Comme outils pour combattre l’épidémie, les consignes sont la distanciation sociale, le lavage des mains et le confinement (« envoye à maison ! »). En cette fin de semaine de Pâques, il y aurait déjà plus de 100 000 décès dans le monde.[1] C’est extrêmement grave, même si le bilan est moins catastrophique que celui de la grippe espagnole qui a décimé la population mondiale en 1918 et 1919 !
Puisque le confinement m’oblige à demeurer chez moi comme un ermite, j’en profite pour faire une tâche crève-coeur : abattre mes arbres contaminés par l’agrile du frêne, une « bibitte » invasive également venue d’Asie. Lorsque j’ai bâti ma maison sur ma fermette en 1980, j’ai planté beaucoup d’arbres, dont 20 frênes. Durant toutes ces années, je les ai entretenus avec amour et ce, avant que l’on fasse la promotion des arbres comme moyen de séquestrer le gaz carbonique de l’atmosphère. Quelle ironie ! Être obligé d’abattre mes arbres malades alors qu’il faudrait en planter des milliards pour combattre les changements climatiques !!!
Tout en faisant brûler les branches contaminées de mes frênes, je ne peux m’empêcher de penser à une autre épidémie en arboriculture, celle de la maladie hollandaise de l’orme qui a presque anéanti ces géants qui étaient omniprésents dans nos paysages de la vallée du Saint-Laurent. Sur la ferme paternelle, les vaches ruminaient en se reposant à l’ombre de leurs feuillages. Maintenant, l’orme est presque une espèce menacée d’extinction ! Pourtant, envers et contre tous, j’ai réussi à en préserver cinq que je peux admirer depuis la fenêtre de mon salon et je les observe avec la fébrilité d’un hypocondriaque. Malheur au spécimen qui exhibera les symptômes de la maladie de l’orme : pour sauver les autres, je l’abattrai sans pitié !
Pour « aplanir » la courbe de la propagation de la Covid-19, ma tête comprend la nécessité des mesures draconiennes. Mais mon cœur trouve la pilule très amère : fermeture des écoles et de tous les commerces non essentiels, annulation des olympiques et de tous les évènements sportifs et culturels.[2] Désormais, plus de réunions de famille, plus de repas au restaurant, plus d’entraînement au gym ou à la piscine ni d’activités artistiques comme ma chère chorale. Pas question non plus de célébrer les rites millénaires dans l’église paroissiale en période pascale ! Une collègue de la chorale a perdu son conjoint dans l’unité de soins palliatifs ; comble d’impuissance, nous ne pouvons même pas la consoler en participant à tous ces gestes de sympathie qui ont pour objectif de réconforter les survivants d’un deuil.
Faire l’épicerie, c’est trop dangereux pour nous, les « p’tits vieux » ! Nous sommes honnis comme des « lépreux » qui pourraient contaminer les petits enfants. Donc pas de câlins et pas de gardiennage pour donner un répit à nos enfants, eux qui sont pris avec des ados désoeuvrés en manque d’école ! Pas question non plus de jaser avec un ami ou de lui serrer la main, ce sont des actes quasi criminels qui pourraient mettre la vie des autres en danger.
Pour combattre la Covid-19, on nous impose une « épidémie d’ennui ». L’homme est un être social ; tout geste social normal devient interdit, surtout pour nous, qui avons plus de 70 ans. Sauf siroter un verre de vin en regardant les nouvelles qui tournent en boucle sur LCN ou RDI, y a-t-il encore une activité intéressante que l’on peut faire sans se sentir coupable de mettre en danger la vie d’autrui ??? Dieu du ciel ! On nous impose une morale plus sévère et plus acariâtre que celle des puritains du 17e siècle ! Au moins, eux, pouvaient se sentir utiles en travaillant et en s’occupant de leurs petits enfants !
Oui, je sais ! Je sais ! Ça va bien aller ! C’est surtout pour le bien-être de nous, les plus de 70 ans, qu’on fait ça ![3] Le combat contre la Covid-19 implique un dilemme cornélien. Un des effets secondaires du remède nous impose une « épidémie d’ennui » qui nous place dans des limbes affectives ; les moyens virtuels sont un pâle reflet de véritables communications entre humains ! Et c’est encore plus malheureux pour ceux qui demeurent en résidences de retraite ou en CHSLD. Privés de la visite de leurs proches et de l’aide des bénévoles, ils tombent comme des mouches, faute de soins adéquats. À croire que la Covid-19 pratique l’eugénisme ! Et puis, notre économie mondialisée tombe en panne sèche, comme un dinosaure surdimensionné, inadapté à la réalité et n’ayant pas la résilience pour faire face à un virus invisible ! [4]
À 74 ans, je suis actif et en bonne santé. J’ai besoin de sentir que je suis un membre actif et utile de l’humanité ! Il est mortifiant que la lutte à la Covid-19 me place avant l’heure dans l’antichambre de la grande faucheuse ! Lorsqu’on s’empresse de faire mon épicerie parce que « c’est trop dangereux pour un p’tit vieux fragile comme moi », je grince des dents à l’instar de Don Diègue dans sa réplique célèbre :
Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
.... [5]
Ces mots de Don Diègue expriment la lamentation des « p’tit vieux », ces êtres fragiles et qui ne sont plus capables de faire œuvre utile...
Gérard Montpetit
La Présentation, Québec.
Le 13 avril 2020
1] https://www.ledevoir.com/monde/576843/plus-de-100-000-morts-du-coronavirus-dans-le-monde
5] Réplique de Don Diègue dans Le Cid de Pierre Corneille, Acte 1, scène 4
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