Parlez-nous de votre école…
C’est une petite école à Lachine, qui fait partie de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, qui couvre toute la partie ouest de l’île de Montréal et qui est, avec 53 000 élèves répartis dans plus de 85 établissements, le deuxième plus grand réseau scolaire au Québec. C’est un milieu très diversifié, très multiethnique, avec des quartiers très pauvres et d’autres davantage de classe moyenne. Dans mon école primaire, il y a 300 élèves, assez majoritairement de milieux populaires, et où on retrouve une bonne centaine de nationalités. L’école que la commission promet de rénover depuis quelques années est plutôt déglinguée. À l’automne, il n’y avait plus de toilettes fonctionnelles dans l’école. Il fallait aller dehors comme dans un chantier de construction !
Quelle est votre place dans ce milieu scolaire ?
J’enseigne depuis trois ans, mais cela fait un an que je suis ici. J’ai un diplôme d’orthopédagogue obtenu à l’Université de Montréal, mais comme il n’y a pas de postes dans cette profession, je suis devenue enseignante au niveau de la première année. Dans notre école, il y a présentement un poste d’orthopédagogue à temps plein pour nos élèves (plus une ressource à temps partiel qui a plusieurs tâches dans la même école). La Commission nous dit qu’on est « au-dessus de la moyenne » et qu’elle ne peut faire plus. En réalité, l’école ne peut pas répondre aux besoins des élèves de cette manière. C’est un peu partout la même situation à Montréal où pourtant, les problèmes sociaux et les défis d’intégrer des milliers d’enfants, provenant de milieux fort différents où la langue maternelle n’est pas le français, sont énormes.
Qu’est-ce qui s’est passé depuis l’automne dernier ?
Il y a eu un réveil syndical assez impressionnant. Plusieurs grandes assemblées de plus d’un millier de membres ont eu lieu pour mandater la FAE à continuer la lutte. Au niveau local, en tant que déléguée de mon école et membre du comité de mobilisation, j’ai constaté la colère, voire l’indignation. Ce n’est pas tout le monde, évidemment, car sur les 6000 et quelques enseignants, il y en a plusieurs qui restent résignés et passifs. Malgré cela, l’action locale a en général bien fonctionné, avec des manifs, des grèves et, fait assez inusité, l’occupation de la Commission scolaire en décembre dernier (on était environ 300). Également, nous avons bien « visité » les députés de la région, tous libéraux par ailleurs, pour leur rappeler les impacts de leur politique austéritaire. Nous avons été plusieurs centaines sur les lignes de piquetage, comme ce qui est arrivé dans les 8 autres syndicats membres de la FAE de la région montréalaise. Il y eu a pas mal d’interaction avec les parents qui en général nous appuient. Nous avons bien participé également aux grandes manifestations nationales.
Les membres de la FAE sont déterminés à continuer ?
Les consultations périodiques qui ont eu lieu depuis le début de la lutte sont toutes allées dans le même sens. En janvier après l’accord de principe accepté par la CSN, la CSQ et la FTQ, une assemblée l’a rejeté à la quasi-unanimité. Même les profs qui sont plutôt tièdes par rapport à l’action syndicale sont négatifs par rapport aux conditions offertes par le gouvernement. En réalité, l’offre aux enseignant-es est une insulte. L’augmentation du salaire de 1% et quelques miettes par année non seulement n’améliore pas la situation actuelle où nous sommes sous-payés, mais nous ramène en arrière. Contrairement à d’autres catégories d’employé-es de l’État qui ont vu cette offre globale partiellement bonifiée par des mécanismes d’appoint (relativité salariale, rangement, etc.), nous nous retrouvons, au primaire et au secondaire, devant une véritable régression. Quant aux conditions de travail, même si l’employeur a retiré ses offres scandaleuses du début (augmentation des ratios élève/prof, prolongement de la semaine de travail, etc.), nous n’avons pratiquement rien gagné. Ce n’est pas pour autant le recul catastrophique annoncé au départ et dans ce sens, on peut dire que notre forte mobilisation les a fait un peu reculer.
Comment se présentent les prochaines étapes de la lutte ?
C’est certain qu’avec l’accord de principe, le Front commun est fragilisé. La semaine dernière, le ministre Sam Haddad nous a plus ou moins envoyé un ultimatum. Un décret ou une loi spéciale n’est pas trop loin. La possibilité d’une mobilisation globale, une grève générale par exemple, n’est plus à l’horizon immédiat. Il se peut cependant que le gouvernement y pense à deux fois avant d’envoyer promener 160 000 syndiqué-es du secteur public. On sait aussi que d’autres syndicats, qui ont majoritairement endossé l’entente, ne sont pas contents, comme on le constate parmi des membres de la CSQ dans diverses régions. Pour le moment donc, on s’aligne vers des actions ciblées, au niveau local. À la FAE, on a le sentiment qu’on peut gagner davantage, comme en 2010 d’ailleurs, où le règlement final avait été au final plus avantageux pour nos membres. Plusieurs actions sont déjà préparées, devant nos écoles, lors des « visites » des bureaux de députés et de la commission scolaire, et autrement (il y aura des surprises !).
Est-ce que quelque chose est en train de changer dans le syndicalisme enseignant ?
Je pense que oui. Pendant longtemps, le processus syndical a été ultra centralisé par des structures lourdes où les membres étaient pratiquement spectateurs. La mise en place de la FAE il y a 10 ans a été une réaction à cet éloignement des structures qui se faisait sentir, particulièrement à la CSQ. Aujourd’hui un réalignement se produit vers la mobilisation et les actions locales où on peut agir et voir ce qu’on peut faire. C’est un changement de mentalité. Il faut dire que cela vient beaucoup des jeunes qui, comme moi, ont eu la chance de vivre le printemps érable. Le sentiment de plusieurs d’entre nous est qu’on ne doit pas attendre que la solution vienne d’ailleurs, d’en haut. Je le vois ailleurs dans les autres établissements de la Commission scolaire, comme à l’école où mon conjoint enseigne également. Dans notre génération, nous avons acquis des connaissances et des compétences en termes de mobilisation et d’organisation. Nous comprenons ce qui se passe à l’échelle de notre milieu de travail et plus largement dans la société. Nous avons perdu une certaine peur du pouvoir qui sévissait et sévit encore autour de nous.