Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

En réponse aux propositions de la Coalition sans parti

Les chemins obligés de la démocratisation des institutions politiques

L’atmosphère de corruption et de collusion dans lequel vit le Québec délégitime les institutions politiques. Les partis politiques qui sont les premières victimes du discrédit. Rien de surprenant que dans un tel contexte, une Coalition des Sans parti se manifeste sur la place publique. Elle vient de publier un manifeste dans lequel, elle expose sa stratégie de transformation des institutions démocratiques. Pour des militant-e-s qui dépensent leurs énergies à favoriser l’enracinement d’un parti politique, en l’occurrence Québec solidaire, un tel projet interroge. Voyons de quoi il en retourne.

Le projet de la Coalition sans parti

La Coalition des Sans parti affirme vouloir offrir une alternative aux partis conventionnels qui refuse de changer les règles du jeu démocratique alors qu’une réforme substantielle s’impose à l’heure où la démocratie est malmenée par les banques, les grandes entreprises et par les grands partis politiques qui sont au service de ces instituions économiques.

Nous vivons, affirment-ils, une crise de légitimité politique, nous devons placer la réforme démocratique au premier plan de nos préoccupations. Pour pouvoir intervenir, il ne faut plus compter sur les partis politiques institutionnalisés. C’est pourquoi la Coalition des sans parti présentera 125 candidatEs indépendants aux prochaines élections indépendamment de toutes allégeances politiques partisanes. Un gouvernement de cette coalition visera à obtenir le mandat de convoquer une assemblée constituante de citoyens qui se donnera comme mission d’opérer une réforme complète des institutions dans un délai de deux ans. Les membres de cette assemblée constituante seront désignés par un tirage au sort à partir d’une liste de volontaires constituées dans chaque région du Québec. La confection de ces listes devra tenir compte de critères de représentativité et d’admissibilité : langue, territoire, parité de sexe, présence de membres des communautés culturelles. La constitution issue de leurs travaux sera soumise pour ratification à un référendum. Le drapeau blanc est le signe de ralliement des Sans-parti. (Voir www.sansparti.org).

Un double glissement : réduire la crise de la légitimité politique à la crise des partis et essentiellement à la crise de la "forme parti".

Pour les initiateurs de la Coalition, la crise de la légitimité politique repose essentiellement sur les partis politiques. C’est rapetisser considérablement la portée de cette crise d’une part et c’est ignorer ses véritables fondements historiques d’autre part.

La crise de légitimité politique s’est particulièrement exacerbée depuis le début de l’ère néolibérale à la fin des années 70. L’oligarchie financière s’est lancée dans une offensive généralisée cotre la majorité populaire. Elle a commencé à remettre en cause les acquis sociaux arrachés de hautes luttes par différents mouvements sociaux. Elle a entrepris de démanteler l’État social, de privatiser les biens publics et de limiter les droits démocratiques. Pour justifier ses politiques, elle a lancé une vaste offensive idéologique

Concentration des pouvoirs dans l’exécutif de l’État, contrôle de l’information par les membres de l’oligarchie régnante, modes de scrutin antidémocratique, absence de contrôle des électeurs et des électrices sur la députation, passage continu des membres des élites économiques vers les fonctions politiques de haut niveau et inversement. C’est l’ensemble des structures actuelles de l’État et leur mode de fonctionnement qui désapproprient le peuple de tout pouvoir politique. Tant que l’oligarchie régnante pouvait fournir des concessions significatives à la majorité populaire, la démocratie représentative pouvait donner le change et convaincre le plus grand nombre du caractère démocratique de la société. À l’heure de l’offensive de privatisation, de restrictions des droits démocratiques, de concentration des richesses dans les sommets de la société avec l’aide de l’État, le jeu des classes dominantes se révèle de plus en plus clairement. Les sentiments dans la population que règne une corruption généralisée de la vie politique sont l’expression d’une crise de la domination politique de cette oligarchie.

Démocratiser l’État nécessitera des transformations sociales beaucoup plus importantes que la seule remise en question des partis.

La seule représentation de sans parti dans les institutions politiques n’est pas la garantie de la démocratie. En dehors des grandes villes, dans la majorité des municipalités du Québec, il n’y a pas de partis politiques à ce niveau. Pourtant, la corruption et la collusion y trouvent un terrain fertile. Mais ce n’est pas la « forme parti » qui est ici en cause. Le problème est plus profond.

Il est vrai que les partis politiques dominants sont les véhicules de l’oligarchie économique et les instruments de la construction d’une classe politique au service de cette dernière. C’est pourquoi les élections visent à reporter au pouvoir les privilégiéEs, les fortunéEs et les cultivéEs. Pourquoi la députation est-elle toujours composée par une majorité d’hommes d’affaires, d’avocats et d’autres membres des professions libérales et par si peu d’employéEs et de travailleurs et de travailleuses.

