13 janvier 2022 | Quincy Institute for Responsible Statecraft | traduction David Mandel
Il y a encore une chance que la flexibilité des États-Unis, qui domine l’OTAN, puisse éviter la guerre. Le premier est l’engagement de l’OTAN à ne pas déployer aucune nouvelle force dans les pays de l’OTAN proches des frontières de la Russie, en échange du retrait des troupes russes actuellement déployées aux frontières de l’Ukraine.
Le second est un véritable soutien américain et des autres membres de l’OTAN à l’accord de Minsk II sur l’autonomie d’une région démilitarisée du Donbass en Ukraine, et une réelle pression sur le gouvernement ukrainien pour qu’il respecte cet accord.
Rappelons que l’accord Minsk II a été dûment signé en 2015 par l’Ukraine, par les représentant.e.s de ses deux régions séparatistes (du Donbass), par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et par la Russie. Mais l’Ukraine refuse toujours de respecter ses engagements.
L’autonomie du Donbass au sein de l’Ukraine, qui est visée par l’accord, serait un obstacle sérieux à la fois à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN (puisque les habitant.e.s de la région s’ajouteraient à la majorité des Ukrainien.ne.s qui s’opposent à l’adhésion à l’OTAN) et au développement d’une Ukraine monoethnique. Elle mettrait fin à la guerre civile en Ukraine et répondrait indirectement aussi aux principales préoccupations de la Russie.
Mais l’OTAN (c’est-à-dire les États-Unis qui la domine complètement) doit agir rapidement pour offrir ces compromis. Sans cela, une nouvelle guerre semble de plus en plus possible.
L’OTAN est en fait une organisation profondément préjudiciable aux intérêts des peuples des État qui en sont membres. Il faut donc un débat sérieux sur le rôle de l’OTAN. Il faut d’abord examiner avec une honnêteté lucide et courageuse les raisons pour lesquelles les différents États-membres restent attachés à une alliance dont la vocation première a disparu avec la fin de la guerre froide.
Ces raisons sont les plus claires dans le cas des États-Unis. l’OTAN fonctionne comme Piste d’atterissage numéro un (Airstrip One - le nom que George Orwell a donné à la Grande-Bretagne dans son roman 1984) - une base pour la projection de la puissance américaine en Eurasie, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. À cela s’ajoute l’influence qu’elle donne à l’Amérique sur ce qui reste - pour le moment - l’un des trois grands cœurs économiques du monde (c’est-à-dire l’Europe occidentale). Quant au Canada, il fait ce que Washington ordonne, poussant parfois des cris impuissants de ressentiment.
Parmi les membres européens de l’OTAN, les motivations diffèrent. Le but primaire du secrétariat lui-même de l’OTAN est tout simplement de garantir sa propre existence continue, et cela par tous les moyens nécessaires. L’expansion de l’OTAN vers l’Est, qui a suscité inévitablement la peur et la colère de la Russie, a par la même fournit au secrétariat la justification de son existence continue : contrer la menace d’une « Russie hostile et agressive. »
Certains des Européens de l’Est souffrent d’une paranoïa compréhensible vis-à-vis de la Russie en raison de leurs souffrances passées aux mains de Moscou. Mais notre sympathie pour des souffrances ne devrait pas nous faire accepter comme rationnelle la paranoïa qui en résulte.
Quant à la Turquie, elle reste toujours dans l’OTAN en partie pour l’empêcher qu’elle devienne une ennemie encore plus grande, et en partie à cause de la difficulté procédurale de l’expulser.
La Grande-Bretagne soutient l’OTAN essentiellement dans le cadre de son alliance avec les États-Unis, ce qui lui permet de se positionner comme une grande puissance sur la scène mondiale en chevauchant les épaules des É-U. La France le fait à peu près pour la même raison, à la différence près que, si les intérêts de la Grande-Bretagne dans ce domaine sont presque entièrement liés à son image nationale de soi, la France a besoin de l’alliance pour une raison très concrète : la nécessité croissante d’un soutien militaire américain pour maintenir sa sphère d’influence en Afrique francophone et y combattre les insurrections islamistes.
Pour les autres membres ouest-européens de l’OTAN, la raison essentielle de leur adhésion est la peur, peur de la Russie peut-être, mais surtout la peur les uns des autres et d’eux-mêmes. Cela est dû en grande partie à la Seconde Guerre mondiale et à la facilité avec laquelle un nombre de pays se sont rendus à l’Allemagne, alors que dans le cas de l’Allemagne, il y a encore un élément de peur d’elle-même.
On peut juger ses mobiles comme méprisables. Mais ils sont au moins modestes et, jusqu’à un certain point, rationnels. Le problème est qu’ils ont été ingérés par deux autres ambitions pas du tout modestes et rationnelles.
La première est le désir américain d’hégémonie mondiale, y compris le droit de dicter les systèmes politiques des autres pays et l’influence que ces États sont autorisés à exercer au-delà de leurs propres frontières.
La seconde est la croyance des élites européennes en l’Union européenne comme une sorte de superpuissance morale, s’étendant pour englober l’ensemble de l’Europe (sans la Russie évidemment), et donnant un exemple d’internationalisme libéral au monde ; mais une superpuissance militairement impuissante qui s’appuie pour sa sécurité sur les États-Unis, via l’OTAN.
Ces projets ont aujourd’hui manifestement échoué. Le projet américain d’hégémonie mondiale universelle a été brisé par l’Irak, l’Afghanistan, la Libye et surtout par l’essor économique de la Chine. Le projet européen a été rejeté par un grand nombre d’Européens. Et l’incapacité à établir des démocraties libérales stables en Europe de l’Est et dans les Balkans rend très improbable que l’UE envisage sérieusement de proposer l’adhésion à l’Ukraine dans un avenir prévisible.
Les États-membres de l’OTAN devrait abandonner la promesse vide et hypocrite d’un nouvel élargissement de l’OTAN et rechercher une relation de coopération raisonnable avec la Russie. Alternativement, ils peuvent continuer à vivre dans un monde imaginaire, même si les mondes imaginaires ont tendance à être brisés par les dures réalités.
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