mercredi 8 novembre 2023 | tiré d’AOC
Tout le monde s’entend, de Joe Biden à Xi Jinping en passant par les libéraux ou les anarchistes : il faut faire une transition vers des modes de vie et de production plus durables, notre survie collective en dépend.
Difficile pourtant de converger de manière consensuelle vers la forme concrète que celle-ci pourrait prendre, malgré tous les efforts scientifiques qui sont mis à contribution. Les implications économiques d’une telle transition demeurent notamment difficiles à établir. On sait que le statu quo ne peut pas être maintenu, mais jusqu’à quel point une transition écologique exige-t-elle un changement du système économique ? Dans cet article, nous soutenons que, pour être un succès pérenne, une transition écologique devra être accompagnée d’un changement systémique complet et que pour qu’un tel changement permette une reconfiguration de l’activité économique à l’intérieur des limites et des possibilités planétaires, il devra être planifié démocratiquement.
On ne compte plus les ouvrages qui recensent les impacts délétères du système capitaliste sur l’environnement. Sans présenter l’ensemble des arguments, nous pouvons néanmoins affirmer que la dynamique capitaliste pousse à aller au bout des possibilités techniques de production. En gros, on tentera toujours d’en faire plus et de développer des produits et services différents pour conquérir (voire, créer) de nouveaux marchés.
Bien entendu, il y a des périodes de recul de la production, de crise ou des limitations volontaires quand il peut être profitable de diminuer l’offre, mais toute marge de manœuvre ainsi dégagée tendra à être utilisée éventuellement pour produire davantage dans le but de générer plus de profits. Les effets de concurrence et l’impératif de profitabilité forcent les entreprises à donner le plus de valeur économique possible aux ressources dont elles disposent. Dans la mesure où elles peuvent les transformer en capital et que ce capital est liquide, comme, par exemple, lorsqu’elles transforment des ressources en actifs financiers, elles n’auront pas d’incitatif spécifique à préserver ces ressources. De même, il n’y aura pas de prise en compte de la rareté absolue d’une ressource donnée, simplement d’une rareté relative à un instant précis, liée à la demande et l’offre à ce moment. Ainsi, on s’ajustera en fonction des variations de prix sur les marchés à des moments précis, mais on n’adaptera jamais la production pour s’assurer de respecter la régénération de cette ressource.
Plutôt que réformer, dépasser
Cet état de chose invalide donc toute réforme qui reste à l’intérieur du cadre des dynamiques structurelles du système économique actuel. Le problème à résoudre pour opérer la transition écologique ne provient pas d’un manque d’information, de la malveillance de certains ou encore d’un déficit de réglementation. La logique même du capitalisme le rend impossible à résoudre durablement, dans la mesure où le contournement des règles environnementales est par essence profitable à court terme, comme l’est l’incorporation de dimensions toujours plus grandes du réel dans le processus d’accumulation de capital. Il ne s’agit pas non plus de simplement « ré-encastrer » un système qu’on aurait libéralisé à outrance ; le capitalisme est bel et bien un construit institutionnel dans sa forme actuelle et le système ne manque pas de planification. L’enjeu c’est que l’activité économique est largement organisée par et pour des entités individuelles qui n’ont pas d’avantage particulier à la concevoir dans son ensemble ou à contraindre leur développement de quelque manière que ce soit. Tant qu’on parvient à s’insérer quelque part dans les chaînes de valeurs et à en dégager un profit, tout va. C’est un dispositif qui a l’avantage d’inciter à la recherche de nouvelles niches et d’innovation, mais qui mine en même temps toute tentative de modération sur des bases environnementales.
S’il ne s’agit pas de réajuster le système à la marge mais d’en altérer radicalement la nature, trois impératifs nous permettent de juger si les changements sont à la hauteur de la tâche. Premièrement, pour abroger l’incitatif à dépasser constamment les limites planétaires, il faut se défaire de la contrainte à l’accumulation, qui trouve son origine dans la recherche de la profitabilité. Deuxièmement, tout système viable devra s’inscrire dans les limites planétaires, mais d’une manière qui permette néanmoins de répondre adéquatement aux besoins humains. Troisièmement, la transition socio-écologique implique une réappropriation politique et démocratique des processus économiques.
