À cet égard, l’annonce conjointe surprise, à la mi-novembre, de l’intention des deux plus gros émetteurs mondiaux de CO2, les États-Unis et la Chine, de réduire leurs émissions de manière significative avec un objectif à long terme impulse une dynamique favorable à ces négociations. D’autant que cette annonce est survenue après celle de l’Europe qui veut réduire ses émissions de 40% en 2030 par rapport à celles de 1990. Le Canada de son côté a été pris les culottes baissées par l’annonce sino-étasunienne et n’a toujours aucun plan fédéral crédible de réduction des GES.
Équité et « juste part »
La grande nouveauté depuis l’an dernier réside dans les INDCs (Intended nationally determined contributions). Ce terme flou a fini par émerger de longues négociations et devrait normalement rallier tous les grands émetteurs à un prochain accord en 2015. Le projet d’accord traitera des questions relatives à la réduction des émissions, à l’adaptation, à la finance, à la technologie, à la transparence et au renforcement des capacités (capacity building). Lima est crucial car il faudra y définir précisément les engagements que les pays devront fournir dans leurs contributions nationales à rendre pour la fin mars.
Le casse-tête politique consistera à déterminer objectivement la part de responsabilité respective de chaque État dans les réductions de GES nécessaires pour empêcher « toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique », soit l’objectif de la CCNUCC.
Les États devront également s’entendre sur un système honnête et robuste de mesure, de reddition de comptes et de vérification dit MRV (Measuring, Reporting and Verification) pour s’assurer que les cibles de réduction de GES des États sont adéquates, équitables, et surtout, qu’elles sont bel et bien respectées et bonifiées dans le futur pour en arriver à la neutralité carbone dans la deuxième partie de ce siècle comme le recommande la science[i].
Sayonara Kyoto !
L’architecture de l’accord sera nouvelle. L’approche du haut vers le bas (top-down) qui caractérisait le Protocole de Kyoto où des cibles étaient imposées aux pays de l’Annexe 1 prend le bord. Après de longs blocages, c’est l’approche du bas vers le haut (bottom-up) qui semble faire consensus, car plus réaliste.
Malgré les risques associés à la décision de laisser les États décider de la teneur des réductions de GES envisagées par chaque partie, c’est probablement la meilleure manière de parvenir à un accord juste, équitable et global. D’ailleurs, de nombreuses ONG se penchent depuis longtemps sur des calculateurs d’équité[ii] et il serait judicieux d’inclure la société civile et des tierces parties indépendantes dans le suivi, la comptabilisation et l’évaluation des contributions nationales lorsqu’elles seront toutes compilées.
Cependant, une des difficultés sera le calendrier. Les États devront annoncer leur programme de réduction volontaire d’ici la fin du premier trimestre 2015. Le processus de révision des programmes et de traduction des textes se déroulera sous forte contrainte de temps avant l’échéance de la conférence de Paris fin 2015. Les États devront donc aussi s’entendre sur le processus de révision qui s’ensuivra et certainement consentir à rehausser davantage leurs ambitions afin d’arriver à Paris avec un projet d’accord robuste et audacieux, à la hauteur des enjeux.
Sonner le glas de l’ère fossile
Il faut constater que les décideurs politiques peinent à suivre le rythme imposé par les rapports scientifiques qui s’accumulent et qui laissent peu de place à l’interprétation. Pour éviter le pire des dégâts associés aux dérèglements climatiques, il faut rapidement décarboner l’économie mondiale. La rencontre de Lima sera donc cruciale dans la mesure où une feuille de route ou du moins des engagements clairs et ambitieux seront pris pour mettre en branle une véritable transition énergétique à long terme. L’urgence du moment exige de la communauté internationale qu’elle s’affranchisse graduellement, mais résolument, des énergies fossiles et embrasse pleinement les énergies renouvelables, tout en innovant dans sa manière de consommer l’énergie. Fixer un prix universel croissant au carbone est un moyen jugé efficace par la plupart des économistes pour accélérer la transition énergétique. Or il suffit aujourd’hui de comparer les subventions astronomiques accordées aux énergies fossiles à l’aide anémique apportée au développement des énergies vertes pour constater l’ampleur du défi qui se dresse devant les décideurs publics et les peuples.
