Édition du 19 novembre 2024

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Le printemps des carrés rouges : Intervention au lancement du livre à Québec

Le lancement du livre « Le printemps des carrés rouges » le 25 octobre dernier à Québec a été une occasion de faire un retour sur l’essentiel : c’est que nous avons tous et toutes été secouéEs et transforméEs par ce printemps des carrés rouges.

Le livre veut faire la chronique de ces événements historiques et tenter d’en comprendre les ressorts et les conséquences stratégiques. Les événements du printemps érable resteront majeurs pour la société québécoise par le travail de démystification des propos et des gestes de l’oligarchie dominante qu’il a réussi à accomplir, par la démonstration, dans l’action, de juqu’où peut se rendre cette oligarchie pour défendre ses intérêts de classe. Ce printemps des carrés rouges a ouvert une période dont les effets vont se faire sentir dans les années qui viennent parce qu’il a permis le dégagement de nouvelles couches militantes dans la jeunesse qui ont fait des expériences majeures ces derniers mois... Ces expériences ne sont pas perdues et des circonstances propices permettront de les réactualiser.

Le printemps des carrés s’inscrit dans une conjoncture internationale qu’il faut comprendre

Cette conjoncture se caractérise par les faits suivants : le néolibéralisme, depuis 2008, connaît une crise majeure. Pour faire payer la crise à la majorité populaire, les classes dominantes ont lancé une offensive frontale contre les acquis populaires. Cette offensive d’austérité se heurte à une résistance internationale des mouvements syndical, populaire, féministe et écologiste. Le printemps arabe et la révolution bolivarienne au Vénézuéla ont été des mouvements précurseurs à ce niveau. Ils ont été relayés par des mobilisations de masse contre l’austérité en Europe et par le développement de nouvelles formes de résistance : le développement du mouvement des IndignéEs. L’Amérique du Nord, le mouvement Occupy, les grèves dans le Wisconsin ont montré le caractère planétaire de la résistance populaire avec ses forces et ses limites.

L’impérialisme et les gouvernements à son service font preuve d’une irresponsabilité criminelle face à la destruction de l’environnement. Leur culte de la croissance à tout prix, leur cupidité dans le développement des énergies fossiles démontrent qu’ils se moquent éperdument du réchauffement climatique et de l’avenir de la planète. Plus, pour faire face à la résistance populaire, l’oligarchie dominante cherche à réduire les droits démocratiques de la population et à démanteler les mouvements de résistance.

Le contexte international est marqué par une crise économique durable, une politique d’austérité permanente, une crise écologique de plus en plus dramatique, mais aussi par la résistance des mouvements sociaux qui continuera de se faire sentir...

Le néolibéralisme, porteur d’un modèle éducatif

Le néolibéralisme propulse un modèle d’éducation utilitariste, où les individus sont réduits à un capital humain, où l’endettement devient un instrument d’orientation de la jeunesse, où les savoirs utiles pour la valorisation du capital sont présentés comme les seuls savoirs valables au mépris d’une formation critique et citoyenne. Une des richesses du printemps des carrés rouges, c’est d’avoir rendu ces critiques de notre système éducatif transparentes à un grand nombre de personnes au Québec.

Notre préoccupation : faire ressortir les forces de ce mouvement

Le mouvement étudiant a surpris tout le monde par son caractère massif. Il a réussi à réunir à plusieurs reprises des centaines de milliers de personnes dans la rue. Mais il a aussi impressionné par son caractère démocratique où les portes-parole étaient redevables devant des assemblées générales régulières surprenant les représentantEs des médias qui les appelaient à outrepasser cette démocratie directe qu’ils ne comprenaient visiblement pas.

Il a été aussi marqué par sa dimension féministe qui a amené les militants femmes à questionner la division du travail à l’intérieur du mouvement et de l’inégalité devant la prise de parole. Il a surpris par sa durée, son opiniâtreté, bref son courage qui a permis aux discours, aux critiques, et aux propositions du mouvement d’avoir le temps d’être bien compris d’un secteur important de la population malgré le brouillage médiatique par des mass medias qui se sont fait les instruments de l’oligarchie. Il a étonné par sa créativité culturelle, son imagination et son inventivité qui lui ont permis de dépasser et de subvertir les méthodes plus traditionnelles de lutte.

L’intransigeance du gouvernement Charest

Cette dernière a pu sembler exceptionnelle par sa dureté et par son mépris, mais ce caractère exceptionnel semble maintenant constituer la règle pour la classe dominante dans différents pays. Qu’on regarde le comportement des partis politiques (y compris sociaux-démocrates) en Grèce, en Espagne, au Portugal, en France ou en Grande-Bretagne...

