Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Le prix de l’exploitation de nos ressources naturelles

Ces derniers jours, l’ancien premier ministre Bernard Landry réclame sur toutes les tribunes un débat raisonnable de la part des écologistes.1 Il s’agit d’une sage proposition ; inutile en effet de céder de part et d’autre à des arguments fallacieux, à une émotivité débordante ou à une idéologie trop étroite. Raisonnons donc.

Plusieurs questions surgissent : certaines sont économiques, d’autres morales. Nous nous permettons de les énumérer ici pour encourager une discussion plus sereine sur un sujet qui pourrait facilement déraper.

1. À qui appartiennent les ressources naturelles ? S’il est vrai qu’elles appartiennent à tous les Québécois, comment se fait-il qu’il n’y ait pas un monopole de l’État pour les gérer ? Si, par contre, elles appartiennent au propriétaire du claim (ou du permis), quel montant l’État doit-il exiger en redevances et/ou pour la vente desdits permis pour que l’ensemble de la collectivité en profite équitablement ?

2. À partir de quand juge-t-on que les populations locales subissent plus que leur lot d’inconfort pour le bien commun et le développement économique ? Voudrait-on reproduire à plusieurs échelles l’expérience désastreuse de la mine à ciel ouvert d’Osisko ? Accepterait-on soi-même de vivre à proximité d’un puits de pétrole, comme ce pourrait être le cas à Gaspé, ou d’une mine d’or, comme on en exploite en Abitibi ? Dans la négative, peut-on l’imposer à autrui ? Quelle distance raisonnable devrait séparer les forages et les mines des résidences les plus rapprochées ? Est-il acceptable de déplacer les habitants d’un territoire pour en exploiter les ressources ? Et, le cas échéant, que doit-on proposer en compensation aux personnes déplacées ? Qui doit payer ? L’État (soit tous les contribuables) ou la compagnie exploitante ?

3. Si l’on s’aperçoit qu’une activité industrielle rend les gens malades parce qu’elle pollue l’air qu’ils respirent ou l’eau qu’ils boivent, doit-on arrêter la production ? Combien de travailleurs doivent tomber malades avant qu’on juge qu’une exploitation est trop néfaste pour se poursuivre ?

4. Qu’est-ce qui en définitive vaut plus : l’eau ou le pétrole ? À quel niveau de risque est-on prêt à exposer les nappes phréatiques pour exploiter les ressources fossiles ? S’il arrive un accident et que les sources d’eau sont contaminées, que feront les résidents privés d’eau ? Combien vaut une maison, même luxueuse, sans un puits d’eau potable (en Pennsylvanie, plusieurs maisons ont vu leur valeur marchande plonger à la suite de la contamination de leur source d’alimentation en eau potable) ? Qui paie ? Qui est responsable ?

5. Quelles sont les externalités (éléments non monétaires, comme l’environnement, la santé des populations et la menace contre certaines espèces animales) acceptables d’une activité industrielle ? Qui sera responsable de la décontamination et de l’entretien des puits après leur exploitation ? L’industrie ou l’État ? Des décisions comme le bannissement de l’amiante ou du nucléaire dans certaines parties du monde doivent-elles nous inspirer ? Acceptera-t-on de couvrir à même la CSST tous les soins dont auront besoin les gens affectés par les opérations de l’industrie pétrolière (quand on connaît les coûts à long terme engendrés par les conséquences de l’exploitation de l’amiante, qui compteraient pour 20 % des indemnités de décès demandées à la Commission de santé et sécurité au travail)2 ? Enfin, qui paiera pour l’entretien des puits après leur fermeture ?

Si messieurs Landry, Bouchard, Boisclair et consorts, qui ont indéniablement à cœur le bien commun des Québécois, peuvent répondre sans détour à l’ensemble de ces questions, peut-être convaincront-ils les écologistes et les citoyens du bien-fondé de leurs choix énergétiques. En attendant, il ne semble y avoir aucune raison valable de procéder à la fracturation hydraulique dans un avenir prévisible.

Marie-Ève Mathieu, présidente du comité contre les gaz de schiste de la Vallée des Patriotes

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