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Planète

Le libre-échange, ce poison du climat !

D’une façon générale, les règles commerciales internationales qui garantissent la libre circulation des capitaux, des biens et des services ont la priorité sur la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique. Pire encore, les mesures environnementales sont souvent vues comme des discriminations arbitraires au commerce.

8 déc. 2017 Par ATTAC FRANCE Blog : Attac France.

Dans l’accord du CETA, par exemple, ni son préambule, ni ses différents chapitres, ne font mention explicite de l’urgence climatique ou de l’Accord de Paris. Il serait donc vain de rechercher une quelconque compatibilité entre accords de libre-échange et lutte contre le réchauffement climatique.

Un antagonisme qui vient de loin

Dès 1971, le secrétariat du GATT1 chargé de rédiger un rapport dans la perspective de la conférence de Stockholm indique qu’il est nécessaire d’éviter « l’institution de systèmes nationaux pour combattre la pollution qui pourrait compromettre l’expansion continue des échanges internationaux2 ». Ainsi, dès le plan d’action établi lors du sommet de Stockholm, en 1972, les pays s’engagent à ne pas « invoquer leur souci de protéger l’environnement comme prétexte pour appliquer une politique discriminatoire ou réduire l’accès à leur marché3 » (recommandation 105).

Ce principe a été institué dans le texte même qui organise les négociations internationales sur le réchauffement climatique. L’article 3.5 de la Convention-cadre sur le changement climatique de l’ONU établie en 1992 à Rio de Janeiro est extrêmement clair : il n’est pas question que « les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques [...] constituent un moyen d’imposer des discriminations arbitraires ou injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce ». Il y a bien un décalage croissant entre, d’un côté, la réalité de la globalisation économique et financière qui concourt notamment à une exploitation et une consommation sans limites des ressources d’énergies fossiles et, de l’autre, des politiques et négociations climatiques qui esquivent toute discussion sur les règles du commerce mondial. Ainsi, lors de la COP21, de nombreux lobbys industriels se sont mobilisés pour que les émissions de l’aviation et du transport maritime international ne soit pas couvertes par l’Accord de Paris.

Cependant, s’impose à la même époque la théorie dite du « soutien mutuel », promue par les institutions internationales : libéralisation des échanges et lutte contre le changement climatique devraient s’entretenir et se renforcer. La courbe de Kuznets (années 1950), postulant la tendance à la diminution des inégalités avec la poursuite du développement économique, a été transposée sur le plan environnemental : la croissance économique, permise par le libre-échange, provoquerait dans un premier temps l’augmentation des pollutions, mais après un palier, elle permettrait leur réduction. Autrement dit, une fois un certain niveau de revenu atteint, alors la demande pour un meilleur cadre de vie et moins de pollution augmenterait, et le niveau de pollution diminuerait.
 
La globalisation des échanges augmente les émissions de gaz à effet de serre

Las… La concentration des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère n’attend pas la réalisation de la courbe de Kuznets pour accélérer le réchauffement climatique ! L’augmentation des émissions de gaz à effet de serre s’accélère en effet à partir des années 1980, période de la globalisation économique permise par l’extension du libre-échange. À l’échelle mondiale, plus on échange, plus on émet.

La globalisation agit sur les émissions de CO2 par le biais de deux canaux. Le premier est celui des services de transport, c’est-à-dire volume des biens transportés et moyens de transport utilisés, d’une part, et consommation d’énergies pour le transport. La globalisation des échanges (diversification des marchandises, dégroupage de la production, gonflement du volume des échanges) et la logistique de la mondialisation contribuent à hauteur de 21,5 % des émissions mondiales de CO24. 37 % des émissions globales des énergies fossiles proviennent du transport international, à quoi s’ajoute 23 % des émissions globales provenant du carbone incorporé dans les marchandises. Sur la période 1990-2008, le poids des produits entrant dans le commerce international est ainsi passé de 20 à 26 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cette augmentation des émissions liées aux biens échangés (4,3 % par an en moyenne) est supérieure à celle du PIB mondial sur la même période (3,6 % par an).

