D’emblée, il convient de souligner que, contrairement à ce qui est mentionné dans cet article, les féministes ont reconnu depuis longtemps que les femmes peuvent avoir recours à la violence, rejetant d’ailleurs l’idée que l’agressivité et la violence sont dans la nature des hommes. Elles ont notamment démontré que les femmes peuvent résister de manière violente lorsqu’elles sont elles-mêmes victimes de violence, ce qui peut constituer un geste de légitime défense. Les intervenantes et les chercheures féministes reconnaissent également que certaines femmes utilisent la violence dans d’autres contextes. Loin d’être niées, ces situations sont étudiées par des chercheures féministes de renommée internationale. Par exemple, l’une des revues scientifiques les plus prestigieuses dans le domaine, Violence Against Women, y a consacré plusieurs articles depuis le début des années 2000.
Au Québec, depuis une quinzaine d’années, des initiatives sur la violence exercée par les femmes ont été développées dans le cadre de partenariats entre des chercheures universitaires et des groupes de femmes. L’une de ces initiatives, à laquelle est d’ailleurs affiliée la chercheure Dominique Damant, a mené au développement d’un programme d¹intervention pour les femmes ayant des comportements violents. Ce programme, Violente, moi ? Explorer, décider, agir autrement - Mieux intervenir auprès des femmes qui exercent de la violence, a été implanté dans plusieurs centres de femmes et offert à maintes reprises.
De manière plus large, trois principales raisons expliquent pourquoi les féministes ont moins abordé la question de la violence des femmes que celle des hommes.
Premièrement, il y a une question de priorités. Lorsque les féministes ont commencé à dénoncer la violence exercée par les hommes à l’endroit de leur conjointe et à développer des services pour les femmes victimes de violence conjugale, le recours à cette violence était banalisé et n’était pas reconnu comme un crime. Les femmes victimes de violence et leurs enfants n’avaient pas d’endroit où aller et, ce faisant, étaient contraints de demeurer avec l’agresseur. Les choses ont changé, mais les professionnels ont encore de la difficulté à identifier la violence exercée par les hommes à l’endroit de leur conjointe et à intervenir adéquatement dans ces situations, malgré une politique gouvernementale en matière de violence conjugale.
Deuxièmement, il faut garder en perspective le fait que la violence des femmes constitue un phénomène marginal comparativement à la violence des hommes qui, selon toutes les données disponibles, est plus dangereuse et plus meurtrière. La violence exercée par des hommes a aussi des conséquences plus importantes sur la sécurité, sur la santé physique et mentale et sur le bien-être des femmes et des enfants. Tant la recherche que les ressources disponibles reflètent donc cette réalité.
Troisièmement, considérant l’influence des groupes antiféministes et du discours masculiniste, le phénomène de la violence des femmes demeure particulièrement délicat et complexe à aborder. Comme nous l’avons constaté dans l’article de Sophie Allard, évoquer la violence des femmes mène presque inévitablement des individus et des groupes à mettre de l’avant un agenda antiféministe et, dans ce contexte, les propos des chercheures et des intervenantes féministes sont susceptibles d’être récupérés à cette fin.
En somme, force est de reconnaître que les femmes peuvent recourir à la violence ; les intervenantes et les chercheures féministes le savent et y travaillent depuis longtemps. Or, il faudrait pouvoir aborder ce sujet sans verser dans un discours masculiniste et antiféministe, qui prétend faussement que les femmes sont aussi violentes que les hommes et qu’elles utilisent le système judiciaire à leur avantage - pour « laver » l’ex-conjoint financièrement, demander la garde exclusive des enfants, porter des fausses accusations, etc. Il faut reconnaître que, encore aujourd’hui, la violence conjugale est majoritairement perpétrée par les hommes envers les femmes et ce, tant au Québec qu’à l’international. Ce constat réitère l’importance de continuer de cibler nos énergies et d’investir davantage de ressources pour les femmes victimes que pour les hommes victimes.
Les signataires
Isabelle Côté, candidate au doctorat en travail social, Université de Montréal
Dominique Damant, professeure retraitée, École de service social, Université de Montréal
Simon Lapierre, professeur agrégé, École de service social, Université d’Ottawa
Manon Monastesse, Fédération des maisons d’hébergement pour femmes
Lise Gervais, Relais-femmes
Odile Boisclair, L’R des centres de femmes du Québec
1- http://plus.lapresse.ca/screens/f7adb42b-6a95-4463-9628-d2ebd7d2cc62%7CGI.F38_.d.1K.html