans la fabrication de roquettes à sous munitions qui causent des blessures aux civils dans les zones de guerre.

Le printemps dernier, le fonds souverain australien a retiré ses investissements dans la compagnie à cause de ces allégations de fabrication de roquettes à sous munitions. La Suède et la Norvège ont fait de même avec leurs fonds gouvernementaux. La banque HSBC, basée à Londre, s’est aussi retirée, préoccupée qu’elle était d’atteintes aux droits humains.

Alors que la sécurité se détériore sans cesse dans les territoires occupés, Elbit demeure sujette à des examens éthiques par ses possibles investisseurs.

La pétition qui a circulé durant la rencontre des actionnaires de la banque Scotia n’est que le dernier geste dans une campagne grandissante contre les institutions financières occidentales qui investissent dans cette compagnie.

Les militants.es des droits humains déclarent que les décisions d’investissements sont uniquement basées sur les facteurs de rendements. La plupart ne tiennent aucun compte des considérations éthiques en la matière.

Ward Warmerdam, un économiste chercheur du groupe de recherche en éthique d’investissement Profundo basé aux Pays bas, explique : « Il s’agit d’une fabrique d’armement. La situation en Israël fait qu’investir dans Elbit Systems peut être profitable. Mais les consommateurs.rices devraient s’inquiéter de ce que les fonds dans lesquels ils et elles ont investi soient dirigés vers une entreprise qui profite de l’occupation des territoires palestiniens ».

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