Yousef Munayyeri, The Nation, 28 décembre 2016
Traduction : Alexandra Cyr
Depuis la semaine dernière, (19-25 déc.), nous sommes témoins d’une série d’événements en partie sans précédents. Ils ont ramené l’enjeu palestinien au devant de la scène. Le vendredi, 23 décembre 2016, les États-Unis se sont abstenus lors du vote de la résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations-Unies, permettant ainsi qu’elle soit adoptée par les 14 autres membres de ce conseil.
Le contenu de cette résolution qui parle des colonies ne dit rien de nouveau. Les Nations-Unies et le reste du monde, à l’exception de l’aile droite israélienne, ont compris que la quatrième Convention de Genève s’applique aux territoires occupés par Israël depuis 1967 et, qu’en conséquence, les colonies sont illégales ; même le Conseil juridique israélien a compris cela en 1967. Les dirigeants-es israéliens-nes ont pensé que, si la colonisation de la Cisjordanie se faisait sous l’autorité militaire, il leur serait possible de soutenir qu’ils ne violaient pas la partie de la Convention qui interdit les déplacements de population. C’est pour cela qu’au point de départ, il était question de « colonies paramilitaires » ; elles étaient organisées par une division de l’armée. Les dirigeants-es du pays ont fini par comprendre au fil du temps, que personne ne leur en tenait rigueur, la fiction a été mise de côté. Le financement, la construction et les subventions à un grand nombre d’installations se sont faits ouvertement, en toute violation de la loi et elles se sont développées jusqu’à concerner des centaines de milliers de colons israéliens-nes.
Cette résolution 2334 est unique par l’inquiétude profonde qui s’y reflète en regard de la solution du conflit israélo-palestinien au moyen de la création de deux États. Cet aspect du conflit n’avait jamais été avancé au Conseil de sécurité avant l’ère G.W. Bush. À la fin du mandat de son successeur, cette résolution dit clairement que cette solution est sur le point de ne plus pouvoir s’appliquer à cause de la colonisation israélienne.
Le point de non-retour pour la solution de deux États explique probablement le ton passionné du Secrétaire d’État américain, M. J. Kerry, dans son discours d’aujourd’hui. Il critique la colonisation et déclare que Washington ne peut pas permettre que la solution des deux États « soit détruite sous nos yeux (…) alors qu’il n’y a pas d’alternative viable ». C’était une tentative de devancer les blâmes qui apparaîtront dans les livres d’histoire. Il a clairement dit que si Israël veut détruire les chances de paix avec la colonisation, ce sera son choix. De fait ce choix est déjà fait.
Pour ma part, je suis convaincu que la solution des deux États est morte. Je ne crois pas qu’elle soit encore possible et je doute que les observateurs-trices honnêtes pensent autrement. Presque les deux tiers des Palestiniens-nes qui vivent dans les territoires occupés, pensent également que l’étendue de la colonisation israélienne ne la permet plus. C’est le plus grand nombre de personnes jamais enregistré qui partagent cette opinion, mais le monde prétend encore que c’est possible, en grande partie parce qu’il n’est pas prêt à faire face à sa disparition. Cette attitude a permis de masquer la politique israélienne de colonisation : tant qu’il y a des espoirs que la solution des deux États puisse s’appliquer, il y a moins de raisons de critiquer Israël pour le développement des colonies. La formule prévoit, après tout, que la plupart de celles-ci devront être détruites pour donner un territoire viable aux Palestiniens-nes. De voir ainsi les colonies comme un phénomène « temporaire » a permis à Israël de poursuivre son occupation, mais l’environnement politico-juridique de la solution des deux États exige que les acteurs soient prêts à y jouer leur rôle. L’administration Obama l’a fait tout au long de ses huit années de mandat, mais celle qui suit, s’en retire totalement.
Tout ce que nous avons pu voir de la part de D. Trump, suggère qu’il va adhérer aux idées et politiques de l’extrême droite israélienne. Ses représentants ont été les plus ardents à célébrer la victoire du Président désigné, à tel point que son équipe leur a demandé de baisser un peu le ton. L’été dernier, au cours de la campagne électorale, D. Trump et son entourage ont utilisé les termes les plus anti-palestiniens qu’aucune plateforme d’aucun parti national américain ait jamais utilisé. En plus, le Président désigné nomme David Friedman au poste d’ambassadeur en Israël qui a soutenu des colonies non seulement par le discours, mais financièrement. Grâce à une organisation dont il est le dirigeant, il a aidé à transférer des millions de dollars à une colonie installée profondément dans les territoires occupés.
Le prochain Président des États-Unis ne poursuivra pas la politique du faux semblant. Au lieu d’appliquer ce que les avocats-es pour la paix ont longtemps demandé, à savoir que les États-Unis cessent de soutenir financièrement Israël tant qu’il contrevient à la politique américaine et aux lois internationales bien reconnues en poursuivant la colonisation des territoires occupés, il semble que D. Trump va accorder le soutien américain à Israël en se débarrassant de la prétendue opposition à ses politiques d’apartheid.