Il faudra d’ailleurs surveiller attentivement le jeu des acteurs qui ont intérêt au statu quo : les pays producteurs d’énergie fossile ou les entreprises influentes de la production d’énergie fossile, seront tentées de poser des obstacles, d’une manière ou d’une autre, à la signature d’un accord international. Le Canada de Stephen Harper, terre d’élection de nombreux intérêts pétroliers, fait clairement partie de ceux qui préfèrent le statu quo. La Russie, qui agit en hors-la-loi international en Ukraine et qui a beaucoup à perdre au déclassement des énergies fossiles, peut-elle négocier en partageant véritablement l’objectif commun ? Et que dire de l’Arabie Saoudite ou du Venezuela ?
Fonds vert pour le climat : Un départ sur les chapeaux de roues
Après avoir été surpris par l’accord climatique conclu entre la Chine et les États-Unis, puis par l’annonce de Barack Obama de l’injection de trois milliards $ au Fonds vert pour le climat (FVC)[iii], le gouvernement du Canada a finalement admis du bout des lèvres qu’il allait contribuer à ce fonds important pour les pays vulnérables aux changements climatiques. La ministre de l’Environnement Leona Agglukkaq a annoncé la semaine dernière que le Canada débloquerait 300 millions $ pour financer des projets de réduction des GES dans les pays en développement (PED).
Le FVC a été officiellement mis sur pied lors de la conférence de Cancún en 2010. Après plus de trois ans de disputes sur le fonctionnement du fonds, celui-ci totalise aujourd’hui un peu moins de 10 milliards $. Cela demeure bien en-deçà de la cible de 15 milliards $ demandée par les PED d’ici la fin de l’année pour la phase initiale de capitalisation, mais l’espoir est permis. À ce jour, des pays riches comme l’Australie, l’Autriche, la Belgique et l’Irlande n’ont pas encore affiché leur intention de contribuer ou non au FVC.
À Copenhague en 2009, les États s’étaient engagés à mobiliser environ 30 milliards $ de 2010 à 2012, soit un blitz de financement accéléré (fast-start finance) dans le jargon climatique. D’ici 2020, c’est pas moins de 100 milliards $ par an en fonds publics et privés – des montants neufs et additionnels – qui ont été promis pour financer des projets liés à la réduction des GES et aux mesures d’adaptation dans des pays pauvres ou vulnérables (ex : reforestation, énergies vertes, etc.) afin de bâtir une confiance entre les différentes parties et de parvenir à un accord. Rappelons qu’un financement approprié est une condition essentielle pour que plusieurs PED acceptent d’apposer leur signature au bas de l’accord devant être signé à Paris l’an prochain.
La part du Canada : le strict minimum pour ne pas perdre la face
Le Canada est fier d’annoncer qu’il a bel et bien contribué à la hauteur de 400 millions de $ par an de 2010 à 2012 à cet effort de financement, mais des doutes subsistent sur la nature de ces sommes. Environ trois quarts des sommes allouées par le Canada constituaient des prêts aux pays aux prises avec les aléas climatiques[iv]. Ce sont donc des fonds qui reviennent au Trésor canadien sans apporter une aide durable aux pays bénéficiaires. Quoiqu’il en soit, l’annonce d’une contribution de 300 millions $ au FVC va dans le bon sens, mais les 60 PED qui en bénéficieront ont des besoins très variés qui ne cadrent pas nécessairement avec ceux des entreprises canadiennes. L’argent doit avant tout servir à la réduction des GES ainsi l’adaptation des populations cibles, pas au chiffre d’affaire des entreprises canadiennes ou à l’économie canadienne.
Si l’on compare les montants proposés par le Canada et les États-Unis à leur Produit intérieur brut respectif de 2013, on peut constater qu’ils sont proches - 1,64/10000e du PIB pour le Canada contre 1,79/10000e pour les États-Unis. Cependant, en proportion de leur PIB, ce sont des montants moitié moins généreux que ceux promis par la France et la Grande-Bretagne au Fonds vert pour le climat.
