Presse-toi à gauche : Cette semaine, plus de 260 municipalités québécoise se sont opposées en conférence de presse à la législation complaisante du gouvernement Couillard quant à la protection de l’eau potable. Quels sont les enjeux de cette démarches ?
Richard E. Langelier : Les municipalités demandent une dérogation afin d’être en mesure d’imposer une réglementation plus sévère que le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP) qui est un règlement de complaisance taillé sur mesure pour le développement pétrolier au Québec. Lorsque le collectif scientifique ad hoc sur la protection de l’eau a fait une première analyse, Marc Durand qui a beaucoup analysé la situation de l’Île d’Anticosti, il a déclaré : « Ça c’est un règlement pour Anticosti ». Si nous avions une limite de 1000 mètres, les compagnies ne pourraient forer que sur à peine 15% des réserves estimées. La norme de 400 mètres de l’aquifère qui apparaît dans le règlement, c’est pour favoriser le développement et le forage de la majeure partie des réserves. Chantale Savaria qui est l’hydrogéologue qui travaille actuellement pour la décontamination de Lac-Mégantic et qui a déposé un rapport d’expertise sur Energie Est dit que c’est un règlement pour Gaspé parce que le sous-sol de cette région est comme un feuilleté où tu retrouve du « shale », du « gray ». La façon dont le règlement a été « formaté » répond exactement aux besoins des compagnies d’exploration et d’exploitation pétrolière et gazières.
Les municipalités commencent à prendre conscience qu’avec tous les risques que ça comporte pour les nappes phréatiques : le cas de Lac-Mégantic pour le transport par train, le cas des projets de pipeline d’Energie Est qui traverse des tourbières, des sablières, des cours d’eau. Tout ça fait en sorte qu’il y a une sensibilisation de plus en plus importante dans les municipalités. Nous avons aussi travaillé avec les comités de citoyenNEs dans le plus de municipalités possible. Ça crée un climat qui s’ajoute à une grogne provoquée par les coupures dans les budgets des municipalités et l’abolition d’organismes de concertation comme les CRÉ (Conférence régionales des éluEs) et les CLD (Centre locaux de développement). Toutes ces instances répondaient à des besoins des municipalités. À un point tel, que lorsque la Fédération québécoise des municipalités a fait son sommet sur les régions à Québec en juin dernier, les éluEs ont dit à leur exécutif : « on vous retire tout mandat de négocier dorénavant, vous pouvez discuter avec le gouvernement mais vous ne pouvez signer quoi que ce soit. Vous devez revenir devant nous et nous proposer ce qui en est. » Il y a tous ces éléments là qui se conjuguent et qui font en sorte que la sensibilisation dans les municipalités, l’enjeu de l’eau devient de plus en plus important.
PTAG : Les 260 municipalités qui se concertent dans cette mobilisation représentent combien de population ?
Richard E. Langelier : 800 000 citoyenNEs, donc à peu près 10% de la population du Québec et le nombre de 260 municipalités représentent environ 20% de toutes le villes du Québec. C’est donc un nombre significatif. Le caillou dans le soulier du ministre (David Heurtel) grossit considérablement alors que va t-il faire ? Pour l’instant, nous avons une rencontre prévue le 12 septembre entre les éluEs, leurs experts et les experts du ministère autour du règlement sur l’eau. Il y aura un débat entre experts de façon à ce que la sensibilisation des éluEs progresse encore. Qu’ils réalisent par eux mêmes que les experts gouvernementaux présentent ça de façon tellement abstraite que les éluEs ont de la difficulté à saisir les enjeux. Ce que nous voulons moi et mes collègues du collectif scientifique, c’est de vulgariser ça de telle manière que les éluEs puissent véritablement comprendre que lorsqu’on leur dit que c’est le meilleur règlement, le plus sévère en Amérique du nord ou d’autres balivernes de ce type, ça ne correspond à rien du tout cette histoire-là. Le débat va se poursuivre ensuite le 24 septembre lors du congrès de la Fédération québécoise des municipalités car la municipalité de Ristigouche-Est a déposé une résolution demandant à l’exécutif de la Fédération de s’impliquer de façon active dans la défense de l’eau en appuyant la démarche commune des municipalités et en soutenant de façon réelle Ristigouche-Est, ce qu’ils n’ont pas fait jusqu’aujourd’hui. La Fédération a envoyé 5 000$ en disant que le chèque sera versé au moment du jugement final. Alors si nous allons jusqu’à la Cour suprême, un processus qui peut prendre jusqu’à 8 années, ce ne sera pas l’appui le plus tangible. C’et donc une conjoncture assez importante.
