Édition du 17 décembre 2024

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Algérie et Soudan

Le Soudan à l’heure d’une révolution incertaine

Les militaires et l’opposition sont arrivés le 14 mai à un accord sur une période de transition politique de trois ans devant préparer un transfert du pouvoir aux civils. Ils devraient annoncer rapidement la composition d’un Conseil souverain et d’un exécutif pour assurer la gestion du pays. Mais les obstacles restent nombreux, comme le montre la suspension mercredi des négociations en cours.

Tiré de Orient XXI.

À l’arrière des autos sans climatisation, la chaleur est insoutenable. La sueur perle dans les nuques et dégouline sous les pantalons à intervalles réguliers, du creux des genoux jusqu’aux chevilles. Sur le bitume brûlant, les petits vendeurs de mouchoirs font une grasse saison et distribuent aux chalands coincés dans les embouteillages des paquets de manadil (mouchoirs en papier) qui se désagrègent dès qu’ils sont posés sur les tempes. Les Khartoumais sont tous d’accord : « ça faisait longtemps qu’on n’avait pas eu un printemps aussi chaud ! ». À quelques encablures du centre névralgique d’Al-Qiyada — le ministère de la défense —, de grands panneaux jaunes ont été installés : « Merci pour votre patience, déboulonnage du régime en cours. » Chaque jour, le sit-in prend de l’ampleur, paralysant un peu plus la capitale. Sur les extérieurs, les briques et les branches d’arbres s’amoncèlent, toujours plus haut pour protéger le cœur d’une révolution qui se joue derrière ces barricades de fortune et des cordons de jeunes fouilleurs improvisés. On hèle les jeunes femmes à grand renfort de drapeaux et de mains qui brassent le ciel : « De l’autre côté ! de l’autre côté ! » s’amuse-t-on avant de procéder à des contrôles minutieux des poches et des sacs à dos. Femmes d’un côté, hommes de l’autre. Miroirs, stylos et tout objet potentiellement tranchant sont confisqués.

Depuis plus d’un mois, ils sont des milliers, drapeaux du Soudan inlassablement jetés sur les épaules, joues bariolées aux couleurs du pays, dansant dans les allées, vociférant leur soif de justice, martelant le pont en fer de Kobir avec de grosses pierres, se relayant jour et nuit. « Lam tasgot baad ! » (il n’est toujours pas tombé) ou « Sakatat ma sakatat ! Saabina ! » (qu’il soit encore là ou pas, nous on reste !) Depuis le 6 mai, début du mois de ramadan pour les musulmans, la cadence a ralenti. En journée, le rassemblement prend des airs de fête foraine à laquelle on est arrivé trop tôt. On y flâne et se repose à l’ombre des bâtiments réquisitionnés par les révolutionnaires en attendant l’heure de l’iftar, la rupture du jeûne. Dès le crépuscule, quand la soif est étanchée et les estomacs dorlotés par le foul (purée de fèves noires) et l’asida (épaisse galette de blé, d’avoine ou de sorgho) la fureur se lève de nouveau dans un brouhaha de musique et de cris jusqu’à l’aube du jour qui suit. Depuis 34 jours, tout le Soudan ou presque semble s’être donné rendez-vous sur ce serpentin de rues réquisitionnées devenues siège labyrinthique de la contestation, et malgré la population aussi diverse qu’excitée, seuls quelques incidents sporadiques avaient été déplorés jusqu’au 13 avril dernier.

Tirs à balles réelles

Ce soir-là, aux alentours de 20 heures, le Conseil militaire de transition (CMT) qui s’est approprié le pouvoir après le renversement d’Omar Al-Bashir vient de dire pour la troisième fois en un mois qu’il a trouvé un accord avec l’opposition civile. Par la voix du général Shams El-Din Kabbashi, son porte-parole, il affirme s’être mis « d’accord sur la structure des organes de transition et leurs prérogatives ». Jusqu’ici, militaires et opposition civile divergeaient sur de nombreux points, notamment sur la durée de la période de transition et la part de civils et de militaires amenés à siéger au sein du prochain Conseil souverain jusqu’à la prochaine élection. L’information est rapidement confirmée par l’un des porte-paroles des protestataires, Taha Osman.

Tout n’est pas réglé, loin de là, mais le Soudan croit entrevoir enfin le préambule d’une résolution de crise. Mais vers 22 heures, des hommes armés sont signalés dans la foule d’Al-Qiyada ; ils entrent dans le rassemblement et tirent sur les manifestants. Panique et confusion. Les balles sont réelles. Une cinquantaine de manifestants est touchée. Cinq décèdent ainsi qu’un policier. Sur le sit-in, les protestataires exultent. Ils affirment que ce sont les Rapid Support Forces (RSF) qui ont lancé l’assaut avant de se repositionner en bataillons serrés.

