Pour y arriver, le mouvement écologiste québécois zoome avec raison le secteur des transports qui compte pour 45% des émanations annuelles de GES, dont 36% pour le sous-secteur routier, tout en n’oubliant pas que « les émissions provenant de combustibles fossiles utilisés dans le transport international (aérien et maritime) [sont] exclues de l’inventaire. » (Gouvernement du Québec, Inventaire québécois des gaz à effet de serre en 2018 et leur évolution depuis 1990). Sans compter que les émanations annuelles du secteur transport sont en hausse rapide ayant crû du tiers depuis 1990 pendant que celles du secteur industriel, au second rang, ont baissé du quart. Il n’en reste pas moins que ce dernier secteur compte pour des rejets de GES de « 24,2 Mt éq. CO2 en 2018, soit 30,0 % des émissions totales » qui se divisent moitié-moitié entre les émissions issues des procédés et de l’utilisation des produits d’une part et celles qui proviennent de la combustion.
Une baisse importante de la combustion fossile industrielle non souhaitée et questionnable
Si « [d]e 1990 à 2018, les émissions du sous-secteur de la combustion industrielle ont diminué de 34,2 %, […c’]est en grande partie attribuable à la diminution des émissions provenant des usines de pâtes et papiers.[…] Cette baisse de 3,08 Mt éq. CO2 s’explique en grande partie par l’utilisation accrue de la biomasse ainsi que par la fermeture de nombreuses usines de pâtes et papiers au fil des années. » En effet, « [l]e dioxyde de carbone (CO2) provenant de la biomasse n’est pas inclus, car il est présumé que le CO2 relâché pendant la décomposition ou la combustion de la biomasse est recyclé par les forêts, notamment grâce à la photosynthèse. Par contre, le méthane (CH4) et l’oxyde nitreux (N2O) provenant de la biomasse sont pris en considération. »
On peut douter de cet automatisme qui suppose que le reboisement compense la coupe, que la (re)pousse naturelle soit comptabilisée alors qu’elle fait partie du cycle naturel du carbone et surtout que l’absorption de gaz carbonique prend des dizaines d’années avant de compenser l’immédiat relâchement dans l’atmosphère par la combustion alors que la réduction des émanations de GES doit se faire à court terme pour éviter le scénario catastrophique de la terre-étuve. Sans compter que le réchauffement provoque de plus fréquents incendies de forêt boréale comme en Alberta et en Sibérie. Mais les émissions de CO2 provenant du changement d’affectation des terres et de la foresterie ne sont pas compilées dans l’inventaire québécois.
Les deux raffineries de pétrole desservant le marché québécois, Suncor et Valero, sont les deux plus importants émetteurs de GES du secteur industriel. À elles deux, elles comptent pour 3% du total des GES du Québec ce qui transféré au secteur du transport routier le ferait croître de 36% à 39% des émanations totales. « Le ministre souligne que ces entreprises tentent de se diversifier : il cite le partenariat de Suncor et Shell dans Enerkem, à Varennes, qui produira du biocarburant à partir de déchets non recyclables et de bois des décharges. La diminution des GES équivaudra au retrait de près de 50 000 véhicules de la route chaque année » soit exactement l’ajout de véhicules routiers enregistrés en 2020 au stock existant ! Quant aux résidus organiques employés pour ce faire, leur usage écologique serait plutôt un retour à la terre pour atténuer la rupture métabolique du cycle naturel. Les cimenteries, qui comptent pour 4% des émissions totales de GES, tentent d’ailleurs la même pirouette.
Une baisse modeste des GES dus à l’amélioration technologique… avec percée à l’horizon
« De 1990 à 2018, les émissions de GES provenant des procédés industriels et de l’utilisation des produits ont diminué de 12,0 % » soit beaucoup moins que pour la combustion. « Cette baisse est principalement liée à la fermeture des séries de cuves de technologie Söderberg utilisées pour la production d’aluminium, à des améliorations technologiques et opérationnelles dans les alumineries existantes et à la fermeture, en 2007, de la dernière usine de fabrication de magnésium au Québec. » On doit se poser des questions sur la contribution marginale des autres secteurs industriels. Mais il ne faut pas pour autant supposer que le secteur de l’aluminium, déjà privilégié par le refus de nationaliser en 1963 les centrales hydroélectriques amortis de Rio Tinto et par la tarification ultra bon marché de l’hydroélectricité publique pour l’autre grande entreprise (Alcoa), est à court d’innovation.
