Un contexte difficile
Le contexte était pourtant difficile pour le PQ. Depuis son élection à la direction du PQ, Jean-François Lisée s’est avéré incapable d’empêcher l’érosion des votes pour sa formation. Un récent sondage Léger, réalisé peu avant la tenue du congrès, lui accordait 22% des intentions de vote le plaçant au 3e rang derrière le PLQ de Philippe Couillard et la CAQ de François Legault. Après une défaite très importante en 2014, après la démission de Pauline Marois et de Pierre-Karl Péladeau, après une course à la chefferie qui a été l’occasion de durs affrontements, après des dérapages du chef sur les questions identitaires qui n’avaient pas plu à tout le monde, il était possible de s’attendre à ce que les contradictions qui travaillent ce parti puissent s’exprimer dans le congrès. Or, il n’en fut rien. [1]
L’orientation de Jean-François Lisée s’impose sur toute la ligne
a. L’indépendance, le débat sur le référendum et la constituante sont complètement absents du congrès
La principale proposition faite par Jean-François Lisée durant la course à la chefferie était d’écarter explicitement la tenue d’un référendum durant un premier mandat du Parti québécois. « Ce n’est qu’en 2022, qu’un éventuel gouvernement péquiste demandera aux Québécoises et aux Québécois de lui confier le mandat de réaliser l’indépendance. » Le chef du PQ a répété sur tous les tons que le Parti Québécois était résolu à ne pas faire de la souveraineté un enjeu des prochaines élections. Même après son élection à la chefferie, Jean-François Lisée envisageait que cette position serait définitivement acquise avec le congrès. Pourtant, il ne s’est trouvé au PQ aucune minorité indépendantiste significative pour contester la position du chef. Cette dernière a été adoptée sans débat véritable. L’ensemble des délégué-e-s ont acheté sa nouvelle théorie des étapes, pour le moins hasardeuse, sans état d’âme. Les transformations de la société québécoise - le virage vert, la justice sociale et le développement économique - peuvent donc se passer de l’indépendance pour le moment du moins. Les indépendantistes ont donc dû se contenter de capsules pédagogiques sur l’indépendance.
b. Une fiscalité qui ne remet pas en cause l’actuelle redistribution des richesses
Dans son long discours d’ouverture, le chef a parlé de justice sociale, du 15$ de l’heure (sans mentionner l’échéance d’octobre 2022 pour sa mise en oeuvre prévue par la proposition principale). Il a mentionné l’importance de lutter contre les paradis fiscaux... mais on recherchait en vain dans la plate-forme du PQ des mesures permettant une véritable redistribution de la richesse par la taxation des banques, des entreprises et des patrimoines. Jean-Frannçois Lisée préfère le statu quo. Il a affirmé qu’il n’y aura ni augmentation ni diminution des impôts.
c. Un virage vert plus ou moins crédible..
Le premier budget du Parti québécois, dit-il dans son discours d’ouverture, sera celui du virage vert : rénovation verte, toits verts et ruelles vertes, covoiturage, autobus électriques, conversion à l’électricité des flottes d’autobus scolaires, un monorail électrique pour rallier les grands urbains du Québec sans compter l’abandon une fois pour toutes du projet Énergie est. Voilà de belles et bonnes intentions. Elles expriment sans doute la réfraction de la force du mouvement environnementaliste et le renforcement des préoccupations concernant les changements climatiques dans la société québécoise. Mais encore faut-il définir les conditions de la réalisation de ces objectifs. Peut-on réellement se fier à l’entrepreneuriat privé et au l’inventivité électrique des entrepreneurs pour assurer la transition énergétique et le virage vert ? Ne faut-il pas nationaliser l’industrie éolienne et l’ensemble des énergies renouvelables comme le Québec l’a fait pour l’énergie électrique ? Ne faudrait -il pas confronter l’ensemble du patronat dont les organisations ont donné leur soutien aux développements des énergies fossiles ? Si on ne veut pas répéter les positions honteuses prises par le gouvernement Marois sur les questions des énergies fossiles, ce sont là des questions qu’on ne peut éviter et que le congrès n’a pas pris la peine d’aborder.
d. Une laïcité identitaire qui continue à cibler les femmes des communautés musulmanes.
