« Compenser votre voyage » ! Quelques jours après avoir payé plus de 700 euros pour participer au Forum mondial sur le capital naturel, organisé à Edimbourg les 21 et 22 Novembre 2013, les participants ont reçu un courriel les invitant « à faire un don en faveur du capital naturel de l’Ecosse », « en reconnaissance de l’impact environnemental de leur voyage ». Il était indiqué que cette compensation « contribuerait à créer un capital naturel source d’une multitude de services écosystémiques au fil des générations ». Très bien ! Voyager à travers la planète n’est plus un problème ! Chacun de nous peut changer les choses : « compenser » son voyage, « investir dans le capital naturel » et au final contribuer à lancer la révolution du « capital naturel » à Edimbourg ! « Mon empreinte carbone est massive mais j’espère quitter la planète avec un impact net positif », a déclaré Jochen Zeitz, ancien PDG de Puma et l’un des promoteurs internationaux du « capital naturel » présents à Edimbourg. Qui oserait affirmer qu’il ne souhaiterait pas quitter la planète avec un impact net positif ? Entrons donc dans la révolution du « capital naturel » !
Sur le site de l’évènement (http://www.naturalcapitalforum.com/what-is-natural-capital), le véritable objectif de cette conférence de deux jours est clairement mis en évidence : « Le Forum mondial sur le capital naturel doit être l’une des conférences les plus innovantes et passionnantes dans le monde en 2013. Nous la voyons comme le début d’une nouvelle ère de responsabilité pour les entreprises et les Etats envers l’environnement naturel et, plus profondément, une chance pour faire de la nature la solution des défis mondiaux, plutôt qu’une partie du problème ». La conférence a débuté avec une vidéo (http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=ImlRkWl8_uA) supposée donner l’impression de combien la comptabilité du « capital naturel » est une activité décisive, et même sympathique, pour préserver la nature et assurer des profits futurs. La conférence s’est conclue avec une autre vidéo (http://www.youtube.com/watch?v=yg3GDlbZpF0), un dessin animé, représentant la biosphère comme une grosse machine, une machine incroyable qui doit être rapidement réparée. Entre ces deux vidéos, les participants ont entendu plusieurs discours et différentes présentations dont le but était de générer de l’enthousiasme et de l’exaltation autour du « capital naturel ».
« Passons aux choses sérieuses ! » était clairement l’état d’esprit du Forum, financé par la Banque Royale d’Ecosse et parrainé par une dizaine de groupes privés, en présence de 500 participants de plus de 30 pays. Coca-Cola, Rio Tinto, KPMG étaient là, entre autres. Quelle est la recette pour convaincre le business de sauter dans le train du « capital naturel » ? Il semble que l’analyse des faits et de la démarche scientifiques n’étaient pas dans la liste des ingrédients. En effet, très peu de scientifiques étaient présents à Edimbourg et l’objectif de ce Forum n’était pas de discuter des forces et limites de la notion de « capital naturel ». Au lieu de cela, il a été dit avec insistance aux participants que cette question émergente génère des opportunités et des risques qui peuvent être facilement traités avec les incroyables outils fournis par les promoteurs de la comptabilité en termes de « capital naturel » qu’ils allaient rencontrer durant la conférence.
Le climat et la crise écologique ne sont dès lors plus considérés comme ce qui justifierait de limiter la croissance économique ou le business. « Comprendre, valoriser et investir dans le capital naturel crée une toute nouvelle série de possibilités qui attendent d’être explorées. Cela ouvre de nouveaux marchés, en particulier pour les pays riches en biodiversité, et pour des entreprises responsables en termes de biodiversité », a déclaré Julia Marton-Lefèvre, directrice générale de l’UICN. « Les pays les plus riches et les entreprises de demain seront ceux qui auront largement investi dans leur capital naturel ». Pas encore convaincu ? Ajoutez-y une présentation enflammée de David Jones, PDG de Havas, vous expliquant que « bien faire sur le plan financier, c’est faire du bon » !
