Édition du 18 juin 2024

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Planète

Les Nations Unies préviennent : la bombe climatique se fait entendre, le temps est compté Le cyclone Freddy a tué 560 personnes au Malawi et au Mozambique

Nous poursuivons notre examen de l’urgence climatique en nous tournant vers l’Afrique du sud-ouest où la tempête tropicale Freddy a tué plus de 500 personnes au Malawi et au moins 66 au Mozambique.

Democracy Now, 21 mars 2023
Traduction, Alexandra Cyr

D.N. Amy Goodman : Plus d’un demi-million de personnes ont été déplacées. Ce cyclone est un des plus important jamais enregistré dans le sud de l’hémisphère. Il est celui qui a duré le plus longtemps. Il a atterri en premier lieu à Madagascar le 19 février de cette année.

La militante en faveur de la justice climatique, Dipti Bhatnagar est avec nous. Elle est basée au Mozambique où elle vit mais est de passage dans la région de la Baie en Californie. Nous sommes aussi avec Bill McKibben de Third Act et 350.org et avec Ben Jealous qui dirige maintenant le Sierra Club.

Dipti, parlez-nous de ce qui est arrivé dans votre pays et comment cela est-il relié aux changements climatiques ?

Dipti Bhatnagar : bonjour Amy et à tous et toutes. Merci de m’avoir invitée.

Comme vous venez de le dire, le cyclone Freddy est un autre rappel des impacts climatiques qui ne sont pas pour le futur mais touchent nos communautés en ce moment même. Au Mozambique environ un million de personnes l’ont subi et un million 600 mille dans toute la région. En plus il s’est ajouté à une épidémie de choléra et à une inondation dans le sud du pays. Ma propre maison a été touchée. Donc, il a d’abord frappé autour du 24 février, et il est revenu par le Canal du Mozambique et une fois de plus ensuite. Il a touché des sols déjà saturés d’eau, des personnes complètement épuisées sans aucune réserve. Les gens subissent les impacts du climat en ce moment. Et ce n’est qu’une seule tempête. Cela arrive encore et encore.

Les changements climatiques alimentent ces cyclones. Ils peuvent survivre plus longtemps quand ils touchent terre. Ils sont capables de retourner à l’océan et revenir. C’est ce que nous avions vu avec le très destructeur cyclone Idai en 2019. Et cela se répète maintenant. (Freddy) est un des plus surchargé (en humidité), qui ait duré le plus longtemps. Il a frappé le Mozambique deux fois. Il affecte des gens qui sont déjà à la limite de leurs capacités, qui ne peuvent en subir plus, qui se battent pour survivre.

C’est ce que dit le GIEC quand il parle de l’urgence de la situation dans son rapport et que c’est absolument crucial. Nous voyons des communautés, des gens sans aucune responsabilité historique dans cette crise, être affectés alors que les pays riches continuent à minimiser les leurs et à refuser de prendre en compte l’équité dans les négociations en cours. Ça brise le cœur quand on voit ce qui se passe sur le terrain.

A.G. : Pouvez-vous nous parler de ce rapport qui vient tout juste d’être publié, de ce qu’il signifie et que dit-il de ce qui se passe maintenant ?

D.B. : Ce rapport scientifique est absolument clair : il parle de la fenêtre d’opportunité dont nous disposons et qui se ferme rapidement. Nous devons en tenir compte (…). L’expansion de (l’extraction) des matières fossiles est évidente, pas seulement dans l’Arctique, en Alaska avec le projet Willow ce qui est absolument choquant, mais aussi au Mozambique. Un des pays les plus affecté par la crise climatique où on a aussi découvert les plus grands champs de gaz de la planète depuis dix ans. La pétrolière Total et d’autres les exploitent. Le gouvernement mozambicain est leur complice. Pourtant nous devons cesser (l’extraction) de ces énergies malpropres partout dans le monde.