Depuis le renversement de l’ancien régime le 11 avril dernier, le CMT, qui a autorité sur l’armée régulière et ses factions affiliées, dont les RSF, a toujours été clair : « Jamais la violence ne sera utilisée contre les personnes présentes sur Al-Qiyada ». Une promesse renouvelée début mai lors de notre rencontre avec le général Salah Abd Al-Khalig, l’un des huit haut gradés à la tête du conseil militaire. « On ne leur fera jamais de mal. C’est notre peuple, ce sont nos fils, on n’utilisera jamais la violence contre eux parce que c’est grâce à eux qu’on est arrivé à la tête du Soudan », a-t-il expliqué. « Mais on veut que les violences cessent aux alentours du sit-in et dans les autres quartiers de Khartoum. Ce genre de choses, il faut que ça s’arrête. En dehors du quartier général, ce n’est pas notre peuple et on utilisera nos procédures habituelles, avec la police, etc., de manière légale contre les fauteurs de trouble », avait-il mis en garde. Qui peut être alors considéré comme un fauteur de trouble et qui ne l’est pas ?

Rapidement, après les heurts, les militaires ont déployé les chars de l’armée régulière pour « protéger les manifestants » sous les yeux ahuris des révolutionnaires confus ; certains leur laissant la voie libre, d’autres accusant les soldats en treillis beige d’être l’armée du pouvoir avant tout. Le CMT s’est dans la foulée dédouané de toute responsabilité dans ces violences et a accusé « des éléments non identifiés qui voulaient saboter les négociations », avant d’évoquer « une faction rebelle au sein de RSF insatisfaite de l’avancée des discussions entre les militaires et les leaders d’opposition ».

« Il y a une confusion quant à savoir si les auteurs de l’attaque agissaient sur ordre du commandement central de RSF ou s’ils étaient des individus dissidents infiltrant RSF », note Giulia Carlini, conseillère juridique spécialiste du Soudan au sein de MENA Rights, une ONG de défense des droits humains basée à Genève. Au lendemain de cette attaque, certains responsables de RSF se sont également défendus de toute responsabilité, arguant l’infiltration de personnes non identifiées au sein de leurs troupes portant leurs uniformes. « Il n’y a aucune information permettant de confirmer ou d’infirmer de telles allégations. »

Force régulière ou milice insubordonnée ?

Reconnaissables à leur plaque d’immatriculation rouge et verte, leurs bérets rouges et leur arsenal impressionnant, ils étaient cantonnés il y a encore peu aux zones rurales et aux périphéries, mais depuis plusieurs semaines, les RSF occupent tous les points stratégiques de Khartoum. Si cette force paramilitaire a été intégrée à l’armée régulière sous les auspices d’Omar Al-Bashir qui en avait fait sa garde prétorienne avant que celle-ci s’allie aux mutins, elle continue de ne répondre aux ordres que d’un seul homme : Mohamed Hamdan Daglo, plus connu sous le nom de Hemedti. Propulsé vice-président du CMT à la faveur du coup d’État, il est aussi un chef de guerre redouté, accusé avec ses hommes autrefois appelés les janjawid de crimes de guerre et de génocide pour le compte de l’ancien régime.

Nés de la fusion de milices arabes tchadiennes et soudanaises au début des années 1990, les janjawid étaient à l’origine des bandes de truands qui persécutaient les habitants des villages à la frontière entre les deux pays. Ils ne sont devenus un escadron à part entière qu’entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, après avoir été réquisitionnés par le pouvoir central de Khartoum pour mettre un terme à l’insurrection des populations agricoles sédentaires du Darfour, considérées comme africaines — en opposition aux Arabes — qui protestaient contre les discriminations, le racket de leurs terres et l’absence de développement dans une région pourtant riche en ressources. Montés sur des chameaux, formés et équipés par les services de renseignement soudanais (National Intelligence and Security Service, NISS), ils gagnent en force de frappe et en organisation avec l’appui d’Al-Bashir et de son cercle proche. En 2003, ils sont chargés de colmater l’insurrection darfourie qui s’est dotée de plusieurs groupes rebelles armés : l’Armée de libération du Soudan (Sudan Liberation Army, SLA) dans ses différentes factions et le Mouvement pour la justice et l’égalité (Justice and Equality Movement, JEM).

