Édition du 17 décembre 2024

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Le Monde

Le Forum de Davos 2017 réaffirme une vision de l’avenir de l’agriculture qui est celle des grandes entreprises

Les enjeux de l’agriculture commerciale sont considérables. À chaque saison, les agriculteurs font un pari sur la récolte qui leur rapportera le plus ou la variété de semence qui leur procurera les meilleurs rendements. Et les bénéfices peuvent être élevés. Mais les pertes provoquées par une mauvaise récolte, une baisse soudaine des prix ou des escroqueries de la part des intermédiaires sont tout aussi fréquentes. Le poids de la dette est bien connu du monde des agriculteurs.

Tiré du site de GRAIN.

Inutile de préciser que les grandes entreprises elles aussi essaient de garantir leurs bénéfices dans un secteur qui est au cœur d’enjeux très importants. Mais contrairement aux agriculteurs, les entreprises mondiales des secteurs alimentaire et agricole disposent de multiples ressources qui leur servent de filet de sécurité face aux nombreux risques inhérents à l’agriculture. L’une de ces ressources est le Forum économique mondial (WEF en anglais) dont le rôle est crucial quand il s’agit d’aider les grandes entreprises à maintenir ou à augmenter leurs marges de profits.

Plusieurs décisions émanant du Forum économique mondial de Davos de janvier 2017 confirment bien cette réalité. Un communiqué de presse du Conseil mondial des entreprises pour le développement durable (WBCSD), annonce ainsi qu’un groupe de 25 entreprises internationales ont uni leurs forces pour lancer FReSH, la Réforme alimentaire pour la durabilité et la santé, sous la houlette du WBCSD et de la Fondation EAT, en laissant la porte ouverte à d’autres participants potentiels. FReSH servira de plateforme pour le secteur privé. FReSH suit les mêmes principes que les autres projets du WEF qui bénéficient aux grandes entreprises alimentaires comme Nestlé, PepsiCo et Unilever. En 2009, le Forum économique mondial avait lancé le programme « Grow » dans le cadre de sa Nouvelle Vision pour l’Agriculture ; le programme était mené par 31 « entreprises partenaires » appartenant au secteur alimentaire, de la transformation à la vente. Quatre-vingt-dix pour cent de celles-ci avaient leur siège aux États-Unis et en Europe, et pourtant le programme est entièrement axé sur l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie, les principaux marchés porteurs de l’industrie alimentaire mondiale.

Dans la logique des partenariats public-privé, les entreprises participant à Grow cultivent des liens étroits avec les gouvernements, afin d’accroître leur mainmise sur les marchés et les chaînes d’approvisionnement. Grow prétend promouvoir la sécurité alimentaire et bénéficier aux petits agriculteurs. Mais le programme, qui se concentre sur quelques produits agricoles à forte valeur ajoutée - comme les pommes de terre, le maïs, le café, le thé et l’huile de palme – révèle son véritable objectif : l’expansion d’une poignée de produits agricoles pour servir les intérêts des grandes entreprises. Les conséquences pour les communautés, la biodiversité, la nutrition et le climat sont potentiellement catastrophiques.

FReSH aussi bien que Grow reconnaissent que l’agriculture est l’une des causes principales du changement climatique et affirment clairement la nécessité de transformer la manière dont l’alimentation est produite et distribuée. Mais l’observation sur le terrain montre que jusqu’à présent, les projets de Grow n’ont pas beaucoup contribué à réduire l’usage des engrais azotés, qui constitue la plus grande source d’émissions de gaz à effet de serre dans la production agricole. Les agriculteurs impliqués dans les projets de production de pommes de terre et de maïs au Vietnam et en Indonésie, par exemple, ont accru leur utilisation d’engrais, parce que les variétés qu’ils sont obligés, par contrat, de cultiver sont même fournies avec des engrais azotés par l’entreprise norvégienne Yara, l’un des piliers de la Nouvelle vision pour l’agriculture du Forum économique mondial et l’un des leaders de l’Alliance pour une agriculture intelligente face au climat et du projet FReSH. On le voit donc, toutes ces initiatives dominées par les grandes entreprises sont intimement liées.

Quant aux grandes entreprises investies dans ces programmes, elles se préoccupent avant tout de « relier davantage de pays aux chaînes de valeurs mondiales » et d’augmenter la production des matières premières agricoles pour l’exportation, un objectif fondamentalement opposé aux véritables solutions au changement climatique. Les chaînes de valeur mondiales détruisent les systèmes alimentaires locaux peu polluants pour favoriser des systèmes très polluants qui nécessitent transport à longue distance, transformation, stockage, emballage, réfrigération et commercialisation.