L’économie est déjà planifiée
Quoi que puisse en dire la théorie économique standard, une économie moderne et opérant à large échelle est toujours planifiée. Elle peut l’être de manière centralisée par un gouvernement ou encore de manière relativement décentralisée par des entreprises ; dans la plupart des économies d’aujourd’hui, les deux modes de planification se croisent. Les débats autour d’une supposée dichotomie entre planification et marché sont donc largement à côté de la plaque – ce qui importe, c’est de discuter de la nature et des modalités de chacun de ses modes d’organisation de l’économie. C’est sur cette base qu’il nous apparaît fondamental non pas de remettre en cause le besoin de planification, mais bien la manière dont elle est faite. Ainsi, une institution comme un marché ne se retrouve pas rejetée d’emblée, pas plus qu’elle n’est au centre des préoccupations. Elle figure plutôt comme une option institutionnelle parmi d’autres.
Les deux formes de planification dominantes (par l’État ou par de grandes corporations) donnent lieu à un déficit démocratique important – les gens concernés au premier chef par les décisions prises par les gouvernements ou les entreprises participent assez peu à ces décisions. La reprise en main des processus de planification par les personnes concernées offre la possibilité de prendre en compte expertises et intérêts de chacun. Comme l’économie est déjà planifiée, il ne s’agit pas de passer plus de temps ou de ressources à le faire, mais bien d’en répartir plus largement la responsabilité, tout en subordonnant les structures économiques mises en place à l’atteinte d’objectifs environnementaux et sociaux.
Si la transition vers une planification démocratique de l’économie est à la fois nécessaire et possible, ça ne signifie pas qu’elle soit simple à concevoir. Dans un article paru en ces pages, des modèles de planification économiques théorisés depuis trente ans ont été brièvement présentés. Ces modèles ne règlent pas pour autant tous les problèmes. Parmi ceux qui restent à résoudre, trois nous semblent particulièrement épineux. D’abord, comment ce système économique peut-il établir quels sont les besoins humains, pour ensuite parvenir à les satisfaire ? Ensuite, comment peut-on inclure les dimensions écologiques de l’économie dans les processus de décision pour parvenir à respecter les limites planétaires ? Enfin, comment une économie planifiée démocratiquement interagit-elle avec ses partenaires économiques internationaux ? Nous proposerons ici nos premières pistes de réflexion pour répondre à ces importantes questions.
Politiser les besoins
Depuis le début du XXe siècle, plusieurs disciplines débattent de la nature des besoins humains. Chaque compréhension des besoins a des implications radicalement différentes sur la manière dont on pourrait organiser collectivement leur satisfaction. On connaît bien sûr la pyramide des besoins établie par Abraham Maslow en 1943, qui considère les besoins comme une réalité objective. Si on adopte une telle compréhension des besoins, on considère qu’il est possible de recenser et de nommer l’ensemble des besoins humains, et la recherche scientifique devient un outil indispensable pour y arriver. Pour Maslow, ces besoins objectifs peuvent être hiérarchisés, certains étant plus importants que d’autres. Pour d’autres comme Virginia Henderson, ils ne sauraient être hiérarchisés. Pour satisfaire les uns il faut simultanément satisfaire les autres.
Une autre approche des besoins juge qu’ils seront toujours relatifs et qu’il n’est pas possible d’en donner une définition objective. C’est le cas de la plupart des économistes orthodoxes, qui présentent les besoins comme étant le propre de chaque individu. Pour eux, ces besoins sont notamment exprimés par les préférences révélées sur le marché des biens de consommation. Plusieurs critiques du système capitaliste considèrent eux aussi que les besoins ne peuvent être une catégorie objective, parce qu’en fait la notion de besoin elle-même serait le produit du développement historique du capitalisme. C’est le cas du théoricien de l’École de Frankfort, Théodore Adorno, qui lie le concept de besoin à la société de classe, mais aussi d’Ivan Illich qui considère que l’idée de besoin telle que nous la connaissons ne peut surgir que dans une société profondément hétéronome où même ce qu’il nous faut pour pouvoir vivre nous semble imposé de l’extérieur.
Quel rapport une société autonome qui planifie démocratiquement son économie pourrait-elle avoir avec l’idée de besoin ? En accord avec la philosophe étasunienne Nancy Fraser, nous croyons que la définition des besoins est déjà, au sein du capitalisme avancé, l’objet d’une négociation. Les besoins sont à la fois objectifs et subjectifs du point de vue de l’individu, mais du point de vue de leur reconnaissance sociale et de la possibilité de leur satisfaction, ils sont d’abord profondément politiques.