Justiça Ambiental est le groupe dont je fais partie, je suis en congé sabbatique des Amis de la terre, international. Je représente Justiça Ambiental et Amis de la terre du Mozambique. Justiça Ambiental lutte contre le pétrole et le gaz au nord de Mozambique depuis 2007, dans la province de Cabo Delgado où les énergies fossiles ne font pas que causer des changements climatiques mais forcent le déplacement de communautés. Ils induisent des violations des droits humains. Ils déclenchent des conflits, la militarisation et des insurrections sur tout le continent dont au Mozambique. C’est ce que nous devons combattre.

Le GIEC traite clairement de la nécessité de réduire les émissions de GES. Mais ce qui est vraiment effrayant, c’est la notion du captage du dioxyde de carbone qui prend tant de place dans ce rapport. C’est un vrai problème parce que cela ouvre la porte à toutes sortes de fausses solutions à la crise climatique. Ce n’est pas comme cela qu’il faut s’orienter. Il y est question de dépassements ; ce mot apparaît 23 fois dans le rapport où on observe une tentative d’assurance : « N’ayez pas peur ; nous pouvons dépasser les 1,5 degrés Celsius de moyenne de température globale car nous allons pouvoir la faire baisser. Il se peut que nous observions un dépassement. Mais, nous allons induire une baisse en captant le dioxyde de carbone ».

C’est extrêmement dangereux ; comment se fera cette opération ? Pourquoi cette solution ? Parce qu’il ne faut pas arrêter l’exploitation des matières fossiles. Les élites veulent en tirer profit. Et ce qu’elles vont faire c’est ce qu’elles ont fait jusqu’à maintenant : prendre les terres et les forets des habitants du Sud global dont le Mozambique pour être capables d’annuler leurs émissions. Cela va ouvrir une autre crise par-dessus celle crée par les industries des énergies fossiles et que nous voyons déjà en Afrique ; les impacts sont actuellement visibles.

Donc, nous devons être très inquiets.es et nous battre contre ce projet de capture du dioxyde de carbone et les fausses solutions qu’il comporte. Nous disons qu’il faut arrêter les émissions à la source, les dénombrer, faire face aux responsabilités historiques et financer les communautés. C’est ainsi que nous pourrons faire face aux crises climatiques et mettre fin aux souffrances du peuple.

A.G. : Bill McKibben, je voudrais vous entendre au sujet de ce cri d’urgence final des Nations Unies qui dit que le monde est face à sa dernière chance de prévenir une catastrophe de réchauffement global. Le GIEC, son groupe de chercheurs sur le climat auquel Dipti référait, a dit lundi que toute augmentation de chaleur va amplifier les impacts que des millions de personnes subissent en ce moment sur la planète. Qu’est-ce qui vous a le plus interpelé dans ce rapport ?

Bill McKibben : Ce qui m’a le plus interpelé, c’est que d’une certaine façon, il n’y a rien de nouveau là. Amy, j’ai écrit mon premier bouquin en 1989 et j’y traitait déjà de tous ces sujets. Il n’y a rien dont nous ne savions l’importance grave à ce moment- là et que nous ne sachions maintenant. En lisant ce rapport, on se sent un peu désespéré ; la seule chose qui fait vraiment une différence maintenant, c’est de se lever pour dire quelque chose et agir.

C’est pour cela que les gens seront dans les rues aujourd’hui. Pour une part, ce sera une partie de plaisir. À Seattle des orques vont manger des cartes de crédit, à Portland, ce sont des « Big Foot » qui vont leur faire subir une raclée, en Alaska les gens vont les découper à la tronçonneuse et d’autres, ici à Washington D.C., vont en faire autant en chaises berçantes. C’est ce genre de réponse qu’il faut faire savoir partout sur le globe car, autrement, ce ne sont que des mots sur le papier. Tout le monde a entendu ce discours et comprend que nous sommes dans une situation désespérée.