Djemila Benhabib a piloté une proposition qui demandait que les fonctionnaires manifestent le même devoir de réserve envers les signes religieux qu’envers les signes et l’action politiques. L’adoption de cette proposition a aussitôt été commentée par la députée de Taschereau, Agnès Maltais, qui a indiqué que le consensus véritable au PQ, c’est la prohibition de signes religieux pour toutes les personnes en autorité, y compris celles qui travaillent auprès des enfants (des écoles primaires et secondaires) et des garderies. Jean-François Lisée devait rappeler que la proposition comportait une clause soulignant que les personnes en emploi ne seraient pas licenciées, mais que les personnes voulant s’engager dans les garderies ou les écoles primaires seraient obligées d’enlever tout signe religieux. Cette proposition va encore une fois viser les femmes musulmanes et leur liberté de religion que devrait assurer une laïcité véritable. Elle va encore une fois engendrer des polémiques textiles québécoises, qui vont miner, l’influence des indépendantistes de ce secteur de la population... Il semble, que le PQ, dans sa concurrence avec la CAQ sur la question identitaire s’avère incapable de se sortir des ornières dans laquelle l’avait enfargé tout le débat sur la Charte des valeurs. Ce sont les luttes communes contre les discriminations et pour l’égalité que permettront que se construise une nouvelle identité nationale québécoise inclusive faisant sa place à toutes les composantes de la société québécoise, pas des brimades à la liberté d’expression et à la liberté de religion.
e. Le débat sur l’extension de la loi 101 dans les cégeps et les autres mesures de renforcement de la loi 101
Le débat sur l’extension de la loi 101 au Cégep fut l’un des rares débats auquel le chef du PQ a dû faire face. Il l’a abordé par une approche de négociation qui a permis, comme il l’a affirmé fièrement, de protéger le libre choix tout en renforçant la capacité d’apprendre l’anglais dans le cadre d’une meilleure offre d’apprentissage de l’anglais dans les cégeps francophones. Il a réussi à écarter une série de propositions de renforcement de la loi 101, propositions qu’il a présentées comme symboliques et inefficaces [2]. Ces mesures n’obtiennent pas l’aval d’une majorité de la population du Québec. Elles sont en effet plus symboliques qu’autre chose. La problématique majeure dans la défense de la langue, et que met de côté l’orientation stratégique du Parti québécois, c’est de reporter la lutte pour l’indépendance dans un avenir indéterminé (particulièrement s’il n’arrive pas au pouvoir en 2018). C‘est de séparer la lutte pour la défense du français de la lutte pour l’indépendance, car seule l’indépendance pourra assurer l’avenir et la protection de la langue française.
f. Des mesures progressistes timides et à interpréter...
Il y a bien des mesures progressistes qui ont été adoptées. Les discussions du congrès ont permis de montrer que leur interprétation était très aléatoire. Leur application le sera sans doute encore plus. Le congrès a bien parlé de réduction du financement des écoles privées. Dans une entrevue à l’émission 24/60 de RDI après le congrès, Jean-François Lisée a expliqué que la réduction du financement se situerait à environ 5% (soit une somme de 25 millions). Il a insisté que cette réduction serait faite très progressivement. Dans la santé, le chef du PQ prétend qu’il a un plan solide et qu’il veut mobiliser les 200 000 professionnel-le-s de ce secteur, mais le Parti québécois ne s’engage pas à mettre rapidement un terme au processus de privatisation qui mine le système de santé. En fait, à peine sorties du congrès, les revendications sont revues à la baisse. Qu’en restera-t-il si ce parti prend le pouvoir ? On n’en sait trop rien. Mais si le passé est riche d’enseignements, on peut craindre qu’il n’en reste pas grand-chose.