Pour qu’un besoin existe socialement, il faut qu’il soit exprimé, entendu, reconnu et que des gestes soient posés pour qu’il soit possible de le satisfaire. Les moyens mêmes de les satisfaire peuvent être bien différents en fonction des rapports de pouvoir qui se jouent au sein d’une société donnée. Fraser prend l’exemple du logement. Au sein du capitalisme, il faut d’abord qu’on exprime le besoin de logement et qu’il soit reconnu politiquement ; c’est ce qu’ont tenté de faire les luttes pour le droit au logement. Ensuite, une société répond à ce besoin via une intervention de l’État et la construction de logement sociaux ou plutôt en laissant des promoteurs privés construire plus de logements et les rendre disponibles sur le marché.
Or, au sein du capitalisme, la décision collective n’est toujours qu’à moitié consciente. Elle est le fait d’un rapport de pouvoir, et dans certains cas d’une négociation explicite entre différents acteurs, mais à peu près jamais d’une décision collective de l’ensemble de la société. Au sein d’une économie démocratisée, la définition des besoins devra trouver un espace institutionnel qui permet de rendre explicites ces débats. De révéler à la société ses propres tensions sur quels besoins doivent être priorisés. En lieu et place d’un rapport de pouvoir implicite et larvé, cette société devra définir un processus explicite et démocratique d’établissement des besoins minimaux auxquels chaque membre de la société a droit. Bien sûr, ce minimum devrait tenir compte des besoins particuliers liés à des situations spécifiques (physiologiques ou liés à des handicaps ou des maladies, par exemple), là aussi des questions qui seraient l’objet de débats politiques.
Cette définition du minimum et le débat récurrent qui devrait l’entourer serait une pierre d’assise de la société démocratique. En effet, à partir du moment où il est défini, il établit un ensemble d’autres balises. En premier lieu, le travail minimal que la société doit réaliser pour combler les besoins de tout le monde. Ensuite, ce minimum trace une ligne de rémunération horaire sous laquelle il n’est pas acceptable de descendre, mais aussi une consommation minimale à laquelle tout le monde devrait avoir droit, peu importe son activité. Enfin, il peut aussi aider à concevoir une limite de richesse : quel multiple de ce minimum est acceptable comme niveau de richesse ? Une personne riche peut-elle être deux, trois, quatre ou cinq fois plus riche que ce qui est établi comme le minimum ? Parions qu’une délibération démocratique ne mènerait pas à des niveaux d’inégalité comparables à ceux de nos sociétés contemporaines, où certains ont plusieurs milliers de fois plus que le minimum vital alors que d’autres ne l’atteignent même pas.
Prendre en compte la dimension écologique
Planifier l’économie a comme grand avantage de permettre la prise en compte des implications écologiques de nos décisions. Comme les décisions seraient collectives, il serait possible d’en estimer les impacts et de débattre de leur bien-fondé. Ainsi, nous serions en mesure d’échanger sur la pression que notre production exerce sur les écosystèmes, sur l’utilisation de ressources naturelles et sur notre rapprochement des limites planétaires.
Aujourd’hui, il est possible de glaner quelques informations ici et là sur des certifications « vertes », « bio » et « écoresponsable » de certains produits ou encore des estimations de tonnes équivalent CO2 pour les vols en avion, mais il est presqu’impossible de vraiment savoir quelles sont les implications écologiques de nos choix de consommation. Quant à la production, à peu près toutes les décisions la concernant sont hors de portée de la plupart de citoyens. Les compagnies qui nous vendent les biens et services ont bien peu d’intérêt à divulguer cette information.
Si la production et la consommation étaient organisées de manière démocratique, non seulement pourrait-on accéder à l’information sur les impacts environnementaux des processus de production, mais on pourrait également faire des choix de consommation éclairés en se basant sur des indicateurs riches et variés, comme la consommation en eau, en matériaux critiques et les émissions de gaz à effet de serre associées à toutes les étapes du cycle de vie des produits. Cette information pourrait aussi informer les choix concernant la manière de produire ces biens et d’organiser la production.
Les réflexions sur les dimensions écologiques de l’économie doivent cependant être plus larges que les choix individuels de consommation. Dans le système capitaliste, seuls les marchés agrègent les décisions individuelles. On peut corriger les prix pour y inclure les dommages causés à l’environnement – on dit alors qu’on « internalise » les dimensions environnementales qui avait été considérées comme externes au marché – mais le résultat final de production et d’allocation reste toujours une combinaison de décisions individuelles et de jeux de pouvoir. Les consommateurs et producteurs peuvent avoir des préoccupations environnementales plus ou moins élevées, mais il n’y a aucune manière de regarder le résultat d’ensemble et d’estimer les impacts écologiques associés ; encore moins de prendre des décisions collectives sur cette base.