Pourquoi ? C’est que pour faire payer la crise à la majorité populaire, il faut remettre en question des acquis de cette majorité par la privatisation et tarification des services publics et la réduction de ses capacités d’organisation et ses droits démocratiques... C"est bien ce que nous avons vécu au Québec. Le livre fait la chronique de son refus de simplement répondre et écouter les revendications étudiantes, de ses manoeuvres visant à diviser les différents secteurs du mouvement étudiant comme il avait pu le faire en 2005 et du caractère bidon et manipulateur des négociations auxquelles il a finalement consenti.

L’utilisation de la répression policière, judiciaire et légale

Le livre présente comme une première défaite du gouvernement ce passage à la répression et essaie de décrire la logique de l’affrontement. Incapable d’imposer son discours, ses arguments.

Perdant de plus en plus en crédibilité face à la déconstruction de ses arguments et à l’avancée du soutien dans la population à la lutte de la jeunesse étudiante, le gouvernement Charest mobilise son appareil policier pour faire matraquer les manifestantEs et multiplier les arrestations.

Le gouvernement Charest utilise l’appareil judiciaire, les juges au service du pouvoir qui multiplient les injonctions qui visent à criminaliser la lutte étudiante... Cette judiciarisation vise la négation des droits collectifs de décider et d’agir collectivement au nom des droits des seuls individus qui se placent du côté du pouvoir.

Le gouvernement instrumentalise sa majorité parlementaire pour faire adopter la loi 78 : une loi odieuse et liberticide pour empêcher le mouvement d’agir et pour menacer les organisations étudiantes d’amendes et de désaccréditation.

La montée du mouvement démocratique contre cette loi 78 (12)

La détermination du mouvement étudiant lui permet de faire face. Malgré la répression les manifestations se multiplient démontrant la ténacité et la détermination des militants et militantes qui jour après jour vont continuer à manifester. La manifestation du 22 mai refuse de suivre le parcours prédéfini et mène ainsi l’action de désobéissance civile de masse la plus importante l’histoire du Québec, mais il n’est pas suivi par le mouvement syndical. Le mouvement des casseroles apparaît et entraîne les citoyenNEs dans la défense de leurs droits démocratiques.

Une occasion manquée... celle de la jonction avec le mouvement syndical

Deux chapitres du livre... se penchent sur une occasion manquée, particulièrement celle de la fin mai qui aurait permis l’élargissement du mouvement en une véritable grève sociale. ...On avance quelques éléments d’explication sur l’impréparation du mouvement syndical à une telle jonction avec le mouvement étudiant et citoyen. Cette partie du livre souligne tout le travail qui sera nécessaire pour dépasser cette impasse.

Charest veut faire des élections sur le dos du mouvement étudiant

Pour refonder la légitimité de son action gouvernementale, le gouvernement Charest essaie de présenter le PLQ comme chevalier de l’ordre et de la sécurité. Pour l’oligarchie régnante avec sa conception étroite de la démocratie une élection lave plus blanc, redistribue les cartes... et légitime les choix des gens désormais au pouvoir.

Perspectives (et questions) stratégiques pour des combats futurs

Le livre souligne enfin une série de perspectives qu’a esquissé le Printemps érable :

 la concertation sociale avec les représentantEs des classes dominantes ne peut déboucher sur des gains véritables. Il faut d’abord compter sur notre mobilisation.

 l’importance de multiplier les moments de discussion et de partage entre mouvements sociaux pour construire une unité agissante ;

 le caractère démocratique du mouvement est la condition de son unité démocratique ;

 la nécessité d’une jonction avec un grand mouvement syndical même si cette dernière n’a pu être réalisée.

Le 26 août, nous terminions la rédaction du livre, il y a bien des questions qu’il faudra bien aborder et qui nous semblent essentielles aussi : la place des rapports avec les partis politiques solidaires du mouvement ; la place de la lutte électorale et les rapports qu’a cette dernière avec les mobilisations de masse.

Le printemps de carrés rouges a été une expérience sans égale pour la jeunesse québécoise et une partie importante de la population. Nous avons essayé à notre mesure d’en rendre compte. Espérons que ce petit livre puisse contribuer à la compréhension des acquis de cette lutte pour pouvoir renforcer celles qui sont devant nous... car la lutte, elle, continue !

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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