Alors qu’aujourd’hui l’agriculture est presque exclusivement jugée en termes de capacité à produire des matières premières, on a tendance à oublier que son rôle primordial est de nourrir les gens. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, la FAO et le Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation estiment tous que les petits agriculteurs produisent jusqu’à 80 pour cent de la nourriture dans les pays non industrialisés. À quoi bon transformer des producteurs d’aliments variés destinés aux marchés locaux en fournisseurs d’un nombre limité de denrées pour les chaînes de valeur mondiales ?

Pour les entreprises soutenues par le WEF, comme le montre une étude récente, ce changement serait « gagnant-gagnant ». Mais cette vision ne laisse aucune place aux petits paysans ou aux petits commerçants et transformateurs alimentaires, si ce n’est quand ils peuvent être inféodés à l’objectif premier des grandes entreprises alimentaires : garantir l’approvisionnement en denrées et en matières premières bon marché pour la transformation alimentaire, tout en vendant toujours plus d’intrants agricoles industriels. La biodiversité et la sécurité alimentaire ne peuvent qu’en souffrir. De même que les moyens de subsistance des paysans, au fur et à mesure que ceux-ci s’enfoncent dans la dette et la dépendance vis-à-vis des plus grosses entreprises mondiales.

Il est important de voir les programmes du WEF pour ce qu’ils sont réellement, c’est-à-dire des mécanismes destinés à accroître l’emprise des grandes entreprises.

Publié initialement par Countercurrents

GRAIN est une petite organisation internationale à but non lucratif qui soutient la lutte des paysans et des mouvements sociaux pour renforcer le contrôle des communautés sur des systèmes alimentaires fondés sur la biodiversité. Ce soutien revêt des formes diverses : recherche et analyse indépendantes, constitution de réseaux au niveau local, régional et international, encouragement de nouveaux types de coopération et d’alliances. Notre activité est principalement orientée vers l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine et nous sommes très présents dans ces régions.

Le rôle de GRAIN remonte au début des années 1980, quand des militants du monde entier ont commencé à attirer l’attention sur la perte dramatique de diversité génétique dans nos fermes, qui érodait le fondement même de la sécurité alimentaire mondiale. Nous avons alors entrepris un travail de recherche, de plaidoyer et de lobbying, sous les auspices d’une coalition d’ONG de développement pour la plupart européennes. Rapidement, notre programme et notre réseau ont pris une ampleur qui a nécessité une nouvelle structure et en 1990, GRAIN est devenu officiellement une organisation indépendante à but non lucratif dont le siège est à Barcelone, en Espagne.

Vers le milieu des années 1990, GRAIN arrive à un tournant important de son histoire : Nous nous sommes rendu compte que nous devions nous associer plus systématiquement aux vraies alternatives que le Sud était en train de développer sur le terrain. Partout dans le monde, et au niveau local, des groupes avaient commencé à sauvegarder les semences locales et les savoir-faire traditionnels. En même temps qu’ils refusaient les “solutions” développées en laboratoire qui ne faisaient qu’exacerber les problèmes des paysans, ces groupes mettaient sur pied et défendaient des systèmes alimentaires durables, fondés sur la biodiversité. GRAIN a alors décidé qu’il était temps de remanier radicalement l’organisation et nous avons entamé un processus de décentralisation qui allait nous permettre de nous rapprocher des réalités sur le terrain dans les pays du Sud et de collaborer directement avec les partenaires actifs à ce niveau. En même temps, nous avons fait entrer un certain nombre de ces partenaires dans notre Conseil d’administration et commencé à répartir les membres de notre équipe sur chaque continent.

Ce qui n’était au départ qu’un groupe de pression et d’information centré surtout sur l’Europe s’est transformé, en ce début de 21ème siècle, en un collectif dynamique et véritablement international, fonctionnant de façon cohérente. GRAIN est à la fois en lien direct avec les réalités locales du Sud et capable de suivre toutes les évolutions au niveau mondial. Pour ce faire, GRAIN a un peu mis de côté le lobbying pour soutenir directement les mouvements sociaux et collaborer avec eux, sans abandonner ce qui a toujours fait notre force : l’indépendance de nos recherches et de nos analyses.

A GRAIN, nous ne représentons que nous-mêmes. Cependant, c’est grâce à la collaboration et aux partenariats que nous sommes en lien avec les réalités locales et nationales et que nos activités de recherche, d’information, de plaidoyer et de travail en réseau peuvent jouer un rôle significatif, dans les régions où nous sommes présents, comme au niveau international. Nous travaillons avec de nombreux groupes dans le monde entier, pour produire et diffuser des publications et analyses communes et pour réaliser des projets collaboratifs.

Entre avril et juin 2012, GRAIN a été soumis à une évaluation externe. Cette évaluation s’est concentrée sur le travail effectué par GRAIN dans le domaine de l’accaparement des terres au cours de la période 2008-2011. Le résumé et les recommandations sont désormais disponibles en ligne. (Une copie du rapport complet peut être fournie sur demande.)

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