Bush vs Gore [1], Hobby lobby [2], Citizens United [3]. Les attaques contre le Voting Rights Act [4], contre la discrimination positive, le contrôle des armes, la violence faite aux femmes (un dernier doigt d’honneur fait au progrès humain), les régulations de l’Agence environnementale pour le contrôle du réchauffement climatique, ce ne sont que quelques unes des désastreuses décisions à cinq contre quatre de la Cour suprême auxquelles a participé l’Honorable juge Scalia, décédé la semaine dernière à l’âge de 79 ans. S’il ne s’en était tenu qu’à lui, cela aurait été encore pire. Il était du côté des décisions minoritaires dans la cause de l’Affordable Care Act [5] et du mariage entre même sexe et en faveur de la peine de mort dans les cas de crimes commis par des mineurs. Dans ses convictions, il n’y avait pas de femmes au Virginia Military Institute (et où encore ?), Roe vs Wade [6] aurait été renversé depuis longtemps et l’arrêt Miranda [7] serait dans les poubelles de l’histoire. La liste est encore plus longue.
Mais oui, M. le juge Scalia aimait l’opéra et il était l’ami de Mme l’Honorable juge Ruth Bader Ginsburg. Tous ceux et celles qui l’ont connu parlent d’un homme amical, avec beaucoup d’esprit et qui aimait la vie. Il possédait un vocabulaire étendu dont plusieurs synonymes pour le mot « idioties ». (…) Je suis sensible à son manque d’intérêt pour l’alimentation équilibrée et l’exercice physique, mais il ne mérite pas toutes les gentillesses que les libéraux en disent en ce moment. Ce n’est pas parce que quelqu’un est décédé qu’il faut le transformer en « joli petit ourson ».
Il y a peu de personne dont on puisse dire que sans elle le monde aurait été différent. On peut certainement le dire des cinq juges qui ont été nommés-es par le Président G.W. Bush. En interrompant le décompte des bulletins de vote de la Floride en 2002, ils ont changé le cours de notre histoire et, à la différence de d’autres décisions judiciaires, on ne peut pas la modifier. Les dommages créés par les guerres en Afghanistan et en Irak ne peuvent pas non plus être réparés ou effacés. Leurs effets se son étendus partout dans la grande région du Proche Orient. Dans notre pays, les candidats républicains rivalisent entre eux pour savoir qui approuvera le plus la torture. C’est le monde que le juge Scalia a contribué à créer.
Il est assez étonnant que ce conservateur catholique, qui avait des idées rigides quant à la moralité sexuelle, dont la philosophie du droit reposait sur « l’intention première », qui avait particulièrement éliminé la possibilité d’interpréter la constitution à la lumière de la modernité, ait eu tant de succès pour imprimer ses vues dans le monde légal. Quand il a été nommé par le Président Reagan en 1986, ses vues sur les enjeux sociaux n’étaient pas si éloignées du courant dominant : l’homosexualité était taboue, le mariage gay était un oxymoron et l’amendement pour les droits égaux était disparu. Depuis ce temps, les Américains-es ont beaucoup évolué, même ceux et celles qui se disent conservateurs-trices. Le juge Scalia est demeuré comme un bloc de ciment. Aujourd’hui, ses écrits sur les droits des homosexuels-les résonnent comme des idées farfelues. Dans son avis dissident dans la cause Lawrence vs Texas en 2003, alors que le jugement renversait toutes les lois contre les activités homosexuelles, il a qualifié la démarche « ordre du jour homosexuel ». Au fil du temps, il a comparé l’homosexualité au meurtre, à la polygamie, à l’inceste, aux abus envers les enfants, à la prostitution, à « l’usage de l’héroïne à des fins récréatives » et au travail de plus de 60 heures par semaine dans une boulangerie. Un de ces jours, un psychanalyste trouvera intéressant de faire une recherche sur l’inconscient du juge Scalia.
