Kyoto 2, la bouée de sauvetage du capitalisme
Le sommet de Copenhague vise à trouver un accord entre les États sur la suite à donner au protocole de Kyoto, qui expire en 2012. Le projet sur la table des dirigeants est très semblable à celui de Kyoto, c’est-à-dire qu’il est basé sur le commerce du carbone et même étend les sphères auxquelles le marché des émissions pourra être appliqué.
Sous prétexte de réduire les émissions de gaz à effet de serre, on a commencé depuis 2005, date d’entrée en application de Kyoto, à faire du carbone, l’élément le plus basique de la vie sur terre, une marchandise. L’accord de Kyoto n’est que cela. Toutes les réductions d’émissions auxquelles se sont engagés les pays riches depuis 1997 peuvent se monnayer en échange de la construction d’une centrale hydraulique ici, d’une plantation de palmiers à huile là-bas.
Cet accord a-t-il permis de réduire les émissions ? Non, puisque depuis 1990, le volume d’émission a augmenté de 40%, et cela malgré la dégringolade des économies de l’ex-URSS et des « démocraties populaires » qui ont largement participé à baisser le niveau des émissions en Europe. Jamais la croissance des émissions n’a été aussi rapide que depuis que Kyoto est entré en vigueur. Mais à quoi sert ce protocole alors ? A faire de l’argent pardi ! Et, pour être plus précis, à sauver le capitalisme mondial.
La guerre pour les ressources a commencé
Notre système économique a besoin, pour survivre, de produire toujours plus. C’est le principe même de la croissance et de l’accumulation du capital. Pour cela, il utilise toujours plus de ressources naturelles, des ressources toujours plus rares, qu’il doit arracher aux communautés rurales qui en dépendent.
Ces vingt dernières années, on a donc vu un accaparement exceptionnel des richesses du monde par quelques dizaines de transnationales qui, pour prendre possession des terres, des réserves d’eau, des minerais et des ressources génétiques (semences et races animales) de la planète, n’hésitent pas à assassiner, à jeter en prison, à terroriser et à affamer des centaines de millions de personnes.
Le protocole de Kyoto participe à cet élan d’expropriation en lui offrant une légitimité morale et un appui financier. Les grandes entreprises ont un besoin particulièrement important d’énergie pour pouvoir continuer à produire en masse et à transporter les biens de consommation d’un bout à l’autre de la planète. Le protocole de Kyoto permet aux pays riches d’éviter de réduire leurs émissions en finançant le développement d’énergies soi-disant « propres » dans le Sud. Monocultures d’agro carburants, barrages géants et mégaprojets éoliens sont ainsi mis en place. L’énergie est ensuite acheminée vers les centres industriels ou les pays riches.
De façon quasi systématique, les populations locales sont chassées de leur territoire et n’ont aucun accès à l’énergie produite. L’aspect durable de ces productions est plus que douteux : les plantations de maïs ou de palmiers à huile pour l’éthanol, par exemple, détruisent la biodiversité, consomment des quantités gigantesques d’eau, sont aspergés d’engrais et de pesticides et s’étendent le plus souvent au détriment de la forêt primaire. Mais surtout, ces énergies renouvelables ne permettent en rien une réduction des émissions de gaz à effet de serre, puisque la consommation d’énergies fossiles, loin d’être remplacée, continue, elle aussi, de progresser.
Il est prévu que la consommation énergétique mondiale augmente de 50% d’ici à 2030, essentiellement grâce à la progression de la production de charbon, de gaz et de pétrole. Malgré des investissements massifs, les énergies renouvelables ne constitueraient alors que 2% de la consommation totale. [1]
Cette perspective, prise comme référence par l’Agence Internationale de l’Énergie, est apocalyptique. Elle a néanmoins le mérite de montrer que les beaux discours sur les énergies renouvelables servent plus à légitimer une croissance généralisée de la production d’énergie qu’à sauver le climat.
A Bali et à Poznan, les négociations ont visé à introduire de nouveaux secteurs dans le commerce du carbone : les forêts (via le mécanisme intitulé REDD) et les terres agricoles. Une entreprise polluante en Europe pourra choisir de ne pas réduire ses émissions et compenser en achetant des crédits-carbone à une entreprise en Indonésie qui possède une forêt.
D’ores et déjà et alors même que l’accord n’est pas encore signé, des investisseurs en recherche d’un placement « durable » commencent à acheter des territoires entiers au détriment des populations qui les habitaient. [2]
Ils vendent ensuite les crédits-carbone sur des marchés volontaires et obtiennent un double profit en commercialisant le bois. La protection de l’environnement est en quelques années devenue l’alibi le plus commun pour expulser des communautés et laisser la place libre aux multinationales. Alors qu’en 2008 40 milliards d’hectares de terres ont déjà été accaparées par les multinationales et certains pays [3], Kyoto va encore accélérer l’expropriation des territoires des populations rurales.
