par Nick Seebruch – Le 2 novembre 2022
traduction Johan Wallengren
L’Ontario pourrait être à la veille d’une action syndicale comme on n’en a pas vu depuis la grève du Congrès du travail du Canada en 1976. Le président du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) de l’Ontario, Fred Hahn, a déclaré qu’une grève générale dans la province est une possibilité bien réelle (« absolutely a possibility »).
Le SCFP réagit à la menace du gouvernement progressiste-conservateur du premier ministre Doug Ford d’utiliser la controversée disposition de dérogation de la Constitution du Canada pour imposer une entente au personnel de soutien à l’enseignement en vue de garder les écoles ouvertes.
Les pourparlers entre la province et le SCFP ont été rompus le mois dernier et le syndicat a menacé de déclencher une grève des 55 000 travailleurs de soutien à l’éducation membres le vendredi 4 novembre, à moins que la province ne revienne à la table des négociations avec une offre significative.
« Nos membres sont les secrétaires qui assurent le fonctionnement de l’école ; ils sont les gardiens et les agents d’entretien qui veillent à la sécurité et à la propreté des lieux, a déclaré M. Hahn dans une entrevue accordée à rabble.ca. Nos membres sont les éducateurs de la petite enfance qui œuvrent dans les classes de maternelle, les aides-enseignants qui travaillent avec les élèves ayant des besoins spéciaux, les bibliotechniciens qui contribuent à l’alphabétisation des jeunes et les techniciens d’éducation spécialisée. »
Un combat pour un accord plus équitable
Le SCFP plaide pour une augmentation des salaires de ses membres, dont 70 % sont des femmes et 60 % sont mis à pied chaque année durant la période estivale. M. Hahn a expliqué que le salaire annuel moyen des travailleurs de soutien à l’éducation est d’environ 39 000 $ par an.
Le SCFP a demandé au gouvernement une augmentation de 11 % du salaire annuel des employés membres du syndicat, mais dit que la province a présenté une contre-offre de seulement 2 % d’augmentation, un chiffre si bas qu’il s’est senti insulté.
Le taux d’inflation du mois de septembre en Ontario s’est établi à 6,9 %. Si l’on tient compte de l’inflation, la province demande dans les faits aux travailleurs membres du SCFP concernés de subir une réduction salariale de 5 % par rapport à l’année dernière.
« Nous avons parlé d’une augmentation salariale forfaitaire de 3,25 dollars de l’heure. C’était notre proposition de départ. Et c’est ce dont nous parlons depuis déjà un certain temps », a déclaré M. Hahn, expliquant qu’au cours de la dernière décennie, les salaires des travailleurs de l’éducation ont représenté une proportion de plus en plus faible du budget provincial.
Doug Ford a recours à l’« option nucléaire ».
Afin d’empêcher la grève qui s’annonçait, le gouvernement de Doug Ford a présenté un projet de loi à l’Assemblée législative qui invoque la disposition de dérogation de la Constitution du Canada.
Cette disposition permet à un gouvernement provincial ou fédéral d’adopter une loi qui contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés sur cinq ans, à condition de détenir la majorité des sièges à l’Assemblée.
En l’occurrence, la disposition de dérogation serait utilisée pour imposer un contrat aux employés représentés par le SCFP concernés et rendre toute forme de grève de leur part illégale.
« C’est un abus de pouvoir monstrueux. C’est l’option nucléaire, a déclaré M. Hahn. Mais en fait, plus j’en apprends sur ce dispositif législatif, plus je me rends compte que ce n’est pas seulement l’option nucléaire, c’est une bombe nucléaire après laquelle on sale la terre et on brûle tous les villages qui restent encore debout. »
M. Hahn a constaté que la disposition de dérogation empêcherait le SCFP, et quiconque d’autre d’ailleurs, de poursuivre le gouvernement au sujet du contrat proposé ou même de le faire examiner par un tribunal indépendant.
M. Ford a été le premier premier ministre de l’histoire de l’Ontario à invoquer la disposition de dérogation pour rétablir des parties de sa Loi sur le financement des élections qui avaient été déclarées inconstitutionnelles en 2021.
Le projet de loi qui imposerait un contrat au SCFP et rendrait illégale la grève projetée pour le 4 novembre doit faire l’objet d’un vote le jeudi 3 novembre.
Le ministre de l’Éducation, Stephen Lecce, a déclaré qu’il ne négociera pas avec le SCFP, à moins que le syndicat retire sa menace de grève.
M. Hahn a déclaré que malgré cela, et malgré l’utilisation de la disposition de dérogation visant à rendre la grève illégale, le débrayage prévu pour vendredi reste dans les plans.
« Il s’agit toujours, à l’heure où on se parle, d’une date de grève légale. Si, en fait, le projet de loi sur lequel le parlement au complet est en train de se pencher devient loi, alors nous protesterons ce jour-là et nos membres sont prêts à poursuivre le mouvement, car les enjeux sont tout simplement trop grands », a affirmé M. Hahn.
Bâtir un mouvement de résistance
Le mardi 1er novembre, 5 000 membres du SCFP et leurs partisans se sont rassemblés devant Queen’s Park à Toronto. M. Hahn a indiqué que d’autres syndicats et même certaines commissions scolaires ont exprimé leur soutien aux travailleurs de l’éducation.
M. Hahn a aussi expliqué qu’une grève générale se profile distinctement à l’horizon et prend forme d’une manière qu’il n’aurait pu imaginer auparavant.
« Je pense que c’est une possibilité bien réelle, quelque chose que je n’aurais pas pu imaginer auparavant. Beaucoup d’entre nous parlent de l’idée d’une grève générale comme s’il s’agissait d’un pays imaginaire, d’un beau rêve. Mais je pense que les gens voient ce qui est en jeu et si un gouvernement ne permet aucun processus ou débat démocratique, s’il se contente de créer une législation qui constitue un marteau ridicule à suspendre au-dessus de la tête des gens et de continuer à réduire les services... c’est le début d’une grande résistance à de nombreux aspects de ce que ce gouvernement a à présenter. »
– Fred Hahn
Le conflit dans les relations de travail qui oppose actuellement la province et le SCFP n’est qu’une des batailles menées dans le cadre d’une lutte à plus grande échelle que M. Hahn voit se déployer en réaction aux efforts de M. Ford visant à continuer à restreindre les salaires des employés du gouvernement et à réduire les services.
M. Hahn a notamment fait référence au projet de loi 124, adopté par le gouvernement Ford, qui plafonne les salaires de certains employés publics, comme les infirmières, à 1 % par an. Il considère également les efforts de Doug Ford pour introduire la privatisation dans le système de santé comme une autre attaque contre les services offerts par le gouvernement.
« C’est un mouvement qui se construit et c’est ce dont nous avons besoin, a déclaré M. Hahn à propos de l’idée d’une grève générale. Nous avons besoin d’un mouvement qui continue à se développer dans ces circonstances. Qui rassemble les communautés et les travailleurs et leurs alliés et autres pour vraiment parler de l’Ontario que nous voulons. Ce qui est en train de se passer ne ressemble en rien à l’Ontario que nous voulons. »
M. Hahn garde espoir qu’un accord puisse encore être trouvé avec la province.
« Je dois garder espoir et je sens définitivement que la pression est de plus en plus forte », a-t-il encore déclaré.
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