Le pays progresse dans un autre sens. L’enthousiasme du juge pour la peine de mort était largement partagé dans le pays lorsqu’il a été nommé juge. En 2015, les exécutions se concentrent dans tout juste 4 États et leur nombre diminue chaque année. Il se référait à la religion alors que les Américains-es sont de moins en moins religieux et le phénomène vaut aussi pour les catholiques. Son racisme est à couper le souffle. Il a qualifié la loi sur le droit de vote d’obligation pour la population noire. Il a déclaré que les étudiants-es noirs-es réussiraient mieux dans des institutions offrant des cursus plus lents. Lors de son dernier vote, rendu public 4 jours avant son décès, et qui devait, encore une fois soutenir une décision à 4 contre 5, la majorité allait rendre une décision à l’encontre du Plan du Président Obama sur la qualité de l’air. Pourtant, le pays accepte finalement que le climat est en train de changer. La décision en faveur de Citizens United a soulevé une tempête dans les deux partis politiques et mené directement aux candidatures insoumises de D. Trump et B. Sanders. Au fait, M. Sanders a déclaré son intention de renverser la décision Citizens United vs Federal Elections Commission. Selon lui, cela devrait être le test ultime pour les candidats-es à la Cour suprême qu’il désignerait.
Les Américains-es ont largement devancé le juge Scalia en ce qui concerne les droits des femmes. Il avait voté contre Mme Lilly Ledbetter dans sa cause de discrimination en vertu de son statut de femme. Elle avait découvert qu’elle avait été moins payée que ses collègues masculins et revendiquait ses droits à une compensation, mais elle l’avait découvert tard, trop tard. En réponse à cette décision, le Congrès a amendé la loi pour qu’une telle situation ne se reproduise plus. M. le juge Scalia a souvent mis au défi les législateurs-trices de modifier les lois si ses décisions ne leur convenaient pas. En 2011, il avait déclaré que la constitution n’interdisait pas la discrimination envers les femmes, mais il est revenu sur cette déclaration quelques années plus tard. Peut-être que sa bonne amie, Mme la juge Ginsburg lui a rappelé que le 14e amendement sur l’égalité de protection avait été appliqué aux femmes depuis 40 ans.
Les vues de M. le juge Scalia sur l’avortement semblent être un peu plus soutenues par la population. Si une majorité soutient Roe vs Wade, les sondages montrent qu’elle soutient tout autant les restrictions qui violent cette décision comme l’interdiction d’avorter après 20 semaines de grossesse et la restriction imposée par le gouvernement fédéral contre les avortements très tardifs (partial-birth abortion). Une minorité est en faveur de lois qui rendent difficiles le maintien des cliniques d’avortement tel qu’illustré par la cause Whole Women’s Health vs Hellerstedt que la Cour suprême entendra le 2 mars prochain. Selon un sondage du National Institute of Reproductive Health, environ 55 % des répondants-es ne connaissaient pas l’étendue de ces restrictions ; depuis janvier 2000, 318 lois de cet ordre ont été adoptées dans divers États. Mais quand ces personne sont informées de la situation, elles ne sont pas d’accord : « Une large majorité de l’électorat dit qu’elle veut que les avortements soient sécuritaires, légaux, respectueux, accessibles financièrement et physiquement, que les femmes y trouvent aussi du support et qu’elles puissent avoir accès à ce soin sans honte ».
La gauche s’est souvent moqué de l’idée que la composition de la Cour suprême était une raison suffisante pour voter pour les candidats-es peu intéressants du Parti démocrate. Il y a longtemps, j’ai moi-même exprimé cette opinion dans les colonnes de ce journal ; cela avait peut-être du sens il y a 20 ans, mais c’était il y a longtemps. Nous avons changé d’époque. Que M. Obama puisse ou non nommer un remplaçant au juge Scalia, il y aura encore 2 ou 3 départs au cours de la prochaine administration. Le ou la successeur-e du Président aura ainsi un énorme pouvoir pour dessiner l’allure de la Cour suprême pour les 20 ou 30 prochaines années. Ces juges ont l’habitude de vivre longtemps. Le choix doit être judicieux.