Le Québec à l’affût des opportunités de se distinguer du palier fédéral
Comme à l’habitude, le Québec enverra une délégation gouvernementale à Lima cette année. Si elle ne peut prendre part directement aux négociations, cette représentation provinciale dans une conférence internationale de haut niveau démontre néanmoins que les acteurs sub-étatiques jouent un rôle névralgique dans la lutte aux changements climatiques. La position canadienne est gênante pour tout le monde et le gouvernement du Québec doit tirer son épingle du jeu à Lima en continuant d’avancer les mérites de sa politique d’électrification des transports et du marché du carbone Québec-Californie par exemple. La présence conjointe de l’Ontario, du Québec et de la Californie au sommet laisse penser que l’Ontario pourrait saisir l’occasion pour annoncer qu’elle se joindra au marché carbone de la Western Climate Initiative avec le Québec et la Californie.
Ce serait une excellente occasion pour l’Ontario et le Québec de se dissocier de la mauvaise réputation accolée au Canada dans les enceintes environnementales comme la CCNUCC en révélant les initiatives porteuses des municipalités et entités fédérées. Alors que seuls les États peuvent participer aux discussions officielles, il serait grand temps de faire une plus grande place aux villes, MRC, provinces, citoyens, entreprises vertes, groupes de femmes et peuples autochtones pour dynamiser le mouvement climatique mondial et en refléter la pluralité.
À ce titre, le Québec doit partager son savoir-faire en énergies vertes et prendre la place qui lui revient à Lima dans la promotion d’une vision audacieuse du développement des énergies renouvelables de l’avenir. Au printemps 2015, le Québec accueillera un sommet sur les changements climatiques auquel sont invités les premiers ministres de chaque province et territoire canadiens. Il doit donc profiter des enjeux qui seront débattus à Lima pour continuer à se forger un rôle de leader dans la transition inévitable des ressources fossiles vers les énergies renouvelables.
Étapes d’une mutation historique
Bien d’autres enjeux seront à surveiller à Lima comme le financement de l’accord REDD +[v], signé à Varsovie l’an dernier, destiné à protéger les forêts – la déforestation est responsable de 20% des émissions mondiales – ou l’évolution du dispositif de compensation des pertes et dommages pour les populations les plus vulnérables, principe également agréé à Varsovie. Au minimum, la conférence de Lima servira de baromètre pour voir si les grands émetteurs peuvent s’entendre sur des réductions, constater si les pays riches seront en mesure de garantir la prévisibilité du financement lié au climat et devra dessiner le plan d’une architecture solide pour le futur accord.
Mais l’ampleur et la complexité des enjeux, l’importance des intérêts concernés, rendent ces négociations longues, difficiles, âprement débattues. Il est loin d’être sûr que le succès sera au rendez-vous de Lima et a fortiori de la conférence de Paris en 2015. Il n’en demeure pas moins que les 196 pays signataires de la CCNUCC ont partagé le diagnostic scientifique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Il faut déjà mesurer l’énormité du pas accompli. La science est formelle : il faut sortir de l’ère des énergies fossiles aussi vite que possible. Lima et Paris ne seront que des étapes sur un long fleuve, pas du tout tranquille, guidant l’humanité vers une nouvelle mutation historique.
Notes
[i] 5e Rapport du GIEC, http://www.ipcc.ch/home_languages_main_french.shtml
[ii] EcoEquity Reference Equity Calculator, http://gdrights.org/calculator/
[iii] Site Web du Fonds vert pour le climat, http://news.gcfund.org/
[iv] Blogue du Carrefour canadien pour la coopération internationale, http://www.ccic.ca/blog/fast-start-slow-finish-on-canadian-climate-finance/
[v] Institut international du développement durable, « Qu’est-ce que le REDD+ ? », https://www.iisd.org/climate/land_use/redd/about_fr.aspx