Tiré de Entre les lignes et les mots
La prise en considération des victimes et la dénonciation des violences sexistes et sexuelles est politique. Personne ne nous dictera le ton ni le contenu de notre parole. C’est pour cette raison que nous avons décidé de ne pas être présentes aux Molières. Nous militons pour la liberté d’expression des victimes et leur prise en considération. Nous faisons le choix de diffuser notre discours censuré et nous appelons à un rassemblement le lundi 30 mai à 19h30 devant les Folies Bergères pour manifester contre le bâillonnement des militantes féministes et pour une meilleure prise en charge des victimes de violences sexistes et sexuelles dans le théâtre.
Notre discours censuré :
Marie : Bonsoir à toutes et à tous. Je m’appelle Marie Coquille-Chambel et j’ai été violée par un acteur de la Comédie-Française en 2020. En vous disant publiquement ce soir que j’ai été violée, je risque d’être poursuivie pour diffamation ou dénonciation calomnieuse. Je l’ai déjà été. Aujourd’hui, j’attends le classement sans suite de ma plainte. Parce que je sais que ma plainte sera classée, comme dans 76% des cas.
Alors, à vos yeux, suis-je suis une victime de viol ?
A chaque fois qu’une victime s’exprime, elle reçoit une déferlante de haine, sur les réseaux sociaux, dans les médias, et dans le milieu théâtral même. A chaque fois que je prends la parole sur les violences faites aux femmes, au-delà des insultes et des menaces, ma vie et ma personne sont passées au crible, comme pour mieux invalider mon propos.
Alors, suis-je une assez bonne victime de viol ?
A chaque accusation de viol, la présomption d’innocence est brandie pour protéger les accusés. Les agresseurs doivent-ils être écartés du milieu théâtral le temps des procédures judiciaires ou définitivement ou pas du tout ? C’est cette question qui est cruciale pour les victimes.
En octobre dernier, nous avons lancé le collectif #MeTooThéâtre pour alerter l’opinion sur les violences sexuelles qui ont lieu dans le milieu théâtral. Nous avons été glacées par la déferlante de témoignage que nous avons reçu et que nous ne cessons de recevoir depuis. Nous tenons à dire ce soir aux victimes que nous les croyons. Qu’avec le collectif MeTooThéâtre nous seront là pour elles.
Mais ce n’est pas suffisant. A toute la profession, à vous tous et toutes, nous le disons, ce n’est pas suffisant. Madame la ministre, ce n’est pas suffisant.
Séphora : Croire les victimes relève d’une volonté politique et statistique. Nous avons conscience, ce soir, d’être dans une cérémonie où des hommes accusés de viol sont nommés et continuent de se produire sans jamais avoir été inquiétés par la justice, ni par la direction des théâtres qui les emploie. C’est tout un système à déconstruire. Un continuum de violence et d’inégalités qui est devenu la norme. Il revient à chacun et chacune d’entre nous nous de prendre ses responsabilités et d’éveiller sa conscience.
Nous sommes 2 à prendre la parole ce soir, mais nous sommes nombreuses et nombreux. Nous sommes tous et toutes des acteurices du milieu théâtral et nous demandons à pouvoir faire notre travail en sécurité en conformité avec la loi. Avec une parité des moyens de production. Comment se fait-il dans un pays qui témoigne de l’émergence d’une parole féministe forte dans le débat public, que le milieu de la culture se refuse à prendre à bras le corps la question des agresseurs et des présumés agresseurs en se cachant derrière une justice statistiquement défaillante ? Les chiffres sont là témoignant d’une réalité implacable systématiquement remise en doute : les victimes n’obtiennent pas la justice dans l’écrasante majorité des cas. Et les fausses accusations représentent une part infinitésimale des plaintes déposées.
Pour protéger les individus travaillant dans la culture des solutions existent, des syndicats, des associations et des personnes engagées travaillent sur le terrain depuis des années. Nous savons. Nous nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. À tous ceux et toutes celles qui souhaitent s’informer, une vingtaine d’auteurs et d’autrices se sont réuni.e.s pour témoigner, analyser, proposer autour de la mécanique des violences sexuelles et sexistes dans un livre #MeTooTheatre. Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas pas. Tout est là.
Pour l’heure, nous choisissons les mots. Nous choisissons nos mots. Et nous pesons chacun d’entre eux dans ces 2 minutes qui nous ont été imparties. Si la parole des victimes est systématiquement disqualifiée, si le silence complice s’organise et se maintient, comment se déclarer partisans et partisanes de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ? Car il faut bien le dire, des hommes violent tous les jours. Cette question ne cessera de se poser. Il est temps d’y répondre.
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