11 septembre 2024 | articlu paru dans l’hebdo Politis N° 1827
Injuste jusque dans son nom, cette affaire souffre d’une mauvaise désignation. Ce n’est pas « l’affaire des viols de Mazan », et ça n’est pas même seulement « l’affaire Dominique Pélicot ». C’est l’affaire des 83 violeur. 83 hommes, dont la liste des noms, métiers et âges semble un échantillon d’institut de sondages parfaitement à même de représenter la France. 83 individus ayant pour seul trait commun d’être des hommes du même périmètre géographique. 83 hommes normaux, dont la banalité choque les hommes seulement. Les femmes savaient déjà qu’il y a une réalité derrière les yeux fermés.
Vieil ami de la famille, professeur trop zélé, collègue gluant, inconnu familier, frère affectueux, ex inquiétant : ce n’est pas avec plaisir que les femmes trouveront une ressemblance avec un fantôme du passé dans la mosaïque des visages de Mazan, pendant que les hommes s’en distancieront en les classifiant dans les monstres avant d’en découvrir soudain des sosies au bureau, au café d’à côté, dans la fratrie et – stupeur ! – jusque dans le reflet du miroir. Lutter contre ces crimes implique d’accepter qu’il existe des violeurs de tout profil.
Sur cela, que l’on appelle « culture du viol », et qui désigne tout ce qui favorise sa commission dans une société donnée, les féministes alertent depuis toujours. Si l’égalité des femmes avec les hommes avait été pleinement atteinte jusque dans les mentalités, il n’y aurait pas autant d’hommes dans ce procès pour oser plaider non coupable, justifiant ne pas comprendre que l’on puisse les accuser de viol sur une femme dont le mari était pourtant consentant.
C’est le produit d’une société qui échoue à protéger les femmes et leur statut d’être humain à part entière : tristement prévisible. Ce n’est jamais de gaîté de cœur que l’on dit « je vous l’avais bien dit », mais dans un monde où le combat pour les droits des femmes aurait été remporté, Gisèle Pélicot aurait été épargnée.
L’homme qui viole est un homme sans histoire. Un monsieur tout-le-monde à l’instar du père qui bat ses enfants.
Les féministes ne devraient pas avoir à réparer le mal commis par d’autres, mais à coups de milliers d’ouvrages, de conférences, de posts, de manifestations – qui leur valent opprobre et violences quotidiennes –, elles répètent que l’homme qui viole est un homme sans histoire. Un monsieur tout-le-monde à l’instar du père qui bat ses enfants. Pourtant, personne ne semble y croire – et, surtout, personne ne semble vouloir en tirer de conséquences.
Si les violences sexuelles font partie du quotidien des femmes, cela implique qu’elles concernent une bonne partie des hommes. Comment comprendre alors une société qui martèle que ces violences n’incluent « pas tous les hommes », tout en enjoignant les filles et les femmes de tout mettre en œuvre pour se protéger d’eux – et que si elles échouent, elles l’auront bien cherché ? « Pas tous les hommes », mais assez pour que les libertés des femmes soient constamment entravées par la crainte. « Pas tous les hommes », mais à quand des actions concrètes, au-delà des mots, des adeptes de cette formule ? Le constat n’est pas agréable et peu confortable pour les hommes qui se sentent soudain accusés dans leur ensemble. Il l’est encore moins pour celles qui survivent dans la crainte omniprésente de cette épée de Damoclès que sont les violences sexuelles.
Tous les hommes ne sont pas concernés, entend-on en permanence, mais il y en a tout de même assez pour que toutes les femmes aient peur et adaptent à ce danger comportement, tenues, itinéraires, budget de déplacement, mots, réactions. Pourquoi ceux qui ne sont pas concernés ne prennent-ils pas l’initiative de s’insurger contre les pommes pourries du panier qui font honte à l’ensemble des hommes ? Pourquoi ne font-ils pas leur part du travail pour changer la société ? Pourquoi est-ce toujours aux victimes directes de ces comportements de tâcher de les dénoncer et de les empêcher ? Pourquoi a-t-il fallu dix ans et la dénonciation des agressions sexuelles commises par Dominique Pélicot dans un magasin pour découvrir, par la fouille de son ordinateur, l’iceberg entier de ses plus de 80 sinistres partenaires de crime ? Pourquoi aucun autre homme, en dix ans, n’a-t-il brisé la chaîne de la violence ?
La solidarité féminine, c’est se défendre contre les violences ; la solidarité masculine, c’est de les couvrir.
La solidarité féminine, c’est se défendre contre les violences ; la solidarité masculine, c’est de les couvrir. Dans un monde où les hommes seraient vigilants à l’égard du comportement des autres hommes, comme les femmes doivent déjà l’être 24 heures sur 24, Gisèle Pélicot aurait été épargnée.
Gisèle Pélicot est la victime idéale, celle à qui aucun sinistre commentateur ne peut reprocher ni sa tenue ni ses mœurs, pas même de ne pas s’être assez bien débattue, puisque comment l’aurait-elle pu ? Comment expliquer alors qu’absolument personne n’ait pris la rue tremblant d’indignation, sinon parce que l’on se refuse à considérer que ce problème nous concerne tous au quotidien – victimes comme auteurs – de la même façon que, parce que l’on ne veut pas les entendre, on exclut des groupes sociaux, des familles, des entreprises, des groupes d’amis, des milieux artistiques celles qui parlent et bien plus rarement ceux qui commettent les violences.
Un violeur sur 100 seulement va en prison. Dans cette affaire publique, ce sera assurément plus, pour marquer l’exemple, pour traiter ce cas comme s’il était une exception. Traiter le violeur comme un monstre, c’est lui ôter soudain sa condition d’homme normal, de collègue serviable, de père gentil, de voisin vigilant. Ignorer le danger n’en prémunit pas. On fait comme si chez les violeurs, comme les frappeurs d’enfants, il n’y avait pas d’hommes normaux : que des monstres. Cela rassure, et protège l’ordre établi. Malheureusement, cela permet surtout au problème de perdurer. Les violences sexuelles sont commises à 96 % par des hommes. De tout profil. Les femmes le savent, les hommes doivent l’accepter et les pouvoir publics mieux légiférer, éduquer, voir, encadrer.
Il n’y a pas de vilains monstres sur les lits. Juste des hommes normaux.
Il n’y a pas de vilains monstres sur les lits. Juste des hommes normaux et hors de tout soupçon que la société a trop longtemps laissés impunis.
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