« Les hommes sans pitié » d’Hemedti mènent une tactique de terre brûlée, principalement au Darfour et commettent des atrocités à grande échelle à l’encontre des populations four, masalit et zaghawa : pillages, viols collectifs, pogroms. Selon les Nations unies, la « guerre au Darfour » a provoqué la mort d’environ 300 000 personnes, le déplacement de 2,7 millions de Soudanais dont 230 000 réfugiés au Tchad. Un génocide et des crimes contre l’humanité qui vaudront à l’ancien président soudanais et à six de ses collaborateurs un mandat d’arrêt lancé par la Cour pénale internationale (CPI), auquel Hemedti a jusqu’à présent miraculeusement échappé.

Entre autres exactions, l’homme a aussi à son actif le massacre de plus de 200 personnes perpétré dans la capitale soudanaise en 2013, en pleine vague de contestation contre le pouvoir en place, prémices de la révolution qui a renversé le régime islamo-militariste six ans plus tard. Mais le chef de guerre sanguinaire a néanmoins réussi à gagner en popularité récemment. Au pic de la répression contre les manifestants, l’ancien homme de main d’Al-Bashir a refusé de lancer ses soldats à l’assaut des contestataires qui convergeaient vers le ministère de la défense pour réclamer le départ de celui-ci. Autrefois honnies ou simplement ignorées, ses « actions positives » sont désormais louées par une large partie de la population, prête à lui donner une seconde chance. Du moins dans l’immédiat. « Pour le moment Hemedti a fait preuve de bonne foi, donc on attend de voir ce qu’il va faire de nous, mais quand on aura réglé nos problèmes actuels, il faudra qu’on ait une discussion avec lui, il a des comptes à nous rendre », assène Mostafa, une jeune manifestant rencontré sur le sit-in. Un discours qui l’on retrouve en réalité dans beaucoup de bouches, si tant est qu’on ne veuille pas se contenter d’un simple « Hemedti ? Ça va ! »

Les Soudanais ne sont pas dupes. Et si les massacres au Darfour et les épopées meurtrières de 2013 se sont évanouis dans les esprits, l’incident du 13 mai pourrait venir entacher sa bonne réputation fraîchement acquise et rappeler à leur bon souvenir le sang qui salit les mains du nouvel homme fort du pays.

Et ce n’est en vérité pas le seul dérapage.

Troubles et répression en province

Plusieurs jours avant la fusillade d’Al-Qiyada, les tensions se sont multipliées à Khartoum où plusieurs personnes ont rapporté avoir été violentées par ses forces : tentatives de démantèlement sauvage du sit-in, passages à tabac. Des actes isolés, assure-t-on dans les hautes sphères. Peut-être aussi un signal inquiétant que les militaires ne tiennent pas Hemedti comme ils l’espéraient en le plaçant au poste de numéro 2 de leur conseil. Pire encore, pendant que tous les regards sont rivés sur Khartoum et son rassemblement, les incidents se sont surtout multipliés dans les zones rurales.

Le 30 avril dernier, à Juldo, un petit village du Darfour-Central à équidistance entre Zalingei et Al-Fashir, les RSF ont tué quatre personnes dans des circonstances troubles. À Nyala, capitale du gouvernorat du Sud-Darfour le 4 mai dernier, un groupe de Darfouris, habitants du camp de déplacés Outash a organisé une marche pour demander la démission des responsables du camp, affiliés au Parti du congrès national (National Congress Party, NCP) d’Omar Al-Bashir, et demandé un approvisionnement en nourriture. Arrivés devant les bureaux du gouverneur dans le quartier général de la 16e division d’infanterie, les forces de sécurité et RSF ont attaqué les manifestants pour disperser la foule. Le général Hashim Khalid Mahmoud s’est défendu, affirmant que les forces de sécurité avaient « empêché des actes de sabotages et des émeutes » en utilisant des gaz lacrymogènes contre des manifestants qui essayaient de « voler les voitures des militaires ». Des informations démenties par des témoins sur place et le personnel médical de l’hôpital technique de Nyala, qui ont raconté qu’au moins deux personnes avaient été admises à la suite de blessures par balle. Selon les informations du Sudan Tribune, la police antiémeute est ensuite entrée de force dans les urgences du centre hospitalier, a frappé et arrêté des participants à la marche, faisant plusieurs blessés.

À Madani aussi, deuxième ville du pays au nord de Khartoum, le 6 mai, un petit sit-in dans le centre-ville a été attaqué par des hommes armés non identifiés, provoquant des heurts. L’armée régulière assure être intervenue. Bilan : neuf blessés. Quelques jours plus tard à Zalingei, dans le Darfour-Central, RSF a de nouveau dispersé une manifestation dans la violence, faisant plusieurs blessées et un mort.