Pourquoi, malgré la généralisation de l’instruction des femmes, ces dernières restent-elles une minorité de la députation.? Pourquoi, les communautés ethnoculturelles, qui vivent le plus souvent la précarité et l’exclusion sont-elles marginalisées dans les différentes assemblées élues ? La réponse est simple. Les structures politiques sont taillées sur mesure pour parvenir à de tels résultats.

Et nous n’avons pas parlé des formes caricaturalement antidémocratiques que le système de monarchie constitutionnelle impose à notre vie politique :

 la concentration des pouvoirs dans les mains du premier ministre qui peut se moquer impunément de la volonté populaire comme le fait Jean Charest

 un système de scrutin uninominal à un tour qui permet que des gouvernements recevant une minorité de votes puissent former un gouvernement majoritaire ; un mode de scrutin qui permet que des minorités substantielles de l’électorat soient peu ou pas repré5sentées.

 possibilité pour l’argent d’être un facteur déterminant dans le choix des éluEs.

Et cela, c’est sans parler de la négation par l’État canadien de la souveraineté populaire du peuple Québec, de son droit à l’autodétermination

Pour démocratiser la vie politique, il faut que la majorité populaire puisse s’organiser pour défaire l’alliance organique entre les élites économiques et les élites politiques.

Un parti politique de gauche vise à créer les conditions institutionnelles permettant à la majorité populaire d’imposer ses solutions contre celles des élites. Les intérêts qu’il défend s’opposent objectivement aux partis des élites. Un parti de gauche doit chercher à tirer au clair les différentes alternatives soumises au verdict des urnes. Il doit organiser, sur le plan politique l’action collective des sans pouvoir de cette société.

Sur le terrain des réformes démocratiques, un parti doit confronter les représentantEs de l’oligarchie régnante. Toute une série de propositions peut concrétiser cette intention :

 reconnaître toutes les voies en instaurant un mode de scrutin proportionnel

 marginaliser le pouvoir de l’argent en instituant un mode de financement des partis politiques qui ne permettra pas aux plus riches d’imposer leurs choix et en plafonnant les dépenses électorales.

 limiter l’impact du contrôle des médias sur l’échéance électorale en uniformisant le temps d’accès aux médias sans égard à l’argent dont dispose un parti ou unE candidatE.

 introduire la parité hommes femmes dans les candidatures

 lutter contre la marginalisation des secteurs de la population en exigeant que les candidatures des partis soient formées de personnes issues des minorités culturelles ou des catégories sociales populaires

Mais il ne faut pas seulement modifier radicalement le cadre électoral, il est également nécessaire de changer radicalement les rapports entre les éluEs à leurs représentantEs. Il faut en finir avec la réduction de l’action politique au seul vote tous les quatre ans et avec la totale liberté des éluEs de faire ce qu’il veulent jusqu’aux prochaines élections. Changer ces rapports nécessitera :

 d’instaurer des mécanismes de contrôle des éluEs par leur électorat sur les mandats par le tenue d’assemblées régulières des députéES avec les personnes représentées.

 d’ instaurer un mécanisme de rappel des éluEs par l’électorat.

 d’interdire le passage de responsables politiques vers des postes dans le secteur privé source de collusion et de corruption

 de réduire la rémunération de la députation et des responsables politiques au niveau du salaire médian pour empêcher que leurs conditions d’existence soient identiques à ceux des élites, base matérielle d’une possible connivence

 d’interdire la multiplication des mandats (pas plus de deux) pour empêcher la consolidation d’une oligarchie politique et permettre ainsi une plus rapide circulation des responsabilités politiques...

 d’introduire la possibilité de référendum d’initiatives populaires.

Et ce ne sont là que quelques pistes qu’il faudra défricher pour parvenir à une démocratisation véritable de nos institutions politiques.

Ne mettons tous les partis dans le même sac et ouvrons un débat véritable ...

La Coalition des sans parti propose la mise sur pied d’une constituante. Québec solidaire également. La coalition veut assurer une démarche démocratique où la population pourra être agissante dans la détermination de la constitution. Québec solidaire également. Mais les militantEs de Québec solidaire ne croient pas que l’on pourra refonder les institutions politiques au Québec sans remettre en question la domination de l’oligarchie régnante et sans remettre en question la domination antidémocratique qu’Ottawa exerce sur le Québec en niant sa souveraineté populaire.

Mais pour ouvrir réellement le débat sur la démocratisation des institutions politiques, on ne peut se contenter de se contenter d’une simple remise en question de la forme parti et refuser de poser le problème dans toutes ses dimensions. Il n’y aura pas une démocratisation véritable sans une transformation sociale véritable.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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