Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Féminisme

La pauvreté d’esprit du capitalisme

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Les romans de Charles Dickens. Écrits en pleine époque victorienne, alors que travailleuses et travailleurs étaient exploitéEs à travailler jusqu’à plus d’heures, dès le plus jeune âge dans des usines naissantes, mais déjà délétères pour la santé. Où les pauvres étaient jeté.e.s en prison pour dettes, sans vergogne. Ces grandes oeuvres littéraires nous rappellent brutalement que cette façon de faire, bien qu’elle ait aussi servi à amener des changements sociaux importants, est toujours bien présente dans l’esprit des dirigeants de pays, incluant bien sûr, celui du Québec.

Les plus démuni.e.s de nos sociétés, ces pauvres que l’on force à vivre avec assez d’argent pour ne rencontrer que 50% de leurs besoins de base et que l’on punit sévèrement lorsqu’iels tentent de s’en sortir, sont des personnes qu’il fait bon blâmer, une sorte de police d’assurance qu’on n’y goûtera jamais soi-même. C’est là l’arrogance du privilège. La pauvreté d’esprit du capitalisme.

Lorsque l’on a affaire à des gens vulnérables, la tentation de ne pas reconnaître leur agentivité est si subtile, qu’on y cède sans même s’en rendre compte. C’est connu, on est pauvre, donc idiot. Or, rien n’est plus faux, mais l’étiquette continue de marquer à jamais celles et ceux sur qui on l’appose.

Les personnes en situation d’itinérance ne sont pas en reste de ces stigmates. C’est certainement par un quelconque « manque », d’intelligence ou de caractère, qu’une personne se retrouve à la rue ! Ce raisonnement fait librement abstraction d’autres facteurs, comme le coût exorbitant des loyers, du pétrole, de la vie en général, en plus des violences quotidiennes ou non, que vivent les hommes et les femmes perméables à la réprobation sociale.

Les défenderesses et défenseurs des plus vulnérables sont nombreux.ses. Bravo pour votre engagement et merci, au nom de la Vie ! Mais bien peu ont les moyens financiers et énergétiques (c’est lourd, ça use et ça essouffle) pour mener les longs combats qui épuisent prématurément la militance. Et pourtant.

Par exemple, à la fin du mois, un refuge de transition pour femmes en situation d’itinérance de Saint-Jérôme, sera forcé de fermer ses portes et de mettre ainsi à la rue, ou de retour dans des situation familiales de violence, 9 femmes qui sont en cheminement, qui sont en train de se refaire, de traiter leurs traumatismes afin de (re)trouver une vie « normale ». La différence entre ces femmes et celles qui sont hébergées temporairement ailleurs, c’est qu’elles ont entamé le processus de transition en mettant en pratique de meilleures situations, et en ayant un suivi étroit, aidant et plein de compassion. Porter la bataille en leur défense est difficile, mais incontournable.

À la Maison de Sophia, nous hébergeons depuis plus de 10 ans, des femmes qui ont vécu l’une ou l’autre forme de violence, familiale, économique, étatique, et qui ont tout mis en pause afin de se rebâtir, elles-mêmes, leurs enfants et leur vie.

De tous les organismes communautaires de la région, il est le seul à appliquer la pratique du TIC , le Trauma-informed Care , qui fonctionne un peu sur le modèle de l’accessibilité universelle, où ce n’est pas le handicap qui prévaut, mais bien la personne qui vit cette situation. C’est une nuance, mais elle mérite d’être bien comprise. Quand on vient à la Maison , on est une femme, un être humain à part entière, qui a besoin d’une pause, parce qu’on a perdu son logement, qu’on ne peut en retrouver un adéquat, qu’on ne peut plus travailler pour toutes sortes de raisons et que le coût de la vie et des loyers sont trop chers. Oui, certaines ont consommé de la drogue ou de l’alcool. En arrivant à la Maison, elles sont sobres, peut-être depuis quelques heures, jours ou semaines. Certaines n’ont jamais eu de problèmes de consommation. D’autres n’ont pas été battues par un conjoint violent. Toutes les femmes sont traitées pour qui elles sont et non selon leurs problèmes. C’est énorme comme nuance, finalement.

Dans les refuges de bas-seuil, on accueille les gens, hommes et femmes, sans leurs enfants ni leurs animaux. Plus souvent qu’autrement, on les place dans une grande salle commune, sans aucun respect de leur intimité, et on leur demande de ne pas déranger, si iels ne veulent pas se retrouver dehors. On leur « permet » de prendre une douche si c’est nécessaire.