Des périphéries inaccessibles

Pourquoi la périphérie et les zones rurales sont-elles en proie à de telles violences ? « Après le coup d’État, les manifestations à Khartoum se sont déroulées dans le calme et, du moins jusqu’à la semaine dernière, l’armée, le NISS, la police et RSF ne s’y sont pas opposés. Cependant, la capitale n’est pas une représentation de ce qui se passe dans tout le pays », rappelle Giulia Carlini. « Cela ressort également du fait que, si Khartoum est le centre de l’attention des médias et de la communauté internationale, le reste du pays reste difficilement accessible aux journalistes. L’actuel Conseil militaire de transition a rejeté les demandes de plusieurs reporters de se rendre dans des régions comme le Darfour. Il semble que le CMT applique la même stratégie que l’ancien régime d’Al-Bashir, commettant de graves violations des droits humains dans diverses régions du Soudan, qui sont tenues pour inaccessibles au reste du pays et en particulier aux étrangers. Difficile donc de documenter les abus contre ces communautés », précise-t-elle.

« Dans le centre, l’armée et même le NISS sont d’autant moins violents qu’ils ont des parents parmi les manifestants. Les RSF eux, n’hésitent pas à être aussi violents qu’au Darfour quand ils font de la répression au centre, mais on voit que quand la violence des RSF touche des gens du centre, elle provoque aussi beaucoup plus de réactions dans les médias, sur les réseaux sociaux, etc. Ce qui explique la relative modération des RSF, en tout cas pour l’instant », note aussi Jérôme Tubiana, chercheur spécialiste du Soudan et auteur de Chroniques du Darfour.

Pour Khalil Tokran, avocat et collaborateur des Nations unies au Darfour, si des exactions ont toujours bien lieu, principalement à l’extérieur de Khartoum, il est nécessaire de différencier « combats systémiques et incidents d’ordre individuel ». « Il y a des gens qui protestent, partout dans le pays. Les RSF vont sur le marché, les manifestants les insultent, ils ouvrent le feu. Voilà le genre de choses qui arrive encore », explique-t-il. « Il n’y a pas, du moins en ce moment, de combats systématiques. En revanche, les RSF qui sont restés sur le terrain n’ont plus vraiment de commandement alors qu’Hemedti et le gros de ses troupes — estimé à 13 000 hommes — sont à Khartoum. Il y a donc de petits groupes de soldats, qui, sans chaine de commandement, font la loi eux-mêmes. Il y a un regain d’ego pour eux, leur chef est à la tête du CMT, ils ont un sentiment d’appartenance important et se sentent les nouveaux chefs en charge de la zone : ils sont convaincus que maintenant qu’Hemedti est là où il est, ils ont le pouvoir et le contrôle. Il faut se souvenir que les soldats de RSF sont en grande majorité des gens qui ne sont pas éduqués. Ils ont un sentiment d’impunité aussi, car personne ne peut les remettre en cause en ce moment, donc les dérapages continuent, mais à une échelle individuelle, il n’y a pas d’ordre direct d’Hemeti de poursuivre ces exactions, il me semble », explique le spécialiste basé à Nyala. « Il y a aussi des éléments extérieurs à RSF qui commettent des exactions et se justifient ensuite en disant en faire partie », ajoute-t-il.

Une multiplication d’acteurs

Si les responsabilités du Conseil militaire, de l’armée régulière et des forces d’Hemedti sont indiscutables dans la majorité des incidents récents, un point d’interrogation plane toujours sur les violences commises à Al-Qiyada le 13 avril dernier. Quelles pourraient être les forces responsables de ces violences et pour quel intérêt ?

Depuis la destitution d’Omar Al-Bashir, les puissants et ultra-redoutés services de renseignement se font discrets, mais n’ont pas cessé leurs activités pour autant. Après la démission — ou plutôt la destitution — de son chef légendaire Salah Gosh, de l’aveu d’un agent avec qui Orient XXI a pu s’entretenir, « le NISS va avoir besoin d’un peu de temps avant d’être repris en main », explique-t-il. « On nous a informés qu’on allait potentiellement être réforméS ; en réalité, je pense qu’on se fait juste discret en ce moment. On a toujours des contacts très resserrés avec le conseil militaire. On continue de collecter des informations sur le terrain et on leur fournit ».