Mais comment « faire du bon » exactement ? Qu’êtes-vous supposés modifier une fois de retour dans votre entreprise ? Jochen Zeitz répond à cette question en affirmant que la valorisation du « capital naturel » dans les affaires requiert une stratégie très claire, comprenant des objectifs, des incitations et de l’innovation tout au long des chaînes d’approvisionnement. Malheureusement, aucune métrique standardisée du « capital naturel » qui pourrait être appliquée dans n’importe quelle entreprise n’est disponible aujourd’hui. C’est plutôt le contraire. Il y a autant de métriques que d’entreprises ou de personnes qui tentent d’évaluer le « capital naturel ». Dans certains cas, évaluer le « capital naturel » est une activité économique à part entière et les méthodes et données ne sont pas disponibles gratuitement. Raison pour laquelle certains promoteurs du « capital naturel » demandent à ce que les données soient disponibles en open source afin de normaliser les métriques de comptabilité du « capital naturel ».
En attendant, vous êtes invités à suivre les exemples mis en lumière lors de la conférence. Faites vos courses ! Veuillez jeter un oeil au compte de résultat environnemental (environmental profit and loss account (EP&L) : http://about.puma.com/puma-completes-first-environmental-profit-and-loss-account-which-values-impacts-at-e-145-million/) de Puma, considéré comme l’un des pionniers du capital naturel, ou aux exemples de Webcor et True Price (http://trueprice.org) si vous souhaitez internaliser les externalités. Et ce n’est « pas aussi cher que vous ne le pensez ! », selon True Price. Pour une tasse de café, dont le prix initial est de trois euros, il ne faudrait ajouter que sept centimes d’euros de coûts supplémentaires en termes d’externalités sociales et naturelles selon True Price. Cela change-t-il quoi que ce soit ? Ce n’est pas votre problème, puisque vous avez fait le travail et que le « véritable prix » a été obtenu !
Vous reprochera-t-on de l’avoir fait ? Pas du tout, parce que le Forum mondial sur le capital naturel « réunit des dirigeants d’entreprises, des spécialistes de l’environnement et des représentants du gouvernement pour aider le secteur privé à identifier les risques et opportunités, et se mettre d’accord pour agir ». Y a-t-il des gens qui critiquent la comptabilisation du « capital naturel » comme un moyen de privatiser la nature ? Comme cela a été dit durant la conférence, « allons discuter avec eux pour leur montrer qu’ils se trompent » : « les promoteurs du capital naturel » veulent vraiment entamer une véritable « révolution » et prendre en compte les limites de la planète.
En citant Dieter Helm du ministère de l’environnement britannique et du comité britannique sur le capital naturel, n’hésitez pas à demander à ceux qui disent « ne pas vouloir mettre un prix à la nature » si « ils veulent poursuivre comme aujourd’hui ». Et les économistes apporteront la solution. Puisqu’il est strictement « impossible de préserver chaque actif naturel tel qu’il est » - le business ne s’arrête pas - introduisons le « principe de compensation » pour être sûr de pouvoir compenser les dégradations du capital naturel en préservant ou en améliorant le « capital naturel » en d’autres lieux.
Au final, le message que vous pourrez ramener chez vous consiste à penser qu’il sera toujours possible de compenser vos utilisations ou dégradations de « capital naturel » et de payer pour préserver votre modèle économique tel qu’il fonctionne aujourd’hui (voir la plaquette distribuée aux participants reproduite ci-dessous). Bienvenue dans la merveilleuse « révolution du capital naturel » !
Etes-vous encore sceptiques à l’égard de cette révolution ? Lisez (http://www.counter-balance.org/counterbalance-eib.org/redirect/index.php) alors la critique soulevée par certaines organisations de la société civile qui ont organisé un Forum alternatif sur les Communs naturels (http://naturenotforsale.org) à Edimbourg. C’est beaucoup plus convaincant !
Pour une analyse plus fouillée du Forum mondial sur le capital naturel, voir ce rapport « Valoriser le capital naturel ou dévaluer la nature » (http://www.mediapart.fr/files/Report_vFr.pdf).
Cet article, ainsi que le rapport (dans une version résumée) ont initialement été publiés en anglais sur le site de la Fondation Heinrich Boll ici (http://klima-der-gerechtigkeit.boellblog.org/2014/01/13/world-forum-on-natural-capital-lets-get-down-to-business/) et ici (http://www.boell.de/en/2014/01/21/valuing-natural-capital-or-devaluing-nature).
10 décembre 2013
Maxime Combes, membre d’Attac France et de l’Aitec, engagé dans le projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)