La planification démocratique permettrait de coordonner les choix individuels de manière à faciliter des décisions collectives. Imaginons que la consommation d’une année est établie à travers l’aller-retour d’informations entre des ménages, des conseils de consommation à l’échelle de quartiers, de régions et de la nation, et que la production est prévue par un échange similaire entre unités de production fédérées. Un ménage estime sa consommation pour l’année suivante, et cette prévision est agrégée à travers les différentes échelles, alors que les unités de production estiment ce qu’elles pourraient produire et en quelle quantité. L’agrégation nationale donnerait une première itération de plan, pour laquelle on pourrait estimer diverses informations, sur l’écart entre la quantité consommée et produite, le temps de travail nécessaire, mais aussi les ressources totales utilisées, la quantité de CO2 émise, etc.
La comptabilisation prospective permettrait de générer un ensemble d’indicateurs sur les pressions environnementales à différentes échelles, auxquels pourraient répondre les ménages et les unités de production en réajustant leurs prévisions. À travers un aller-retour entre itérations de plans et ajustements de prévisions, tous les acteurs économiques pourraient prendre des décisions qui tiendraient compte de leur impact écologique. Élément essentiel de cette planification : les investissements et la stratégie de développement économique à long terme. Quel chemin économique désirons-nous suivre dans les prochaines décennies ? Comment devons-nous transformer notre production d’aujourd’hui pour atteindre cet objectif ?
Enfin, même l’établissement des cibles environnementales à atteindre est une question éminemment politique. Le buzz actuel autour du concept de limites planétaires a le bienfait d’élargir la discussion des contraintes écologiques au-delà du seul réchauffement climatique. En revanche, le concept de limite planétaire lie d’un côté une représentation scientifique de seuil critique – au-delà duquel on estime les risques de bouleversements écologiques comme élevés – avec une notion normative de limite, à l’intérieure de laquelle l’action humaine resterait sécuritaire. Il dit : après ce point, les risques de bouleversements planétaires sont accrus et donc, on ne doit pas le dépasser. La notion de limite planétaire pave ainsi la voie à des interprétations autoritaires qui feraient apparaître comme absolues et objectives les contraintes nécessaires au respect des limites planétaires, camouflant tous les choix politiques et normatifs associés à ces choix de limitation. Qui devrait se limiter, quand et sur quoi ?
Toutes ces questions ont d’importantes dimensions sociales, pour lesquelles la seule issue démocratique est la délibération. Les véritables limites écologiques seront celles que nous déciderons de nous imposer collectivement, à la lumière des connaissances scientifiques sur les processus biogéochimiques et comme résultat d’importants débats politiques, de manière à mettre au jour les implications sociales des limites discutées. Cette auto-limitation collective serait associée à des compromis et des concessions bien concrètes, tant pour la prochaine année que pour le prochain siècle. Non pas objective et imposée, elle serait plutôt débattue et collectivement adoptée.
Les rapports avec l’extérieur
Un défi important au cheminement vers toute organisation démocratique souhaitant s’écarter du capitalisme se trouve dans la cohabitation avec des économies qui elles, sont toujours capitalistes. En effet, les économies de la plupart des pays sont largement imbriquées dans des chaînes de valeurs qui s’étirent à l’échelle du globe, résultat de décennies de libéralisation du commerce et des flux de capitaux. Cet état de chose constitue une contrainte à la transition. Il y a une pression sur les gouvernements pour qu’ils adoptent des politiques favorables aux entreprises étrangères afin de les attirer et donc un incitatif à ne pas mettre de règles sociales et environnementales trop fortes. De la même manière, les entreprises nationales auront du mal à concurrencer des importations produites suivant des normes moins exigeantes. Ainsi, une politique commerciale volontariste doublée de contrôles de capitaux est une composante importante de toute stratégie de transition.
En somme, il s’agit de substituer au régime de libéralisation actuelle une politique commerciale qui soit subordonnée à un projet de transition écologique et systémique. Celle-ci servira à la fois à créer un espace où pourront émerger tout un ensemble de « bonnes pratiques » sociales et environnementales dans les activités de production en les protégeant de l’extérieur et également de les rendre pérennes une fois qu’elles seront là. Comme tout projet de transition sera vraisemblablement porté par un pays ou une région donnée, il sera utile pour ce faire de mettre en place une interface qui puisse servir de sas entre l’économie domestique et l’extérieur. Il s’agira alors d’établir des points de référence, des seuils, et utiliser l’interface pour laisser entrer les flux commerciaux quand il est plus sensé de produire ailleurs, c’est-à-dire quand les pratiques y sont meilleures et que le fait d’importer ne crée pas de dépendance importante pour l’économie concernée.
