En tant que femme noire, immigrante et queer, militant dans plusieurs espaces au sein du mouvement des femmes au Québec, ce n’est pas la première fois que j’entends des femmes de la majorité se questionner sur la capacité des femmes aux marges à représenter le mouvement.
Constamment revient en leitmotiv cette crainte : en abordant sérieusement les enjeux et problématiques concernant les femmes aux marges, on fragmenterait le mouvement. Certaines affirment qu’il faut se pencher sur les questions qui nous rassemblent toutes et ne pas s’attaquer aux inégalités au sein de ce « Nous les femmes » qui se prétend universel. Mais quelles expériences allons-nous qualifier d’universelles et aux dépens de quels groupes de femmes ?
Comme vous pouvez le remarquer, je ne m’adresse pas aux femmes qui s’auto-identifient comme féministes mais qui par la suite participent à exclure des femmes dont les expériences ou les parcours ne correspondent pas à la norme. Je ne m’adresse pas non plus à ceux et celles qui veulent débattre à savoir si une femme trans est vraiment une femme. Ce texte vise plutôt les femmes qui se questionnent sur la capacité d’une femme minorisée — une femme placée aux marges par son parcours et son expérience — à représenter les femmes majoritaires. En fait, ce texte vise à répondre à la résistance des femmes majoritaires lorsqu’elles sont confrontées à la volonté de centrer les réalités qui ne correspondent pas à la norme en ce qui concerne l’identité de genre, la racialisation, l’orientation sexuelle, le statut socio-économique, la capacité physique, la santé mentale ou autre.
Femmes aux marges
Est-ce qu’il y a de la place pour nous, les femmes aux marges, au sein du mouvement des femmes ? La réponse est oui. Pas parce qu’on nous donne la parole, mais parce qu’on la prend. Pas parce qu’on est incluses, mais parce que, en ce moment historique au sein du mouvement des femmes au Québec, il y a des femmes qui prennent l’espace public et qui remettent au centre certaines expériences qui étaient systématiquement effacées auparavant. On existe. Et c’est dans notre existence même que se trouve cette résistance au sexisme, au racisme, à l’hétéronormativité, à la transphobie, au capacitisme et à toute autre violence qui opprime les femmes. Comme l’a dit Sojourner Truth, ancienne esclave, féministe et activiste pour l’abolition de l’esclavage : « Ne suis-je pas une femme ? »
Dans un contexte où les femmes doivent encore revendiquer des droits et l’égalité, il ne faudrait pas, encore, laisser des femmes en arrière. Il ne faut surtout pas oublier la lutte pour l’égalité entre les femmes. Centrer les marges ne constitue pas une menace au mouvement féministe. Il nous reste encore un long chemin à parcourir, des réparations à faire envers les femmes qui historiquement ont été exclues et poussées dans l’oubli. Au moment de vous engager dans la lutte féministe, n’oubliez pas de vous demander pour quelles femmes vous luttez et si vous n’êtes pas en train d’en exclure au nom d’une supposée expérience universelle des femmes. Puis, posez-vous une autre question. Comme le disait l’afroféministe queer Audre Lorde : « Quelle femme ici est si amoureuse de sa propre oppression au point qu’elle n’est plus capable de voir l’empreinte de son propre talon sur le visage d’une autre femme ? Quelle femme ici utilise sa propre oppression comme ticket d’entrée au rang des justes, loin des vents glacials de l’examen de conscience ? »
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