La réponse israélienne a pris la forme d’une campagne de la terre brûlée en menaçant de représailles de toutes sortes dans toutes les directions, mais les attaques contre le Président Obama ont été les plus importantes. Il a été traité par les représentants-es d’Israël du plus grand opposant à ce pays, et ce, malgré qu’il lui ait fourni plus d’aide militaire que n’importe quel Président avant lui et que, jusqu’à la semaine dernière, il ait empêché qu’aucune résolution du Conseil de sécurité des Nations Unis critiquant Israël ne soit adoptée. Ses prédécesseurs avaient largement fait autrement. À lui seul, le Président Reagan a laissé passer 21 de ces résolutions. Il avait même trouvé un moyen de soutenir les critiques contre Israël lors du siège et du bombardement de Beyrouth en 1980. Le Président Obama est demeuré silencieux quand Israël a tué 551 enfants lorsqu’il a attaqué la Bande de Gaza en 2014.
En fait, beaucoup de personnes en Israël n’ont jamais fait confiance au Président Obama simplement parce qu’il est ce qu’il est. Dans les conversations, dans les forums de discussion sur internet, l’attention est souvent portée sur son second prénom, Hussein, qui soulève la suspicion sur sa capacité de comprendre l’histoire d’Israël. M. Netanyahu ne le dira pas directement, mais les échos qui nous parviennent de la droite israélienne, en Israël comme aux États-Unis, ont répandu l’idée que M. Obama trahit Israël et le peuple juif.
Nous avons entendu cela avec un ton particulièrement audible quand le Président Obama a déclaré que les frontières de 1967 devaient servir de base dans les négociations pour les deux États ; c’est la position américaine depuis très longtemps. Pourtant, sa déclaration a été reçue avec hystérie par les dirigeants-es d’Israël, certains-es allant jusqu’à parler des « frontières d’Auschwitz », reprenant une qualification popularisée à la fin des années 1960 par le diplomate israélien Abba Eban dans son opposition au retrait de l’armée israélienne des territoires nouvellement occupés. Nous l’avons aussi entendu dans la bouche de personnes comme Élie Wiesel qui, dans des messages dans les plus grands journaux du pays, se sont prononcées contre la diplomatie nucléaire de Washington face à l’Iran, la qualifiant de simple mesure d’apaisement d’un projet d’anéantissement (d’Israël). La plupart du temps, M. Netanyahu a analysé la diplomatie de l’administration Obama avec l’Iran à partir de deux éléments : la politique d’apaisement de Neville Chamberlain face aux nazis à Munich et à l’histoire biblique d’Esther. Aujourd’hui, nous entendons M. Netanyahu dire comment le soutien de M. Obama à une résolution qui déclare Jérusalem « territoire occupé » est outrageant alors que les Israélites allument les chandelles pour la fête de Hanukkah.
Ce genre de discours s’est développé depuis la fin de la guerre froide. Avec la fin de « l’empire du mal », Israël a craint de perdre sa pertinence aux yeux des États-Unis elle s’était développée à cause de la guerre froide. C’est à ce moment que nous avons commencé à entendre la théorie de l’historien Bernard Lewis sur une nouvelle bipolarité mondiale entre l’Occident chrétien et l’Islam. Après le 11 septembre (2001), cette théorie a gagné en popularité et la droite israélienne y a trouvé son compte. Immédiatement après cet événement, M. Netanyahu a déclaré : « c’est très valable » pour ensuite dire : « ma foi, pas très valable », mais cela pourra : « renforcer les liens entre nos deux peuples ».
le 11 septembre (2001), les catégories « Judéo-chrétien » et « Musulman » ont été de plus en plus radicalisées. Souvent répandues par l’extrême droite, cette conception des enjeux politiques a permis à Israël de se retrouver à l’avant plan de la lutte avec l’Islam. Elle a servi à empêcher toute critique du traitement d’Israël envers les Palestiniens-nes en renforçant la vision du monde basée sur : « vous êtes avec nous ou contre nous ». Ce que nous observons en ce moment, ce sont des allégations de trahison de la race envers Barack Hussein Obama. (…)
Dans ce contexte, on ne devrait pas se surprendre que les dirigeants-es israéliens-nes s’alignent vigoureusement sur le Président désigné, D. Trump. Sa carrière politique a été lancée par le mensonge sur l’acte de naissance du premier président noir (des États-Unis) : son curieux nom indique qu’il n’est pas des nôtres.
M. Netanyahu est le miroir de D. Trump. Les réactions actuelles venant d’Israël en ce moment ne reflètent pas uniquement la voix des dirigeants-es du pays mais, de plus en plus, celle de l’élite américaine pro-israélienne. Elle illustre, en la multipliant, leur vision du monde qui rejette le multiculturalisme et l’égalité. Le désespoir les assaille parce qu’ils et elles manipulent une vision à l’agonie. Il se peut que ses partisans-es gardent le pouvoir encore quelques années mais, il n’y a aucun doute qu’elle ne résistera pas dans l’avenir.
1. Y. Munayyer est directeur exécutif du site US Campaing for Palestiniens Rights et analyste politique au Arab Center à Washington D.C.