photo et article tirés de NPA 29
Si cette crise doit être l’occasion de réfléchir sur l’Etat, il faut souligner que la pire des réactions serait celle qui consisterait à promouvoir « l’union sacrée ».
Pour faire face au malheur en situation de crise, l’union sacrée est censée estomper les différen-ces entre les membres de la patrie. Le malheur est conçu comme un évènement frappant de façon aléatoire la population. Nous serions tous concernés, à égalité. L’union sacrée serait utile face à la maladie. En effet, qu’y a-t-il de plus universel et donc de plus unificateur que le risque de mort devant la maladie ?
Ce raisonnement oublie d’abord que, contrairement à la croyance populaire, la maladie choisit ses victimes.
Si nous n’avons évidemment pas de données concernant la situation actuelle, les études démontrent que ce sont statistiquement toujours les plus pauvres qui souffrent le plus des problèmes de santé.
La maladie n’est pas aveugle. L’Etat non plus : alors que les plus pauvres sont les plus malades notre système de santé est plus couvrant pour les plus riches qui ont les assurances santé les plus protectrices. Les inégalités sociales et les inégalités de santé se cumulent.
Dans la crise actuelle, de nombreuses personnes sont scandalisées par le fait que des personnalités publiques à peine malade (ministres, députés, joueurs de football, etc.) aient accès au dépistage plutôt que les « simples » citoyens pourtant ayant des symptômes graves.
Lorsqu’arrivera, du fait de la massification de l’épidémie, le moment de séparer les malades que l’on peut traiter de ceux que l’on décidera de laisser à leur sort, qui s’imagine que les choix se feront indépendamment de critères de milieux sociaux ? L’union sacrée se heurte nécessaire-ment à des questions sociales.
Comment imaginer une union sacrée sur la question de l’organisation du système de santé et l’organisation économique ? Dans une économie de guerre, il faudra choisir les modalités exactes, par exemple, de sauvetage des multinationales.
Faudra-t-il les nationaliser, les socialiser, les refinancer gracieusement ? En 2008 les Etats ont épongé massivement les pertes des banques sans la moindre contrepartie – au prix de l’austérité pour les milieux populaires et les services publics (notamment les systèmes publics de santé). L’intérêt de la socialisation plutôt que de la nationalisation est de mobiliser des procédures démocratiques permettant de résoudre les conflits sociaux.
L’économie de guerre est très certainement une nécessité face aux conséquences sanitaires et économiques du Covid-19. Il faut cependant se méfier de l’étatisation et de l’union sacrée qui sont un danger pour la démocratie dans leur tendance séculaire à invisibiliser la conflictualité sociale. (Extrait voir lien)
Philippe Batifoulier, Centre de recherche en économie de l’Université Paris-Nord ;
Nicolas Da Silva, Centre de recherche en économie de l’Université Paris-Nord ;
Mehrdad Vahabi, Centre de recherche en économie de l’Université Paris-Nord.
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