Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Missiles : quelle est la réalité de la menace nord-coréenne ?

Les dispositifs militaires et la péninsule coréenne

Vendredi 29 mars, le leader nord-coréen, Kim Jong-un, a ordonné des préparatifs en vue de frappes de missiles vers le continent américain et les bases des Etats-Unis dans le Pacifique. L’exécutif américain a indiqué prendre « au sérieux » les annonces de la Corée du Nord, tout en observant que les rodomontades de Pyongyang n’avaient rien d’inhabituelles.

Lundi 1er avril, c’est au tour de la Corée du Sud de promettre une « sévère riposte » en cas de « provocation » de la Corée du Nord, le ministre de la défense, Kim Kwan-jin, allant jusqu’à menacer le Nord de frappes préventives sur ses installations nucléaires et militaires.

Le point sur la menace balistique nord-coréenne et le dispositif défensif de la Corée du Sud et de ses alliés américains :

Quelle est la réalité de la menace nord-coréenne ?

Le 12 février, la Corée du Nord procédait à son troisième essai nucléaire, d’une puissance bien supérieure aux deux précédents (en 2006 et en 2009). Elle avait auparavant, le 12 décembre, réussi le lancement d’une fusée Unha-3 destinée, selon le régime, à mettre en orbite un satellite civil d’observation terrestre, mais qu’une partie de la communauté internationale considère comme un nouvel essai de missile balistique à longue portée. La fusée Unha-3 a, en effet,des caractéristiques très proches du Taepodong-2, missile balistique à longue portée dont le développement a été condamné par une résolution des Nations unies prise en 2006.

Pyongyang dispose d’un arsenal important de missiles à courte, moyenne et longue portées. On estime à environ six cent le nombre de missiles Hwasong-5 et 6 déployés, auxquels il faut ajouter un nombre substantiel, mais indéterminé, de missiles en réserve. Quant aux Nodong, ils seraient une centaine.

Néanmoins, le think tank Institut international pour les études stratégiques (IISS) de Londres estime que « l’utilité militaire de l’arsenal de missiles équipés d’armes conventionnelles serait très limitée, en raison de la très faible précision de ces engins ». Les missiles Hwasong-5 et 6 sont en effet peu précis : ils ont un CEP (Circular Error Probable), ou marge d’erreur, de respectivement 1 000 mètres et plus de 1 500 mètres, ce qui signifie que seuls 50 % des missiles envoyés contre une cible précise tomberont à moins de 1 000 mètres de ladite cible.

Pour les Nodong, le CEP est de plus de 2,5 kilomètres. Aussi, pour détruire un objectif, la charge conventionnelle qu’ils emportent est tout à fait insuffisante. Et il faudrait en envoyer une grande quantité pour saturer l’espace visé et le détruire. Mais l’effet recherché est-il bien celui-là ? L’IISS, notamment, estime que ces missiles armés de têtes conventionnelles, qui peuvent en théorie frapper les bases américaines en Corée du Sud ou au Japon, serviraient plutôt à terroriser la population des grandes villes coréennes ou japonaises.

S’agissant des missiles à longue portée, la Corée du Nord ne dispose pas d’un arsenal, celui-ci étant en cours de développement, et loin d’être au point.

Après le tir de l’Unha-3, l’analyse des débris et du combustible tombé en mer a conduit le ministère de la défense sud-coréen à déclarer que « le missile est capable de voler plus de 10 000 km, avec une charge comprise entre 500 et 600 kg ». Cette distance permettrait, en théorie, à un lanceur nord-coréen d’atteindre n’importe quel point en Asie, en Europe de l’Est, en Afrique de l’Ouest, en Alaska et sur une partie de la côte Ouest américaine.

Cependant, il faudra encore des années à la Corée du Nord avant de disposer d’un arsenal de missiles intercontinentaux. « Il y a un fossé énorme entre être en mesure de faire fonctionner un système une fois et avoir un système qui est suffisamment fiable pour être militairement utile », déclarait après le tir de l’Unha-3 Brian Weeden, ancien officier du centre de commandement spatial de l’US Air Force et conseiller technique de la Secure World Foundation, un think tank sur la politique spatiale.

Le programme de missiles à longue portée (supérieure à 5 500 kilomètres) a connu de nombreux échecs jusqu’au premier tir réussi de décembre, et la Corée du Nord ne disposerait pas encore de la technique pour fabriquer des ogives nucléaires miniaturisées. Dernier point, et non des moindres, il lui faudrait développer un système de guidage très précis qui lui fait encore défaut.

Quels systèmes antimissiles face aux missiles de Pyongyang ?