L’homme dément d’ailleurs en bloc avoir été impliqué de près ou de loin dans des missions de répression violente contre les manifestants entre décembre 2018 et avril 2019. « Notre rôle est avant tout de collecter de l’information. En tout cas, moi, durant ma carrière, je n’ai jamais fait autre chose que ça. Les gens qui racontent que le NISS était en embuscade contre les manifestants, c’est faux, on n’a jamais pris part à des affrontements. Pas moi en tout cas, ce n’est pas mon travail », affirme-t-il, assurant aussi que si ses services ont parfois recours à des arabata, des voyous payés par les autorités pour semer la pagaille dans des rassemblements et casser du manifestant, il assure qu’ils « ne font pas ça en ce moment. »

Si le NISS est paralysé, quid de ses petites milices urbaines inactives, qu’Omar Al-Bashir qualifiait lui-même de « troupes de l’ombre » ? Ces groupes armés affiliés clandestinement au NCP ont également disparu des radars, tout comme les milices islamistes de la Sécurité populaire, les amn al-chaabiya. Soupçonnées d’être restées loyales à l’ancien régime, rien n’exclut néanmoins qu’elles ne soient derrière un certain nombre de ces violences restées inexpliquées. Pour le compte des proches d’Al-Bashir et selon les plus pessimistes, potentiellement pour le compte du CMT si celui-ci s’avère toujours infiltré par des fidèles de l’ancien régime. « Les gens craignent que des éléments du NCP ou d’autres anciens alliés d’Al-Bashir soient toujours impliqués. De mon point de vue, ces groupes sont actuellement marginalisés et n’ont ni l’effet de levier ni la marge de manœuvre nécessaires pour avoir un impact réel pour le moment », tempère néanmoins Rachel Jacob, analyste du Soudan pour l’entreprise de conseils en risques géopolitiques Max Security.

Un cessez-le-feu de trois mois

Une possibilité qui inquiète néanmoins de l’autre côté de l’échiquier des groupes armés, les milices rebelles, nombreuses au Soudan : le JEM, les différentes factions du SLM, le SLM-MM de Minni Minawi, le SLM-AW d’Abdelwahid Al-Nour, le SLM-TC d’Elhadi Idriss, mais aussi les différentes branches du Mouvement populaire de libération du Soudan (Sudan People’s Liberation Movement, SPLM ), le SPLM-N dirigé par Malik Agar dans le Nil Bleu et au Sud-Kordofan le SPLM/A, chapeauté par Abdelaziz Al-Hilu, et toutes les autres entités comme le Front des Forces révolutionnaires démocratiques (FFRD).

Plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs annoncé un cessez-le-feu de trois mois, craignant d’être accusées d’avoir fomenté ces attaques qu’elles prévoyaient, mais aussi pour éviter une instrumentalisation des affrontements entre forces de sécurité alliées au régime et groupes rebelles dans les périphéries pour justifier une répression généralisée sur l’ensemble des révolutionnaires. « Nous soutenons la révolution actuelle, et pour cela, nous déclarons la cessation des hostilités afin de permettre des négociations dans un environnement sain », explique Elhadi Idress, chef du SLM-TC présent dans l’ouest du Soudan. Salah Abdel Hosman, dit Abou Al-Sorra, fondateur et chef du groupe rebelle armé FFRD assure lui aussi que si sa milice n’est plus vraiment active dans les combats depuis 2008, la lutte ne cessera que si le CMT fait preuve de bonne volonté. « Pour le moment, on a toutes les raisons de se méfier », prévient-il.

L’attaque du 13 mai sur Al-Qiyada a peut-être eu l’effet d’un signal d’alarme pour les militaires et les leaders d’opposition, qui, après des semaines de tergiversations, ont annoncé, la nuit suivante, être arrivés à un accord sur une période de transition politique de trois ans devant préparer un transfert du pouvoir aux civils. Ils ont également précisé que la composition du Conseil souverain et d’un exécutif serait décidée dans les vingt-quatre heures. L’un des représentants de l’opposition, réunie sous le label Alliance pour la liberté et le changement (ALC), Madani Abbas Madani, a aussi précisé que les deux parties avaient décidé de former une commission d’enquête sur les violences de la nuit précédente.

Mais la révolution soudanaise n’est pas encore tirée d’affaire, avertissent les spécialistes. « Une escalade de la violence est toujours possible en fonction de l’issue des négociations à Khartoum », note Rachel Jacob. « Si les discussions échouent de nouveau et que les manifestations se poursuivent, il est possible que la situation devienne violente. Il est également possible qu’un accord jugé défavorable par certaines factions des services de sécurité entraîne des conflits internes au sein des forces de sécurité. La situation reste très imprévisible. »

Jenna Le Bras

Journaliste, Le Caire.

Jenna Le Bras

Journaliste basé au Caire (Egypte).

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