Prise de parole-Marche contre les féminicides et la violence conjugale, à Québec le 17 juin 2021
Par Mélissa Cribb, travailleuse au Centre ressources pour femmes de Beauport et étudiante-chercheuse
Dans les centres de femmes, comme dans la majorité des groupes et des organismes de femmes, on travaille dans une approche féministe, AVEC les femmes en reconnaissant que les vrais expertes, ce sont elles. Alors, vous m’excuserez pour ma prise de parole un plus longue, mais ce soir, ce sont leur voix que je veux mettre de l’avant en lisant dans un premier temps, les extraits suivants :
« Plus tard dans mes cours, j’ai vu qu’un des symptômes de la violence conjugale c’est avoir l’air d’avoir une dépression mais je me suis dit, on dirait que j’étais fâchée contre tous les médecins puis… J’ai quand même vu des psychologues puis j’ai quand même vu pas mal de monde, mais je me disais « Voyons. Personne ne m’a même poser une seule question dans ce sens-là. »
Rilke, Capitale-Nationale
« Il y a des fois que j’ai demandé de l’aide aux services sociaux. Pour venir parler à mon mari. Mais il y avait des fois qu’ils ne sont pas venus. Je ne sais pas pourquoi. »
Marie, Jamésie
« Quand la DPJ est rentrée dans le dossier, eux autres, ne reconnaissaient pas la violence conjugale que j’avais subie et le système de précarité, d’itinérance et de tout le tralala. Eux même, ils m’accusaient d’être trop rigide avec monsieur et que je l’empêchais de voir l’enfant (…) Je trouve ça aberrant qu’une personne qui fait, qui met une autre personne dans une telle situation, qu’on m’oblige à avoir des contacts, surtout la DPJ notamment. Dans ma tête, c’est comme ok tu m’obliges à avoir des contacts réguliers avec cette personne‐là qui m’a longtemps mise en danger et qui va me remettre éventuellement en danger. »
Jackie, Saguenay Lac St-Jean
« J’ai passé deux heures et demi avec les policiers à expliquer tout ça. Après ça, les semaines d’après, 3 bris de conditions. Il continuait puis à moment donné, tu pognes un policier puis tu te fais dire arrête, il est juste frustré parce que tu as appelé la police, lâche‐le dont, laisse‐le vivre. Tu te fais répondre ça bien après ça, tu n’oses plus. C’est tout le temps ça, alors j’ai été un an à ne pas faire de plaintes puis après ça bien à un moment donné il n’arrêtait plus, ça n’arrêtait vraiment plus. »
Jasmine, Lanaudière
« Les deux fois, ils m’ont dit « madame on ne peut pas parce qu’on ne le sait pas, si dans une semaine ou deux semaines, vous n’allez pas le rappeler et canceller la plainte […] Parce que pour eux autres, c’est une perte d’argent j’imagine, une perte de temps. Je n’en sais rien, mais ils ne protègent pas. »
Maude, Lanaudière
En plus, le bien-être social m’a dit : « Bien non, il faut que tu sois disponible du lundi au vendredi pour avoir du bien-être social. » Tu as les prêts et bourses, mais les prêts et bourses calculent l’année d’après, alors lui il faisait 50 000$ par année, moi je n’avais plus rien là. […] Alors voilà, c’était vraiment une situation que tu es juste dans la merde jusqu’aux oreilles et le système fait en sorte que tu restes dans la merde. »
Jackie, Saguenay Lac St-Jean
Donc, la petite intervenante du CLSC nous laisse repartir avec notre p’tit bonheur. Puis là, c’est pas la première fois que je passe dans les mailles du filet. J’avais déjà passé dans les mailles du filet à plusieurs reprises. Et là, je passe dans les mailles du filet puis je vais repasser à plusieurs reprises dans les mailles du filet...
Roxanne, Mauricie
J’aurais pu continuer encore très longtemps. Ces extraits que vous venez d’entendre proviennent des récits de vie de femmes qui ont participés à la recherche Violence faite aux femmes de la part de partenaires intimes et itinérance : mieux comprendre pour intervenir de façon concertée (Flynn et Al., 2020). Les noms des participantes ont été remplacés par des noms fictifs.
Ces témoignages, on les entend depuis beaucoup trop longtemps dans tous les groupes de femmes ! Ils mettent en lumière les nombreux obstacles à la sortie de la violence et les violences systémiques vécues par les femmes qui contribuent à les maintenir dans des contextes de violence mettant ainsi leur sécurité et celle de leurs enfants en jeu. Sur les 46 participantes, 13 d’entre elles ont vécu au moins un épisode de violence ou le conjoint ou l’ex conjoint a attenté à leur vie.
Mardi dernier, la ministre Geneviève Guilbault déclairait : « Les services sont là, mais malheureusement, il semble qu’on ne pourra jamais tout empêcher ». Ces propos sont inacceptables et nous sommes indignées ! Nous refusons de baisser les bras et d’accepter que d’autres femmes soient tuées. Des solutions, il en existe beaucoup, ça fait des années et des années que les groupes de femmes les réclament et ça doit impérativement passer par des changements radicaux et structurels dans une visée de transformation sociale : Plus de logements sociaux, des revenus décents, des services d’interprétariat pour les femmes sourdes et les femmes immigrantes, des services de transport adaptés pour les femmes en situation de handicap, pour ne nommer que celles-là. Ça prend aussi des formations obligatoires et continues en violence conjugale pour mieux dépister la violence conjugale, déconstruire les préjugés, les discours et les biais inconscients et faire en sorte que toutes les femmes soient entendues, crues et protégées par toutes les instances et institutions, particulièrement celles qui se retrouvent à la croisée des oppressions, dans des angles morts. Pensons aux femmes autochtones, aux femmes que la société racise, aux femmes en situation de pauvreté, aux femmes immigrantes, aux femmes en situation d’itinérance, aux femmes en situation de handicaps, etc., qui sont surreprésentées dans les féminicides.
Les solutions passent donc aussi par un gouvernement qui reconnait et agit contre le racisme systémique, adopte le principe de Joyce, garantit l’accès à des soins de santé et de services sociaux gratuits pour les femmes immigrantes qui ont un statut précaire, etc. Le gouvernement peut et doit agir et se mettre en action, maintenant, pas demain ou après-demain, maintenant ! À Jackie, Maude, Roxanne, Jasmine, Rilke et à toutes les autres femmes, on vous entend, on vous croit et jamais, on ne baissera les bras ! Oui, madame la ministre, il est possible d’empêcher les féminicides et de mettre fin à la violence conjugale. À l’heure actuelle, la 14e est encore en vie et ça doit rester comme ça ! Tant que toutes les femmes ne seront pas en sécurité, nous serons ici dans la rue et partout où il faudra, nous serons là demain, et après-demain et la semaine d’après et chaque jour si il le faut.
C’est assez, pas une de plus !!!
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