Article tiré de NPA 9
La crise environnementale risque-t-elle de provoquer une apocalypse nucléaire ? On peut le soupçonner. Rien n’est certain, tant le déni est massif et la recherche inexistante. « Les liens entre les arsenaux nucléaires et les transformations environnementales en cours sont largement ignorés » aussi bien par la recherche que par les États, alertent Benoît Pelopidas, Thomas Fraise et Sterre van Buuren dans un article publié dans la revue Raison présente en juin dernier.
Les chercheurs au Ceri à Sciences Po dans le programme d’étude Nuclear Knowledges dénoncent ce « postulat d’indépendance réciproque ». Ils appellent à explorer ces relations d’urgence, alors que la menace climatique semble de plus en plus tangible — des mégafeux de forêt ont ainsi récemment menacé des sites nucléaires américain et russe.
Pour en arriver à ce constat, le trio a épluché toutes les études et les documents de planification militaire des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France et de la Russie — qui détiennent 93 % des arsenaux nucléaires mondiaux — parus entre 1990 et 2022. « On était persuadés que la question du risque environnemental était tellement importante que quelqu’un l’aurait posée et qu’il suffisait de faire une bonne revue de littérature pour y trouver une réponse satisfaisante », se souvient Benoît Pelopidas.
La récolte fut maigre : aucun article scientifique en trente-deux ans, et seulement une évocation des armes nucléaires dans le rapport Defence and Climate Change de la Chambre des communes britannique. « Les documents stratégiques étudiés ne mentionnent que rarement les transformations environnementales. Quand ils le font, c’est de manière périphérique et sans faire le lien avec les armes nucléaires », concluent les chercheurs dans leur article.
Pourtant, le secteur militaire est de plus en plus attentif au risque environnemental. « Depuis 2020, on constate une tendance à penser le lien entre le climat et la défense en général, note Sterre van Buuren. Les États-Unis, notamment, ont publié plusieurs documents assez détaillés sur le sujet. » En France, l’ex-ministre des Armées Florence Parly a de même approuvé en 2022 le projet de stratégie ministérielle Climat & Défense pour « préparer les forces armées au défi climatique » — mais le mot « nucléaire » n’y apparaît pas une seule fois. À l’inverse, en 2023, des députés du Rassemblement national ont présenté une proposition de loi visant à inscrire la possession d’armes nucléaires dans la Constitution, pour la protéger de « l’idéologie écologiste ».
Mégafeux, montée des eaux…
Pourtant, la menace se précise. En février, les activités de l’usine d’assemblage et de démontage d’armes nucléaires Pantex, au Texas,ont dû être interrompues suite à des feux de forêt autour des installations. Un tel événement s’était déjà produit en Russie à l’été 2020, durant lequel un canal de plusieurs kilomètres avait été creusé pour protéger le site de recherche sur les armes nucléaires de Sarov.
Outre les feux de forêt, d’autres phénomènes climatiques et environnementaux extrêmes, comme l’érosion des côtes, pourraient affecter les installations nucléaires militaires, estiment les chercheurs. Ils appellent ainsi à des recherches approfondies sur les risques encourus par la base navale de Fastlane, près de Glasgow en Écosse. « Dès 2001, William Barclay Walker et Malcolm Chalmers montraient dans leur livre “Uncharted Waters” que cette base était le seul endroit où le Royaume-Uni pouvait baser des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Si elle devenait inopérante, le Royaume-Uni deviendrait le seul État à devoir baser son arsenal nucléaire à l’étranger », rappelle Benoît Pelopidas.
Pour l’heure, le déni est massif, selon Sterre van Buuren : « Nous avons trouvé une évaluation de cette base. Le seul risque identifié, c’est un accroissement de la population de mouettes avec un impact sur le moral des personnels à cause du bruit », rapporte la chercheuse, incrédule. Aux États-Unis, la Fondation Carnegie pour la paix internationale s’est bien penchée sur le problème de la montée des eaux. Mais l’a minimisé et présenté comme un problème « que l’on peut résoudre en apportant beaucoup d’argent et de technologie aux structures existantes », regrette Benoît Pelopidas.
Il est d’autant plus important d’étudier la relation entre arsenal nucléaire et crise climatique que cette dernière est à double sens. « La production, le stockage et le démantèlement de systèmes d’armes nucléaires, y compris les vecteurs, ainsi que l’installation des infrastructures nécessaires, constituent des activités génératrices de gaz à effet de serre et de déchets hautement toxiques », rappellent les auteurs. Qui soulignent que cette filière représente aussi un coût important et risque de priver les États de ressources financières pour mener à bien leur transition énergétique.
Pour le trio, ce travail de recherche est crucial alors que la course à l’armement se poursuit. Les neuf États dotés de l’arme atomique dans le monde se partagent environ 12 500 têtes nucléaires. Depuis 2010, tous les États qui en sont dotés sont dans une dynamique de prolongation, voire d’augmentation de taille de leurs arsenaux. Fin août, The Guardian a révélé que les États-Unis se préparaient désormais à des attaques conjointes de la Chine — qui augmente actuellement la taille de son arsenal —, de la Russie et de la Corée du Nord. « C’est évidemment une mauvaise nouvelle, cela produit une justification pour une accélération du réarmement américain », observe Benoît Pelopidas.
En 2023, les États-Unis ont ainsi dépensé 51,5 milliards de dollars (environ 46 milliards d’euros) rien que pour l’acquisition de nouvelles armes. Malgré la crise climatique, « l’orgie nucléariste » qu’observe le chercheur de Sciences Po est loin d’être terminée.
Émilie Massemin 10 septembre 2024
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