Trois options sont envisageables pour une telle interface dans le cadre d’une transition socio-écologique. Premièrement, on peut mettre des limites ou des normes internes à la production, mettre des barrières pour les protéger, et puis laisser libre cours au commerce avec ce barème. Si cette option peut effectivement servir de support aux initiatives domestiques, elle a néanmoins le défaut de ne pas prendre en compte les produits qui sont entièrement produits à l’extérieur, comme les fruits tropicaux dans les pays du Nord. Afin de corriger cela, une seconde option serait de se donner un budget de consommation sur certaines dimensions environnementales comme le carbone ou l’utilisation d’eau.
Ainsi, non seulement les cibles et normes internes devraient être respectées, mais toute importation devrait être contrebalancée par une exportation de même ampleur. Cela limiterait les transferts matériels des pays moins fortunés vers les autres et permettrait aussi de se prémunir contre les havres de pollution, c’est-à-dire les juridictions où les normes sont excessivement basses. Ces deux options sont aisées à concevoir dans l’abstrait, mais peuvent néanmoins être compliquées à mettre en place, notamment s’il faut faire des arbitrages entre diverses dimensions environnementales. Ainsi, une troisième option peut donc être simplement de cibler certains secteurs porteurs pour la transition et de les protéger dans le cadre d’une stratégie d’éco-substitution.
Une fois la transition effectuée, l’interface internationale devrait être maintenue afin de favoriser la structure économique domestique tout en ne l’isolant pas outre mesure. Elle aura pour but de favoriser l’autonomie de l’économie en empêchant les influences externes d’en menacer la logique interne. À cet effet, on peut par exemple penser à des contrôles de capitaux assez stricts. En outre, par souci d’efficience, on peut penser à une protection ciblée qui permette de promouvoir des objectifs sociaux et environnementaux tout en permettant le passage de biens si les pratiques sont meilleures ailleurs.
Quoi qu’il en soit, il faudra certainement que cette interface permette une évaluation multifactorielle des produits et services afin d’évaluer les arbitrages entre exportations et importations et de bien les inscrire dans les processus de planification internes. Dans un même ordre d’idées, il sera important que cette interface ne soit pas opaque et que l’information qui y sera traitée soit largement disponible pour faciliter la prise de décision dans l’économie. Finalement, on peut également entrevoir un rôle de support pour d’éventuelles transitions ailleurs, à travers un processus de coopération internationale. Voire, éventuellement, la mise en place de partenariats avec d’autres économies ayant elles aussi démocratisé leur prise de décisions économiques.
Il peut sembler incongru de se projeter dans un horizon temporel où on serait en train de construire un système économique démocratique. En effet, tellement d’obstacles se posent sur le chemin. Pourquoi donc se casser la tête sur des problèmes hypothétiques qui prennent pour acquis qu’on ait déjà fait tellement de progrès ?
En effet, la planification démocratique de l’économie se présente comme un idéal qui peut paraître utopique. Mais en même temps, elle est déjà présente dans le système actuel à une échelle réduite. Par exemple, certaines entreprises sont déjà détenues par des travailleurs, travailleuses et membres de la communauté, et ne visent pas à réaliser du profit économique, mais plutôt à répondre à certains besoins sociaux. La planification réalisée par ces organisations coopératives est faite de manière démocratique, bien qu’elle soit limitée aux activités de l’organisation en tant que telle. À plus grande échelle, des pays, comme la France au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ont connu des formes de planification partielle de leur économie, sans pour autant sombrer dans l’autoritarisme.
On peut penser une situation où le développement d’institutions de planification pourrait appuyer une transition en étapes vers un système différent. Il est toutefois fondamental de confronter les grandes questions sur la manière dont un tel système, dans une forme aboutie ou du moins cohérente, parviendrait à répondre aux défis fondamentaux de l’organisation économique. C’est en faisant cela qu’on consolidera des alternatives viables et désirables pour un futur en dehors du système capitaliste. Ces visions de l’avenir nous permettront non seulement de convaincre que le capitalisme n’est pas la seule option possible, mais également de diriger l’action qui nous permettra de le dépasser.
Mathieu Dufour
Économiste, Professeur agrégé au Département des sciences sociales Université du Québec en Outaouais
Sophie Elias-Pinsonnault
Économiste, Membre du Groupe de recherche sur la planification démocratique du Centre de recherche sur les innovations et les transformations sociales
Simon Tremblay-Pepin
Politiste, Professeur à l’École d’innovation sociale Élisabeth-Bruyère de l’Université Saint-Paul
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