Car « [l]es alumineries sont les principaux émetteurs de GES du sous-secteur des procédés industriels, en raison des PFC émis comme sous-produits lors de la fabrication d’aluminium. » Or le 10 mai 2018, « Rio Tinto et Alcoa Corporation ont annoncé […] un nouveau procédé révolutionnaire d’électrolyse de l’aluminium produisant de l’oxygène et éliminant les émissions directes de gaz à effet de serre associées au procédé d’électrolyse traditionnel » (Elysis,Alcoa et Rio Tinto annoncent la création du tout premier procédé d’électrolyse de l’aluminium sans carbone, 10/05/18). « Développée au Saguenay–Lac-Saint-Jean par une coentreprise des géants Rio Tinto et Alcoa [avec la collaboration d’Apple], Elysis pourrait permettre de faire disparaître 5 mégatonnes de GES par année de son bilan, soit plus de 6 % des émissions du Québec. C’est comme si on retirait de la route 1,5 million d’automobiles [par rapport à un total de 5.3 millions, NDLR] » (Annabelle Blais, Charles Lecavalier et Philippe Langlois, Les défis de quatre secteurs très polluants, Journal de Montréal, 20/03/21).
L’effort réductif des entreprises s’arrête alors que l’urgence de le poursuivre s’intensifie
L’effort réductif des entreprises semble s’être arrêté alors que l’urgence de le poursuivre s’intensifie. « Les grands pollueurs du Québec ne se sont pas améliorés en 2019, et le ministre de l’Environnement ne s’attend pas à une réduction notable des rejets des usines avant 2024, malgré l’urgence climatique. […] Depuis 2012, si on fait abstraction du lock-out de l’Aluminerie de Bécancour en 2018 et 2019, les 100 grands émetteurs ont augmenté leurs GES de 3,37 %. […] Deux s’illustrent pour leur mauvais bilan : le ciment (+34 % d’augmentation d’émissions de GES depuis 2012) et les pâtes et papiers (+31,8 %). » (Annabelle Blais, Charles Lecavalier et Philippe Langlois,Les grands pollueurs du Québec : pas d’amélioration avant 2024, avoue la CAQ, Journal de Montréal, 20/03/21). La mauvaise performance de la cimenterie a un nom : « …l’usine de Port-Daniel–Gascons, qui deviendra le plus grand pollueur du Québec ». (Les défis des quatre secteurs…). Celle des grandes usines de pâtes et papiers s’explique par « un usage plus important du gaz naturel. Ce recours au gaz naturel est une mauvaise nouvelle, croit le spécialiste de l’industrie papetière à l’Université Laval, à Québec, Luc Bouthilier. ‘’L’industrie n’a pas investi, faute de moyens, dans la mise à jour des systèmes de chauffage’’, dit-il. »
Au final, « …les 100 plus grands pollueurs émettent près de 20 mégatonnes de GES par année, le quart de toutes les émissions de la province. Et il n’y a pas de tendance marquée à la baisse. » Pourtant « [l]Le Québec demande au secteur industriel de réduire de près de 5 mégatonnes ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030 » — ce plan dit vert n’exigeant au total que la moitié de la cible officielle (-37.5%) elle-même insuffisante par rapport aux exigences de l’Accord de Paris — et pour y arriver « [l]e plan vert du gouvernement prévoit 768 millions $ pour aider le secteur industriel à réduire ses GES. » Dans les 20 plus polluantes entreprises en termes de GES qui comptent pour les trois quarts de ces 20 mégatonnes, on trouve les huit alumineries de Rio Tinto et d’Alcoa, les quatre cimenteries, trois fonderies de Arcelor-Mital et de Rio-Tinto (Fer et titane) et aux deux premières places les deux raffineries de pétrole (Journal de Montréal, Le top 100 des pollueurs en 2019). (L’intérêt médiatique de l’antisyndical et nationaliste identitaire Quebecor pour cet anti-palmarès vient peut-être de la quasi-absence d’entreprises québécoises dans la liste. On ne se plaindra pas de cette contradiction inter capitaliste.)
Le désintérêt de la gauche signale une peur du grand capital… et des centrales syndicales
À la lumière de l’importance relative de cette pollution GES concentrée sur quelques grandes entreprises, on s’interroge sur le désintérêt du mouvement écologiste, et de son aile gauche en particulier, à son égard. En plus le travailleurs de ces grandes entreprises sont majoritairement syndiqués auprès de grandes centrales qui se targuent de « transition juste ». Ce serait une belle occasion pour la gauche écologiste de pousser pour donner une consistance concrète à ce mot d’ordre qui sert le plus souvent à la bureaucratie syndicale de paravent pour le statu quo. On trouve ici le terrain politique idéal pour affronter le grand capital transnational qui n’a aucun besoin d’aide gouvernementale et contre lequel il faut appliquer une obligation légale avec cible et échéance. Avis à Québec solidaire qui ici comme ailleurs singe la CAQ en se contentant d’avoir recours à une écofiscalité un peu plus sévère soit à peine 110 millions $ l’an de plus pour les plus grandes entreprises polluantes (Plan solidaire pour le Québec d’après) qui de toute façon refilerait la facture à la consommation.