De plus, les émissions transférées dans les pays du Sud par le biais des délocalisations industrielles excédent les réductions accomplies dans les pays du Nord. Ainsi, l’ALENA et l’Accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Australie, entré en vigueur le 1er janvier 2005, accentuent les émissions de CO2 en raison de l’accroissement du transport routier pour le premier et du fret maritime pour le second. L’Accord de libre-échange euro-méditerranéen aurait un impact global défavorable sur les changements climatiques en raison de l’intensification des transports dans l’espace euro-méditerranéen et de la modification des modes de consommation dans les pays de la rive Sud.

Le second canal par lequel la globalisation agit sur les émissions, est celui du « carbone virtuel », c’est-à-dire le carbone contenu dans les importations d’un pays. Il s’agit des volumes de CO2 émis par le processus productif du pays ainsi que le carbone non émis par un pays du fait de ses importations. Les principaux exportateurs de carbone virtuel sont la Chine, la Russie, les pays du Moyen-Orient, l’Afrique du Sud, l’Ukraine et l’Inde. Les principaux importateurs nets sont les pays membres de l’Union européenne, les États-Unis et le Japon. Les pays consommant le plus de carbone virtuel par dollar de PIB produit sont la Russie, la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud, données qui recoupent les équilibres caractéristiques de la globalisation.

Le CETA, un cas d’école

Selon l’étude d’impact « de durabilité » de la Commission européenne publiée en juin 20115, l’effet du CETA sur les émissions de gaz à effet de serre est bien réel : elles sont attendues en légère augmentation pour 2018 (+ 0,01 %), notamment au Canada (+ 0,3 %), en raison de la croissance des secteurs des transports, de l’extraction d’hydrocarbures et produits miniers et de l’industrie, et de la plus grande utilisation de charbon dans la production électrique. Un résultat peu surprenant puisque le CETA doit conduire, dans l’esprit des deux parties, à une hausse des investissements européens dans le pétrole issu des sables bitumineux, qui est une fois et demie plus émetteur de gaz à effet de serre que les pétroles conventionnels, ainsi que dans les grands projets d’infrastructures pétrolières qui doivent permettre d’exporter ce même pétrole.

Quant aux chapitres du traité concernant l’environnement et le développement durable (seules 13 des 1 598 pages portent le sujet…), ils ne sont pas opposables. Ils se bornent à appeler à la coopération et au respect de principes généraux, privilégiant des mécanismes d’autorégulation et de marché sans mettre à disposition aucun instrument de contrainte ou de sanction. En matière de commerce et d’investissement, les règles sont contraignantes et dotées de mécanismes de sanction. Ce n’est pas le cas en matière d’environnement : ces chapitres ne peuvent être opposés en cas de poursuite par un investisseur. Les États se limitent à « coopérer » et mener « des échanges techniques, échanges d’information et de meilleures pratiques, de projets de recherche, d’études et de conférences ». Si le dumping environnemental est découragé, l’accord décourage aussi toute mesure environnementale qui pourrait être inutilement néfaste au commerce, et appelle au contraire à envisager l’environnement comme un facteur de compétitivité. Aucune clause ne protège, de façon explicite et juridiquement contraignante, le droit des États et des collectivités publiques à décider de toute mesure politique de lutte contre les dérèglements climatiques qui nécessiterait de s’affranchir des chapitres d’accès aux marchés ou de protection des investisseurs. L’accord ne comporte pas de clause de « sauvegarde » qui permettrait de se soustraire à certains engagements commerciaux au nom de l’impératif climatique ou en cas de crise majeure. Le CETA maintient le caractère secondaire de l’urgence climatique face aux règles commerciales.
 
