C’est donc tout « normalement » que François Hollande s’est évertué à rassurer à la fois les rentiers de la dette publique en se présentant comme le grand sauveur des finances publiques, les actionnaires en rappelant l‘axe central de la politique gouvernementale, à savoir la compétitivité des entreprises, et enfin les chômeurs en leur disant qu’il est dans l’ordre nécessaire des choses qu’ils se sacrifient sur l’autel des intérêts des rentiers et actionnaires ! A l’occasion de ce genre de vœux présidentiels, disons bien classiques dans le cadre d’une complicité à peine dissimulée par le pouvoir politique avec les forces du capital pour la défense du capitalisme patrimonial, il n’est pas inintéressant de faire un point rapide et synthétique sur certaines évolutions majeures de longue période indissociables à cette forme particulière du système capitaliste durant les trente dernières années. Ces évolutions importantes, dont on peut en repérer au moins cinq, qui seront présentées graphiquement, entretiennent bien évidemment des causalités réciproques. Seules les causalités dominantes seront exposées.
La conception de l’Europe-marché qui a présidé à la construction européenne et permis au capitalisme financier de prospérer, a été à l’origine d’une course incensée au dumping social et fiscal de la part des États européens, d‘autant plus dommageable, qu’en se généralisant au fur et à mesure de l’élargissement de l’Union européenne, elle a portée atteinte à un moteur essentiel de la croissance, la demande. Le dumping social s’est traduit en effet pour l’économie hexagonale, sur fond de tyrannie de la rémunération du capital, par une baisse conséquente de la part des salaires dans la valeur ajoutée à partir de 1982 (cf. graphique n°1) : la part des salaires est ainsi passée de plus de 76 % dans la valeur ajoutée en 1982 à 69 % en 2011 contre 72 % en 1950.
Le dumping fiscal que se sont livrés les pays de l’Union européenne (cf. graphique n°2) et dans lequel n’a pas hésité à s’engouffrer l’économie française, s’est traduit par des cadeaux fiscaux conséquents pour les grandes entreprises et les riches épargnants. Ces mêmes largesses fiscales vont avoir une responsabilité directe majeure dans la crise des dettes publiques en Europe à partir de 2009.
Dans la logique du capitalisme financier où l’endettement public croissant doit servir autant l’enrichissement des marchés financiers, sinon plus (!), que l’intérêt général, la dictature financière a su imposer ses lois aux contribuables, notamment par la spoliation d’une part croissante des recettes fiscales au titre du seul remboursement des intérêts liés à la dette publique (cf. la courbe mauve en pointillés du cumul des intérêts liés à la dette publique depuis 1979, à partir du graphique n°3). En final, pour 2012, si l’on ajoute aux intérêts, le remboursement du capital, près de 160 milliards d’euros auront été absorbés par le service de la dette publique, soit 60 % des recettes du budget de l’État, dont près de 60 milliards pour la seule charge de la dette.
Ce capitalisme actionnarial n’a pas seulement fonctionné grâce à la liberté des mouvements internationaux de capitaux en Europe, organisée dans le cadre de l’Acte unique (1986) et le traité de Maastricht en 1992. Il a également eu besoin de s’appuyer sur le libre-échange naïf et aveugle vis-à-vis de pays dont la faiblesse du coût du travail n’est que le reflet de conditions de travail esclavagistes de la main d’œuvre. Une option libre-échangiste dans notre Europe-marché qui, en l’absence d’une politique industrielle européenne et compte tenu du déshabillage des politiques nationales imposé par Bruxelles, n’a pu être que désindustrialisante et tentation permanente au moins-disant social pour les vieilles nations industrialisées comme la France (cf. graphique n°4).
En final, qui a payé et continuera de payer le coût exorbitant d’une politique de sauvetage d’un système en déliquescence, inique socialement, inefficace économiquement et destructeur pour la planète ? Question posée autrement : quelles sont les principales victimes faisant les frais du choix politique de la préservation des logiques du capitalisme patrimonial ? Nous avons l’essentiel de la réponse dans le développement du chômage de masse depuis plus de trente ans (cf. graphique n°5), statistique du chômage ô combien restrictive ici puisque définie au sens des critères du Bureau international du travail. Car, si l’on compte toutes les catégories des demandeurs d’emploi de pôle emploi, ce n’est pas 3 millions de chômeurs que la France comptabilise fin 2012, mais 5 millions, auxquels il faut ajouter 1,3 million de travailleurs à temps partiel subi (sous-emploi au sens de l’Insee).
Et pour être plus proche de la réalité sur les "payeurs en dernier ressort" du choix politique de la continuité, il serait souhaitable d’avoir en perspective une autre courbe, tout autant explosive que celle du chômage, celle des émissions de gaz à effet de serre, traduisant le coût écologique dont devront s’acquitter les générations futures sur l‘autel de la cupidité égoïste du capitalisme financier d‘aujourd’hui.
Que de contradictions invraisemblables entretenues pour le bénéfice de quelques-uns et le malheur de presque tous !