Au Saguenay / Lac St-Jean et pas seulement, une chose est de lutter contre GNL-Québec, une autre serait de réclamer l’application de la technologie Elysis pour les alumineries d’ici 2030 sans égard à l’amortissement rentable des vieux équipements. Comme la modernisation signifie généralement hausse de productivité, l’occasion serait belle de réclamer une diminution du temps de travail sans baisse de salaire pour maintenir le niveau d’emploi, revendication que l’on retrouve bien oubliée dans le programme Solidaire. Et pourquoi ne pas réclamer que cet aluminium soit uniquement utilisé pour des produits verts tels des moyens de transport collectif et des éoliennes fabriquées au Québec si c’est écologiquement et socialement pertinent, et surtout pas pour faire des autos solos.
La même ligne de conduite s’impose aux entreprises des pâte et papier qui ont pillé nos forêts sans réinvestir afin de compenser pour la baisse des profits causée par la détérioration de la ressource. Et d’exiger la fin de la coupe forestière d’ici 2030 pour produire du papier à commencer par le papier-journal. S’il est impossible de convertir les usines en scieries, dont les exportations aux ÉU sont à limiter, ou autre chose la reconversion de l’emploi aux mêmes conditions peut être dirigée soit vers l’exploitation écologique de la forêt exigeante en main-d’oeuvre, la construction de logements sociaux écoénergétiques, la restauration écologique des bâtiments ou la bonification urgente et substantielle des services publics.
Quant aux raffineries, leur lot est de disparaître à petit feu avec celui de l’usage du pétrole (et du gaz naturel). Déjà, le programme Solidaire réclamait la disparition du pétrole comme source énergétique d’ici 2030. L’urgence climatique incite à y revenir tant en développant le programme eu égard à la disparition des plastiques qui sont en train d’étouffer les océans. « Sur les 100 plus grands pollueurs de 2017, 19 sont des lieux d’enfouissement, qui émettent 6,20% de tous les GES » (Annabelle Blais et Charles Lecavalier,Tout n’est pas perdu : il existe des solutions pour réduire nos émissions de gaz, Journal de Québec, 18/05/19). Si la récupération des biogaz pour produire de l’électricité comme à Lachute est certainement préférable à l’émanation des GES dans l’atmosphère, elle ne saurait être le prétexte à la prolongation de l’enfouissement des déchets pour alimenter ces filières qui ne sauraient qu’être un moindre mal temporaire. S’impose plutôt un objectif de zéro déchet à brève échéance.
Le tout électrique-électronique c’est « back to the futur » extractiviste avec plein de GES
Il serait aussi plus que temps de porter attention aux moins traditionnelles et plus récentes productions. « En 2018, les émissions de HFC, de PFC, de SF6 et de NF3 provenant d’usages tels que la réfrigération et la climatisation, l’extinction des incendies, l’utilisation d’aérosols, la fabrication de matériel électronique et l’utilisation de HFC pour la fabrication de panneaux isolants, qui ne sont pas déjà déclarées dans des catégories d’industries spécifiques, se chiffraient à 2,5 Mt éq. CO2, soit une augmentation de plus de 2 000 % depuis 1995. » (Inventaire québécois…) Suffit-il que « ces derniers f[assent] maintenant l’objet d’efforts de réduction grâce à l’amendement de Kigali au Protocole de Montréal » ?
Le noeud cependant de la lutte pour la réduction des GES émanant de l’industrie réside dans l’American Way of Life qui nécessite un extractivisme exponentiel d’acier, de cuivre, de ciment auxquels s’ajoutent à l’ère de l’électronique lithium, cobalt, graphite, métaux et terres rares. La réduction drastique des cimenteries, fonderies, aciéries et mines est fonction inverse de l’étiolement de la consommation de masse engendrée par l’accumulation du capital dont la substitution du véhicule privé à essence par celui (hydro-)électrique, avec son complément de REM et métros, et son corollaire d’étalement urbain non seulement de suburbs de maisons unifamiliales mais aussi d’exurbs de très basse densité mais à croissance rapide.
Cette élimination d’emplois extractivistes est indispensable à une société pour prendre soin des gens et de la terre-mère. Leur sera substitué un régime de plein emploi écologique dont la création immédiate de 250 000 emplois dans les services publics et le communautaire, tel que voté par le Conseil national de Québec solidaire en septembre 2020, en est la porte d’entrée.
Marc Bonhomme, 11 avril 2021
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
Un message, un commentaire ?