OMC et climat : une convergence impossible

En l’état actuel, les Accords de l’OMC ne sont pas en mesure de répondre aux enjeux des changements climatiques car, malgré l’existence d’un ensemble de règle relatives aux politiques climatiques, de nombreuses zones de frictions et de conflits potentiels entre les accords de l’OMC et le régime climatique subsistent. Tout d’abord, le régime OMC s’appuie sur des principes dont l’expression normative limite considérablement toute action collective efficace contre le changement climatique. C’est pourquoi, la mise en œuvre de mesures climatiques telles qu’une taxe carbone aux frontières ou des subventions aux énergies renouvelables a de fortes chances d’entrer en conflit avec le régime OMC.

Ensuite, la doctrine mercantiliste du régime OMC fait de l’accès au marché et de l’expansion des exportations un droit fondamental du système commercial multilatéral, amplifiant ainsi l’effet d’échelle. Enfin, l’Accord sur les droits de propriété liés au commerce (ADPIC) limite les possibilités de bénéficier de technologies avancées en matière de réduction des GES ou de les produire, atténuant l’effet de technique associé à la libéralisation des échanges. Ajoutons à cela l’effet d’envergure qui fait que le problème climatique n’entre pas dans les catégories d’externalités environnementales traitées par l’OMC. Le régime OMC et la procédure de règlement des différends ne sont pas conçus pour faciliter le respect des règles de politique climatique. Enfin, l’équilibre des rapports de puissance au sein de l’OMC ne plaide pas pour une telle évolution du système.

D’une manière générale, les politiques de libéralisation du commerce et de l’investissement affaiblissent considérablement les normes écologiques et entravent les politiques de transition énergétique, faisant du droit commercial un droit supérieur au droit de l’environnement et au défi climatique. En s’appuyant sur cette hiérarchie des normes, l’OMC et les accords bilatéraux ou régionaux de libéralisation du commerce et de l’investissement réduisent fortement la capacité des États et des collectivités locales à soutenir le développement des énergies renouvelables sur leurs territoires, et à mettre en œuvre des politiques de sobriété et d’efficacité énergétiques. Les mesures de protection de l’environnement sont contestées et invalidées au motif d’être une « restriction déguisée au commerce international ». Le droit à réguler est donc fortement limité, au détriment de la capacité à soutenir le déploiement des énergies renouvelables et à faciliter la relocalisation des activités économiques. Au contraire, les politiques de libéralisation des échanges et des capitaux transfèrent dangereusement le pouvoir des États aux marchés et aux entreprises multinationales.
 
 
L’hégémonie du droit du commerce est une attaque frontale contre la capacité des populations à s’orienter vers « des sociétés plus agréables à vivre, plus conviviales, plus solidaires, plus justes et plus humaines6 ». Préserver la possibilité de mettre en œuvre une véritable transition écologique et sociale exige donc d’en finir avec l’expansion du libre-échange et la suprématie du droit des affaires sur nos vies. Car le pouvoir des multinationales des énergies fossiles et l’inertie « climaticide » des gouvernements sont le fruit d’un régime commercial et d’investissement qu’il s’agit de remettre à plat : au nom du climat, il est temps de rénover les règles du commerce mondial. Les théories économiques sont inaptes à comprendre l’irréversibilité du réchauffement climatique. La sobriété, la relocalisation des activités, la promotion des low-tech, autant de conditions pour refroidir la Terre et construire des sociétés résilientes, ne peuvent s’accommoder du dogme du libre-échange.

Notes

1. General Agreement on Tarifs and Trade (GATT). En français : accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, AGETAC.
2. GATT, “Industrial pollution control and international Trade”, 1971.
3. Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), http://unfccc.int/resource/docs/convkp/convfr.pdf
4. Cité par Mehdi Abbas, Libre-échange et changements climatiques : soutien mutuel ou divergence ? https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2013-2-page-33.htm
5. A Trade SIA relating to the negociation of a comprehensive economic and trade agreement between the EU and Canada, June 2011, http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2011/september/tradoc_148201.pdf
6. Appel “Créons 10, 100, 1 000 Alternatiba en Europe” - http://www.bizimugi.eu/fr/creons-10-100-1-000- alternatiba-en-europe/

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