Chaque résidente de la Maison de Sophia a sa propre chambre, simple, mais assez confortable, où elle peut aussi loger son, ou ses enfants. Ce n’est pas un lieu d’urgence, même si, depuis la pandémie, on nous a utilisées comme tel, sans pourtant nous accorder les ressources nécessaires. On a fait avec. Les hommes n’y sont pas bienvenus, vu que plusieurs traumatismes vécus par nos résidentes ont été apportés par eux. Le lieu physique de la Maison est aussi anonymisé. Les résidentes s’y sentent en sécurité. Elles ont accès à la cuisine, autant qu’elles le souhaitent. Elles peuvent prendre leur bain ou leur douche, aussi souvent qu’elles en ressentent le besoin. Elles ne sont pas en prison et bien qu’il y ait des règles de base à suivre, celles-ci s’apparentent à celles attendues de colocataires. Chaque résidente est accompagnée par une des intervenantes salariées de la Maison . Salariées, on s’entend, aux tarifs en vigueur dans le monde du communautaire, définancé et affamé depuis des lustres. Elles sont 10, attentionnées, motivées, toutes possédant un coeur en or et un souci du détail qui leur est bien utile quand il s’agit d’avoir des paroles encourageantes ou encore, un argumentaire efficace contre l’idéation de suicide. La plupart sont des mères de famille monoparentales. Elles sont aussi formées aux méthodes thérapeutiques. Elles nous sont très précieuses. Dans trois semaines, elles seront mises à pied par manque d’intérêt du gouvernement.

Le gouvernement a en effet décidé que ces femmes étaient des itinérantes et s’apprête à les reloger dans une ressource de bas-seuil, mixte, qui est déjà surpeuplée à 58 personnes, alors qu’elle est conçue pour 48. Pour le gouvernement, elles ne sont que des chiffres, pas des personnes. Hommes et femmes, sans intimité aucune, sans murs, mais qui ont accès aux mêmes toilettes et aux mêmes douches. On comprend que dans ce cadre, toute envie est coupée où remise à plus tard.

Le gouvernement a choisi de définancer nos organismes et du même coup, d’accorder 6,5 millions $ à un nouvel organisme, la Hutte. Même si cet endroit était accueillant, il y aura bris de service puisque, de un, c’est un bas-seuil alors que nos résidentes ne sont pas en bas-seuil et de deux, nos résidentes n’auront plus accès aux ressources qui les ont aidées à se reconstruire, jusqu’à maintenant. Tout ce dont nous avons besoin, c’est 30,000$ dans l’immédiat et 300,000$ pour finir l’année.

Alors, que faire ?

C’est à 21 heures, vendredi, le 25 mars, que la Maison a reçu le verdict du CISSS. Depuis, aucun effort n’a été ménagé pour retrouver du financement. Nous avons eu une écoute attentive de député.e.s de l’opposition, mais du gouvernement, pas grand chose. Le député local a plutôt tenté de nous convaincre que privatiser le communautaire était une bonne chose. En agissant de la sorte, il cautionne donc la privatisation de la pauvreté et du soin. Pour les administratrices bénévoles de la Maison, c’est inacceptable comme position. De la ministre de l’habitation, une demande d’extension de notre bail jusqu’en juin 2023, qui a été reçue par l’OMH (Office municipal de l’habitation) avec bienveillance. Cette extension est en effet assortie d’un engagement à assoir à la même table, l’OMH, la Maison et le CISSS. Malheureusement, depuis ce magnifique engagement, on entend le chant des criquets en provenance du CISSS.

Rien, de la ministre de la condition féminine, Mme Charest. Rien, du ministre délégué à la santé et aux services sociaux, M. Carmant. Rien, non plus, du ministre à la santé et aux services sociaux, M. Dubé.

C’est honteux.

Nous avons eu d’excellents contacts avec certain.e.s journalistes qui nous ont prêté leur tribune, depuis deux semaines. Nous les en remercions chaleureusement ! Et ce n’est pas fini, on va encore parler de nous, c’est certain !

Nous avons mis en place un lien vers notre PayPal. Si vous le pouvez, faites un don : sauversophia.org N’hésitez pas à partager ce lien.

Nous avons aussi une pétition qui a des demandes bien précises. Pour signer : https://www.mesopinions.com/petition/droits-homme/femmes-situation-itinerance-ont-besoin/ 175851 N’hésitez pas non plus, à partager ce lien.

Vous avez une idée pour nous ? info@maisondesophia.org Vous pouvez aussi devenir membre, ce qui nous donne un bon coup de pouce et qui est gratuit : https://docs.google.com/forms/d/1vEiOp5pgkWgqHuiPrDp-__BkjPEaMcYGMEA9y4o0LcM/e dit#response=ACYDBNiUdWAkSM2hDJ1CnXGRyTX_cYXLPlgdtGj20xkfRWuMWIDfwN-qH G9UWW1NVJitjOg

Merci pour votre bienveillante attention et votre mobilisation. Ce que le gouvernement fait vivre au communautaire en général, à la Maison de Sophia en particulier, est simplement odieux. Votre soutien nous est très précieux.

Lucie Mayer Membre bénévole Maison de Sophia.org

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