Depuis la proclamation enthousiaste du ministre de l’intérieur italien, Marco Minniti, se targuant d’avoir stoppé l’immigration, nombre de commentateurs (lire Le pacte pourri entre Rome, les garde-côtes et les trafiquants, par Carine Fouteau, et les précédents billets de ce blogue) ont écrit qu’il s’agissait d’une nouvelle sale affaire approuvé par les chefs des pays européens, en premier lieu Merkel et Macron. Et voilà que les témoignages et reportages le dévoilent.
Dans son reportage publié (avec vidéo) dans le Corriere della sera, Lorenzo Cremonesi fait parler le maire de Sabratha ainsi que des migrants enfermés dans les centres de rétention libyens et publie des documents et autres témoignages. Ce maire affirme : « C’est ça la Libye : la seule manière d’aborder la situation, c’est de donner beaucoup d’argent aux trafiquants pour les intégrer dans les rangs de l’Etat libyen comme forces légitimes ». Le gouvernent italien, en accord avec celui de la Libye, a donné plus de 10 millions de dollars au chef des trafiquants, Ahmed Dabbashi, et à son frère, deux criminels bien connus pour la force militaire de leur bande, la « milice 48 ». Ainsi, cette milice, bande de trafiquants, contrebandiers et mercenaires, est devenue une sorte d’unité de l’Etat libyen qui assure la surveillance armée de la côte, arrête les migrants et les enferme dans des centres de rétention.
Dabbashi aurait rencontré des officiers des services secrets italiens dans l’hôtel Gammarth de Tunis. Selon les témoignages de quelques migrants et la présidente de Médecins sans Frontières, Joanne Liu (voir ici la vidéo de sa conférence de presse et la lettre, et même selon la commissaire européenne Cecilia Malmström qui ouvertement soutient MSF, les migrants arrêtés par cette milice sont à la merci de vols, violences, esclavage, viols et tortures. « Migrants et réfugiés sont entassés dans des pièces sombres et sales, sans ventilation. Ils vivent les uns sur les autres et défèquent sur le sol nu.
Par petits groupes, ils sont forcés de courir nus dans la cour jusqu’à tomber d’épuisement. Les geôliers violent les femmes avant d’exiger qu’elles contactent leurs familles, implorant qu’on leur envoie de l’argent pour qu’elles puissent s’extraire de ce cauchemar. » La diminution des arrivées de migrants et réfugiés a été vantée par Marco Minniti et d’autres comme un « succès dans la lutte pour sauver la vie des migrants et supprimer les réseaux de passeurs ». Mais comme l’a dit le président d’Emergency, l’une des grandes ONG de médecins contre les guerres, Minniti est un “sbirro”, un flic ; et on pourrait ajouter que, à l’instar des méthodes de nombre de flics et agents des services secrets, sa solution ne soit pas nouvelle : rappelons que la première reine Elisabeth d’Angleterre incorpora les pirates dans sa marine militaire afin de conquérir le sea power (la suprématie sur mer) et s’affirmer comme la première puissance coloniale. Marco Minniti est désormais connu comme celui qui veut sauver la gauche en « ne laissant pas le fascisme aux fascistes » (regarder sa caricature efficace par l’humoriste Crozza), ce qui pour lui est synonyme de « la sécurité est de gauche » (on se souviendra de Valls).
Voilà donc que, après la grande preuve de mépris des droits de l’homme consistant à payer Erdogan pour garder et esclavagiser les réfugiés fuyant la guerre, l’Union européenne passe directement au soutien aux plus louches affaires, destinant ainsi les migrants à un sort qui n’est pas loin de celui réservé aux juifs par le nazisme.
Par ailleurs, cet arrêt des arrivées de migrants et refugiés ne sera que temporaire. Partout en Afrique et ailleurs, on est au courant de l’enfer libyen et dès lors les migrants n’arrivent plus en Libye et cherchent bien d’autres chemins. Il faudra pas s’étonner si quelques jeunes qui arrivent à survivre à ce que l’Europe réserve aux migrants et réfugiés a la tentation suicidaire de passer à l’acte terroriste.
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