La bonne nouvelle, et elle est déjà là, c’est qu’il n’est plus du tout nécessaire d’arranger quoi que ce soit. Nous vivons sur une planète où, tout-à-coup, le moyen de plus économique de générer de l’électricité est de pointer une feuille de verre vers le soleil. La raison pour laquelle nous ne le faisons pas plus vite, c’est que, comme notre collègue du Mozambique l’a brillamment expliqué, c’est dans l’intérêt des industries fossiles de continuer à extraire la matière et d’y mettre le feu. Mais, nous n’avons pas besoin de ça. Le Bon Dieu a installé une grosse boule qui brûle à 93 millions de miles dans le ciel ; nous savons maintenant comment l’utiliser et nous le devrions le faire.

C’est ce que nous défendons aujourd’hui ; un déplacement crucial des investissements du charbon, du gaz et du pétrole vers le soleil, le vent et les batteries pour emmagasiner l’énergie ainsi produite pour l’avoir à portée quand le soleil ne se pointe pas ou que le vent faiblit. Si nous ne faisons pas ça, chaque sinistre ligne de ce rapport prendra vie et viendra hanter nos enfants toute leur vie.

A.G. : Ben Jealous, je me demande si vous pourriez nous situer le rapport du GIEC d’aujourd’hui dans votre parcours, depuis le début de votre carrière de journaliste où vous avez rendu compte de la situation le long de ce que l’on a appelé Cancer Alley (presque 100 kilomètres le long du Mississipi et à l’intérieur des terres en Louisiane où, en 1989 on dénombrait une quantité renversante de cancers de toute sortes. C’était aussi le territoire où il y avait le plus d’industries chimiques et de plastiques du pays. N.D.T.) jusqu’à East Palestine où il y a eu un déversement massif de produits chimiques provenant des industries fossiles lors d’un récent déraillement. Toute cette communauté a été contaminée. Quels sont les liens avec les changements climatiques ?

Ben Jealous : Les subventions les plus importantes de l’histoire industrielle de notre pays ont été données par le gouvernement quand il a décidé que la majorité des lieux et des personnes, toutes les personnes de couleur et franchement, la plupart des blancs.ches parce que la classe ouvrière blanche est pauvre, donc que toutes ces personnes et ces lieux sont jetables. Vous le voyez par exemple au Mississipi et dans des endroits comme la côte du Golf (du Mexique) en Alabama.
Au début de ma carrière de journaliste, au Jackson Advocate, j’ai couvert la destruction d’une communauté à Columbia au Mississipi. Un groupe appelé Peuple de Dieu contre la pollution c’était formé parce qu’à proximité, une usine qui produisait l’Agent orange avait explosé (c’était au temps de la guerre du Vietnam). Pour nettoyer, ils ont déposé les produits chimiques dans des barils d’acier de 55 gallons et ils les ont ensevelis dans la nappe phréatique. Et 30 ou 25 ans plus tard, les enfants développent des tumeurs, des tumeurs cancéreuses. Pas très loin de là, il y a une usine de pâte à papier ; ce qui en sortait était tellement oxydé que si vous passiez votre main sur le capot des voitures, vous vous retrouviez avec un tableau de Jackson Pollock (Un peintre non figuratif américain très renommé mondialement N.D.T.). La peinture décollait à cause de ce qui venait de l’usine. Et les enfants respirent cela ; le nez leur coule toute la journée. C’était connu que les produits chimiques caustiques en étaient la cause.

Finalement, cela nous confirme que, comme Bill le disait, notre pays est accro à l’usage de produits pétrochimiques dangereux dont nous n’avons pas vraiment besoin, et qui sont transportés en toute insécurité comme nous l’avons vu à East Palestine. Et cela nous parle aussi de l’intoxication de notre pays à l’idée d’utiliser ce genre de produits pour assurer son pouvoir. C’est ridicule. Honnêtement, il vaut mieux pour notre population, si nous voulons assurer le pouvoir du pays, de s’en remettre aux énergies renouvelables un peu partout. C’est mieux pour le climat et l’argent reste dans les poches des individus.

La loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act), dégage un capital énorme pour construire l’économie du futur. Ce sera une économie avec plus d’emplois et franchement, qui protégera la planète au lieu de la détruire, de détruire ses habitants.es. Donc, nous devons avoir des banques pour le faire et elles le peuvent ; c’est ce qu’elles font quand elles sont au mieux de leurs performances et ce sera le meilleur avenir pour tous et toutes. En ce moment, c’est le contraire qui se passe : nous finançons la prolongation de notre intoxication au pétrole et au gaz alors que ça devrait diminuer.

A.G. : Bill, vous écrivez : « Il nous a fallu des années pour forcer les banques à abandonner leurs lignes rouges racistes. Nous n’avons pas des décennies (devant nous) pour écarter la crise climatique catastrophique ». Récemment, nous revenions du sommet de l’ONU sur le climat à Sharm el-Sheikh en Égypte. Vous ne pouviez pas protester à l’intérieur de la COP sans permission. En ce moment vous protestez à l’extérieur des banques en coupant vos cartes de crédit. Votre nouveau groupe se nomme Third Act, les vieux forts. Qu’est-ce que c’est que ce Third Act que vous allez piloter en lien avec les changements climatiques ?

B.McK. : Le Third Act reconnait que les jeunes ont pris le leadership sur le climat, les jeunes, les populations le long des frontières et le communautés indigènes. Mais parfois ils manquent de pouvoir structurel pour faire apparaître les changements nécessaires. Les vieilles personnes ont ce pouvoir qui leur sort par les oreilles. Il y a 70 millions d’Américains.es de plus de 60 ans. (Cette population), c’est un géant qui dort. Elle est plus nombreuse que la population française. Et on peut ajouter qu’entre autre caractéristique, elle vote. On n’a pas encore trouvé de truc pour l’empêcher de voter. En plus elle a des ressources, beaucoup de ressources. Les boomers et la génération silencieuse possède environ 70% des avoirs financiers du pays. Alors, si vous voulez faire pression sur Washington ou Wall Street, c’est probablement une bonne idée d’avoir avec vous quelques personnes avec des cheveux de la couleur des miens.

Et au cours des dernières années, depuis que nous avons fondé Third Act, beaucoup de personnes nous ont rejoint. Maintenant, elles organisent de belles coalitions avec Siera Club, Stop the Money Pipeline, et avec bien d’autres. On compte 50 groupes dont des jeunes de tout le pays avec le Mouvement Sunrise et Fridays for the Future. Je viens tout juste d’entendre Greta Thunberg qui disait : « Bonne chance et allez-y ».

Tout le monde s’implique en ce moment pour faire de ce moment le début de la grande campagne qui va tenir le capital vraiment responsable. Vous voyez, c’est une énorme force dans la vie mondiale alors que nous avons vu les banques se défiler dans les dernières semaines. Nous devons prendre en compte tous les risques, de toutes sortes, ceux financiers, mais aussi les énormes risques auxquels font face notre planète, notre espèce, notre civilisation et qui sont insufflés par les changements climatiques. Nous devons leur rappeler que l’économie est un sous-produit de la terre, pas l’inverse.

Si nous pouvons faire passer ce message, si nous pouvons rappeler à la population qu’il y a un lien entre le carbone et l’argent, vraiment, car la personne qui dépose 125,000$ dans une de ces banques, va faire de l’argent car ces sommes vont être prêtées pour des oléoducs, de la fracturation. (qui produira plus de GES) que toute la cuisine, les voyages par avion et la climatisation d’un.e Américain.e ordinaire en une année. Cinq mille dollars placés dans une banque produit plus de GES qu’un voyage en avion d’un bord à l’autre du pays. Donc, nous devons commencer à obliger les banques à agir avec un sens de responsabilité. Nous le devons. Le GIEC nous le dit : nous sommes au dernier acte de ce drame à moins que nous bougions et vite. C’est la mission de Third Act.

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