Au Japon. Tokyo a mis en place sa défense antimissile à deux niveaux. Quatre destroyers Aegis de la classe Kongo – auxquels s’ajoutent deux plus récents de la classe Atago – sont équipés de missiles SM-3 (Standard Missile-3), qui ont une capacité d’interception à haute altitude. La portée des missiles est de 1 000 km, et ils visent à intercepter des missiles à courte et moyenne portée – mais pas des missiles intercontinentaux (portée supérieure à 5 500 km), que ne possède pas encore la Corée du Nord. A cela s’adjoint une défense terrestre, avec seize systèmes de missiles PAC-3 (Patriot Advance Capability-3), qui servent à intercepter des missiles ennemis en phase terminale, c’est-à-dire lors de leur courte et rapide rentrée dans l’atmosphère. L’ensemble est coordonné par un système de commandement et de contrôle via un réseau de quatre radars FPS-5 et de sept radars modernisés FPS-3 et des moyens embarqués sur les destroyers Aegis (SPY-1D).

La capacité d’alerte est d’autant plus essentielle pour le système de défense antimissile japonais que les temps de vol entre les zones de tir nord-coréennes et le territoire japonais sont de l’ordre de 10 minutes, souligne une étude de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Malgré ces temps de réaction très courts, la FRS estime que le système est efficace contre ces missiles. Celui-ci, développé en coopération avec les Etats-Unis, ne cesse de se moderniser, comme le rapporte le site spécialisé Defense Industry Daily.

En Corée du Sud. Séoul a, elle, progressivement conduit un effort de modernisation de ses moyens de défense aérienne qui visent, entre autres capacités, à disposer d’une capacité anti-balistique couche basse autonome : la Korea’s Air and Missile Defense (KAMD). L’effort a débuté au milieu des années 1990 afin de remplacer, à l’horizon 2010, les systèmes de missiles Nike. La capacité antimissile disponible aujourd’hui comprend des moyens d’alerte, un système de commandement et de contrôle, ainsi que des intercepteurs adaptés à une menace constituée de missiles de courte et moyenne portées. Il s’agit essentiellement de 8 batteries de 48 lanceurs PAC-2.

Par ailleurs, la Corée du Sud possède également des destroyers Aegis. Dérivés des Arleigh Burke américains, ces navires sont capables de suivre 1 000 pistes et d’engager simultanément une vingtaine de cibles. Compte tenu des temps de réaction à des tirs de missiles nord-coréens (de l’ordre de quelques minutes), la Corée du Sud devrait compter avec les moyens américains en matière de défense antimissiles. La FRS souligne que : « Si l’ensemble des moyens était utilisé, [le système sud-coréen] permettrait d’engager une demi-douzaine de salves de missiles Scud-B et Scud-C, [de quoi] accroître la protection des agglomérations et des bases militaires de façon significative pendant deux ou trois jours (en supposant deux salves par jour). En revanche, utilisées seules, les capacités sud-coréennes permettraient au mieux de protéger les zones concernées contre une première salve. Il convient également de souligner que le taux de fuite des PAC-2 GEM face à des missiles balistiques est relativement élevé – vraisemblablement de l’ordre de 40 %. »

Aux Etats-Unis. Washington a annoncé, le 15 mars, le renforcement de sa défense antimissile en Alaska face aux « provocations » de Pyongyang. La Corée du Nord avait décrété peu auparavant l’abrogation de l’armistice qui a mis fin à la guerre de Corée, en 1953, menaçant Washington d’attaque nucléaire « préventive » et Séoul de « destruction finale », en représailles aux nouvelles sanctions internationales qui lui ont été imposées après son troisième essai nucléaire, en février.

Defense Industry Daily indique que quatorze nouveaux intercepteurs antimissiles de type SM3 basés à terre seront installés sur la base de Fort Greely, en Alaska, et sur celle de Vandenberg, en Californie, d’ici à 2017. « En pleine période de coupes budgétaires, cet investissement massif d’un milliard de dollars montre que Washington prend au sérieux les récents progrès de Pyongyang, en particulier le succès de sa fusée Unha-3, qui a parcouru plus de 10 000 km le 12 décembre dernier, mettant en orbite un satellite », soulignait récemment Le Figaro.

Les Etats-Unis ont aussi positionné près des côtes nord-coréennes un destroyer capable d’intercepter des missiles – un nouveau mouvement de Washington dans son bras de fer avec le régime communiste. Il s’agit de l’USS Fitzgerald, qui avait récemment navigué jusqu’en Corée du Sud pour y participer à des exercices militaires. Il a été envoyé au sud-ouest de la péninsule au lieu de rentrer vers son port d’attache, au Japon, a indiqué lundi 1er avril un responsable du Pentagone. Ce déploiement – une initiative « de prudence » – permet d’offrir « plus d’options en matière de défense antimissile si cela devenait nécessaire », a-t-il ajouté sous couvert d’anonymat.

* Paru sous le titre « Missiles : quelle est la réalité de la menace nord-coréenne ? » Le Monde.fr | 03.04.2013 à 08h09.

Edouard Pflimlin

Collaborateur, Le Monde (France)

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