Édition du 18 juin 2024

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Féminisme

La rupture : le plan Nord, les femmes autochtones

Suivant la rhétorique nationale, le Plan Nord serait « le projet de tous les Québécois », mais est-ce vraiment le cas ?

L’auteure est membre du comité Condition féminine, Réflexion féministe de la FIQ

Avec la Loi 34, qui modifie le modèle de gouvernance des régions en donnant plus de pouvoir aux élu-e-s au détriment de la société civile, le gouvernement de Jean Charest tente de procéder sans consulter la population. Ainsi, lorsque le processus a été enclenché, le gouvernement prévoyait ne consulter que les élu-e-s du Nord et les industriels. Les groupes environnementaux finirent, après de multiples pressions, par être intégrés à la « concertation ».

Du Grand Nord à Montréal…

Des femmes Innues sont parties de Uashat mak Mani-Utenam et ont parcouru des milliers de kilomètres pour dénoncer le Plan Nord et rappeler au gouvernement son obligation de consulter et de prendre en considération les décisions des peuples des Premières Nations pour tout projet ayant des conséquences directes sur leur territoire ou leur mode de vie.

Parmi les grandes absentes du débat, on retrouve les femmes qui constituent plus de 50 % de la population autochtone dans le Nord. Ces femmes, quasi invisibles, sont les moins écoutées, les moins consultées, les plus vulnérables. Et pourtant, les impacts et les conséquences du Plan Nord sur les femmes autochtones sont nombreux. L’expérience de femmes autochtones du Québec révèle que ce type de développement a des incidences négatives sur la situation des femmes autochtones dans les communautés en exacerbant les préjugés, les violences et les inégalités.

Les femmes autochtones, dans et hors réserve en 2001, enregistraient un taux de monoparentalité deux fois plus élevé que celui des femmes non autochtones (19 % contre 8 %). Les nombreuses familles dirigées par des femmes autochtones sont donc plus dépendantes de l’aide sociale. Chez les femmes autochtones vivant hors réserve, les responsabilités familiales sont la raison la plus souvent invoquée pour des études postsecondaires inachevées, alors que la grossesse et les soins des enfants constituent l’explication la plus fréquente de l’abandon des études secondaires.

Qu’est-ce que le Plan Nord a à offrir à ces femmes comme perspective d’emploi ou d’amélioration de leurs conditions de vie ? Une étude portant sur le développement minier au Labrador montrait que les femmes tardaient à intégrer le marché des mines, alors que ce sont les hommes qui avaient les emplois les plus stables et les mieux rémunérés. Les femmes autochtones accumulent donc des emplois marginaux, à plus faible revenu, alors qu’elles sont la plupart du temps les seules pourvoyeuses de leurs familles.

Le secteur minier est surtout un monde d’homme. Avec le fly-in et fly-out, on assiste à une flambée des prix et à une pénurie de logements disponibles accroissant les inégalités dans les régions, mais aussi à l’arrivée d’hommes blancs venus seuls du Sud pour plusieurs semaines et… à l’augmentation de la prostitution aux alentours des chantiers dont les femmes autochtones sont les premières victimes. Marginalisées et victimes de discrimination, elles se retrouvent dans la rue, appauvries par un filet de sécurité social inadéquat et réduites à vendre leurs services sexuels pour échapper à une trop grande précarité économique et à l’itinérance. La prostitution devient un moyen de boucler les fins de mois. Elles sont de fait victimes de la représentation que se font les hommes blancs des femmes autochtones comme des « femmes faciles » dont on peut disposer en toute impunité.

Les Premières Nations innues qui s’opposent au Plan Nord se font dire par le premier ministre que si elles ne veulent pas monter dans le train du développement économique, elles devront trouver ailleurs les moyens pour assurer leur avenir.

Il est urgent et fondamental que les multiples enjeux de ce modèle de développement économique pour la société québécoise dans son ensemble, mais surtout pour les communautés autochtones et notamment pour les femmes autochtones, soient abordés de front dans le cadre du déploiement du Plan Nord. Pour le moment, ce n’est pas le cas.

Caroline Flageol

membres du comité Condition féminine, Réflexion féministe, FIQ

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