En ce qui concerne les pipeline, le collectif va déposer un mémoire à la Communauté métropolitaine de Montréal. Nous voulons aborder un sujet rarement abordé : les effets cumulatifs. Ce que ça veut dire, c’est que si nous laissons aller les projet de pipeline Energie-Est, l’inversion de l’oléoducs 9-B en plus des trains et des bateaux, c’est plus de 23 millions de barils de pétrole par jour qui vont circuler sur l’Île de Montréal. Donc, les 2/3 de la production pétrolière canadienne qui va transiter par Montréal. Alors l’enjeu est de taille. Tous ces effets cumulatifs s’additionnent et ça démultiplie de façon importante les risques et c’est clair qu’il va arriver un drame. Avec autant de risques et autant de mesures qui sont insuffisante pour la protection adéquate, la situation est intenable. Par exemple, le petit pipeline d’Ultramar pour la raffinerie Valero à Lévis qui relie Montréal à Québec a été mis en service en 2012. Or, la compagnie vient d’annoncer qu’ils doivent creuser de nouveau dans la région de Québec parce qu’il y a des signes de vieillissement prématuré de l’infrastructure. Après à peine 3 ans d’usage... Dans loe cas du déversement récent à Santa Barbara en Californie, le pipeline datait de 1987 et devait composer avec des contraintes thermiques infiniment moindre que celles qui prévalent au Québec. Alors on est en train de jouer à la roulette russe avec notre eau potable et la qualité de notre environnement sans recevoir de bénéfice pour ça. Nous voulons donc sensibiliser les éluEs de Montréal à ces réalités. On pourrait demander au maire de Montréal Denis Coderre de « driller » dans les projets de pipeline.
PTAG : Je comprend les enjeux de sensibilisation des éluEs mais qu’en est-il de la population, dans le contexte de l’élection fédérales notamment ?
Richard E. Langelier : Comme collectif scientifique, on pense que ce n’est pas notre rôle d’être les premiers acteurs. Ce n’est pas que nous refusons de nous prononcer. Le Regroupement Vigilance hydrocarbure du Québec, les comités de citoyenNEs et les organisations écologistes sont des organisations qui ont le mandat de faire ce travail. Comme intellectuels, nous ne voulons pas rester dans notre tour d’ivoire, on veut éviter ça, mais sur des débats politique de cette nature, les comités de citoyenNEs sont mieux placé que nous. Les intellectuels ne sont pas ceux qui sont les plus écoutés. Ce sont les citoyenNes qui sont les mieux à même d’intervenir. Individuellement, nous nous impliquons dans des différents dossiers mais comme collectif ad hoc, nous allons nous limiter à élaborer des recommandations.
D’ailleurs je m’implique dans un autre collectif composé de 7 avocatEs celui-là pour élaborer un règlement sur les pipelines que les municipalités peuvent adopter. Et dans le cadre du mandat sur les forages, nous mis sur pied le fond inter-municipal de défense de l’eau. Les municipalités peuvent adhérer à ce fonds, ça coûte 1,50$ par citoyenNE avec un maximum de 5 000$ pour les plus grandes municipalités. Nous avons amassé 40 000$, soit une trentaine de petites municipalités qui se sont unies pour se prémunir contre les poursuite comme celle de Gaztem contre Ristigouche-est. Nous voulons visiter les municipalités qui seront traversées par le pipeline et les inciter à adopter notre règlement sur les pipelines qui est une règlement qui ne peut pas interdire le passage du pipeline, ce n’est pas dans les compétences des municipalités et si on le faisait, nous serions immédiatement déclaré ultra vires. Mais il comporte des mesures très exigeantes qui sont imposées comme par exemple, il faut que Trans Canada dépose une sureté de 10 millions$ minimum dans chaque municipalité où passe son pipeline. On sait bien ce que ça coûte lorsqu’’il y a un déversement et l’histoire démontre qu’après un accident, les compagnies disparaissent et ce sont les fonds publics qui doivent payer la facture. Alors nous nous disons que si les 160 municipalités qui sont traversées par le pipeline demandent chacune 10 millions$, ça fait un total de 1,6 milliard$. On pense que les actionnaires de Trans canada ne seront pas très contents d’apprendre ça. Il y a bien d’autres mesures dans ce règlement qui est adopté par une dizaine de municipalités jusqu’à maintenant. Nous voulons aussi qu’elles adhèrent au Fonds de défense de l’eau pour faire en sorte que les petites municipalités ne soient pas seules à se battre contre Trans Canada.
Enfin, je travaille avec un troisième collectif sur un projet de règlement sur les trains et le transport ferroviaire. C’est plus complexe à cause de l’importante des trains dans l’histoire du Canada. Les premières décisions de la Cour suprême sur le transport ferroviaire datent de 1875 alors il y a énormément de jurisprudences, souvent contradictoire car des décisions ont été prises en fonction des besoins de chaque époque. Aujourd’hui la rhétorique officielle de la Cour suprême, c’est le fédéralisme coopératif. Alors on pense qu’il pourrait y avoir des marges de manœuvres qui s’ouvriraient dans la protection des communautés. Mais nous voulons éviter de mener des combats devant les tribunaux. Ce n’est pas notre objectif qui est la protection des citoyenNEs sans mettre les municipalités dans les troubles juridiques.