L’appel du pouvoir, responsabilité des délégué-e-s et la méthode Lisée
Jean-François Lisée a obtenu 92,8% de votes des délégué-e-s. Il a consolidé son leadership. Il a évité l’affrontement. Il a fait très peu de concessions en invitant les opposants à ses positions à s’inscrire dans un processus de négociation de propositions de compromis. Il dispose maintenant de toute l’autorité nécessaire pour imposer ses politiques et les tournants brusques dont il est friand, les renoncements multiples ou les dérapages démagogiques dans lesquels les nécessités de la concurrence électorale pourront l’entraîner. [3].
Le vote de confiance et souveraineté du chef
Le chef politique dans notre système politique dirige le parti. Il impose son pouvoir. Il peut s’associer ou se dissocier du programme adopté par les délégué-e-s du parti réuni-e-s en congrès. Tel est le sens du vote de confiance. Ce dernier est une cérémonie qui consacre la souveraineté du chef dans son parti. Et cette souveraineté du chef est en dernière instance un renoncement assumé du pouvoir des membres sur les orientations du parti. C’est ainsi que Jean-François Lisée est arrivé à la chefferie avec son programme et le report du référendum à 2022. Et cette orientation est maintenant devenue le point central du discours péquiste pour les prochaines années.
Le passage de chef du parti au chef de gouvernement le chef, c’est la progression de l’indépendance du gouvernement face à son parti. Quand, il devient un parti de gouvernement, le premier ministre (et les ministres) s’autonomise de son parti jusqu’aux prochaines élections. C’est ce qui explique toutes ces résolutions adoptées par les congrès restent lettres mortes et qu’une politique néolibérale est menée une fois au pouvoir par un parti qui prétend haut et fort, surtout durant les périodes électorales, défendre l’État social.
Dans son discours d’ouverture, Jean-François Lisée a parlé du congrès comme un grand moment de démocratie d’un parti politique. Pourtant, le PQ ne semble pas avoir besoin d’un tel moment sur une base régulière. En effet, entre le 11e congrès de 2005 qui a vu la démission de Bernard Landry et le congrès de 2011 qui a permis à Pauline Marois d’obtenir une confiance de 93%, six ans se sont écoulés . Entre le congrès de 2011 et celui de 2017, c’est six ans et demi qu’il faut compter. On a pu lire que c’est la présence d’un micro POUR et d’un micro CONTRE définissait le Parti québécois comme parti démocratique. Bien faible argument, alors que les contributions de la base sur l’orientation du parti et sur ses initiatives sont si peu mobilisées. C’est une démocratie de ce type qui assure la souveraineté du chef.
En somme
Pourtant, les revendications retenues nous ont dit long sur la future stratégie électorale du parti et sur la façon dont la direction péquiste envisage la construction d’un bloc social derrière le Parti Québécois. Mais, après toutes les expériences et les déceptions vécues, il faut savoir distinguer clairement le discours du Parti Québécois dans l’opposition (et particulièrement en campagne électorale) de la pratique d’un gouvernement péquiste qui cherche rapidement à s’assurer du soutien des milieux qui monopolisent les pouvoirs économiques et idéologiques dans la société québécoise. Comme l’ont démontré, les différents passages du Parti Québécois au pouvoir durant cette période néolibérale, les gouvernements péquistes sont incapables de résister aux exigences de la classe capitaliste qui détient le pouvoir économique et de la technostructure étatique qui partage les orientations néolibérales de la classe dominante. Ces pressions des affairistes et ses institutions construites pour répondre à leurs besoins renormalisent ces politicien-ne-s pour qu’ils et elles contribuent à la défense de leurs intérêts.
C’est pourquoi la confiance en un parti ne peut surtout pas être accrochée à un vote de confiance pour un chef. Lucidité oblige !
Un message, un commentaire ?