Pauvres et coupables
Le changement climatique et le commerce du carbone n’offrent pas seulement la possibilité pour les grandes entreprises de s’emparer des richesses du monde, ils permettent aussi de justifier auprès des travailleurs le retour de la rigueur.
À Poznan, lors du sommet sur le climat de 2008, de grandes pancartes affichées dans la gare centrale présentaient les 10 Commandements du 21e siècle. On pouvait lire « Ne prends pas l’avion. Recycle. Utilise le vélo plutôt que la voiture. Évite tous les produits avec emballage plastique. Évite tous les produits venant de loin. N’achète pas à moins d’être sûr que tu as besoin de ce produit. Ne produis pas plus de deux enfants. Ne fais rien qui nécessite des terres ou de l’eau jusqu’ici non utilisées. Suis tous ces commandements de façon facile et économique, pour toi et les autres. »
Chacun sait que les grands de ce monde ne fréquentent pas les gares, ce message ne leur était donc évidemment pas destiné. Pendant qu’on s’évertue à convaincre la population de changer ses ampoules et de fermer le robinet pour se brosser les dents, d’autres peuvent tranquillement continuer leur travail de pillage de la planète. Et nous faire la leçon pour accepter une petite réduction salariale, quelques heures de travail en plus, au nom de la simplicité volontaire et de la solidarité avec les ours polaires.
Cet accaparement massif des richesses et le démantèlement des politiques sociales ont conduit à une explosion de la misère dans le monde. Un tiers des urbains habitent maintenant dans des bidonvilles et un milliard de personnes ont faim (un milliard !). Jamais le fossé entre les plus riches et les plus pauvres n’a été si gigantesque. Le terme « pays en voie de développement » cache pudiquement une vérité autrement plus crue : la pauvreté s’accroît. Dans le Sud, mais aussi dans nos pays soi-disant prospères.
Toujours plus de profits pour une catastrophe toujours plus proche
Pour une fois, soyons clairs : la crise climatique n’est qu’un aspect de la crise environnementale globale, qui elle-même n’est que le résultat de l’accaparement et de la surexploitation des richesses naturelles par une poignée d’entreprises multinationales dans le seul but de faire du profit.
La surconsommation des ressources naturelles, et notamment des énergies fossiles, ne vise pas à alimenter, chauffer, abriter les gens, bref, à répondre aux besoins des populations, mais à produire des voitures, des gadgets, du soja transgénique, des voyages aux îles Baléares, pour nourrir la croissance mondiale. Nous pillons la planète pour produire de l’inutile ! Et cela alors même qu’une personne sur six ne mange pas à sa faim ! Le monde regorge d’assez de richesses pour assurer à 9 milliards d’êtres humains une vie digne, mais pas pour produire toujours plus de biens superflus dans le seul but de garantir la pérennité d’un système économique et financier basé sur la rémunération du capital (les taux d’intérêt sont le premier maillon qui justifie la croissance économique).
La question posée par le changement climatique est donc celle du partage des richesses. Kyoto, de même que l’accord proposé à la signature à Copenhague, accroissent l’inégalité de l’accès aux richesses naturelles en accélérant la privatisation du monde. C’est pour cela que ces accords sont pour nous inacceptables.
Changeons le système, pas le climat !
C’est sous ce slogan que manifesteront le 12 décembre les partisans de la « justice climatique ». Une manifestation pour dire NON aux fausses solutions présentées dans le sommet officiel – non au commerce du carbone, non aux agro carburants, non au nucléaire... –, mais aussi et surtout pour proposer de vraies solutions.
Le 16 décembre, Climate Justice Action tentera de s’emparer de la conférence pour donner la parole à celles et ceux, peuples autochtones, paysan-ne-s, femmes rurales, pêcheurs artisanaux, qui depuis des millénaires contribuent par leur travail à stocker du carbone dans les sols, à renouveler la biodiversité, à prendre soin de l’eau, tout en produisant ce dont les communautés ont besoin pour bien vivre. Les solutions face à la crise climatique ne requièrent ni de haute-technologie ni des sommes d’argent colossales ; elles demandent de la volonté et du courage politique. En lieu et place du commerce du carbone, quatre priorités devraient s’imposer pour faire face à la grave crise actuelle :
• La réforme agraire, c’est à dire la redistribution des ressources naturelles telles que la terre, l’eau et les semences, au bénéfice des populations. En 2006, lors de la Conférence Internationale sur la Réforme Agraire et le Développement Rural, 92 pays se sont mis d’accord sur la nécessité de relancer le processus de réforme agraire dans le monde. Cependant, l’opposition farouche de l’Union Européenne et des États-Unis a bloqué tout progrès dans ce sens depuis lors.
• La relocalisation de la production, et notamment de la production alimentaire, en appliquant la souveraineté alimentaire et énergétique. Le transport des marchandises tient une place importante dans les émissions de gaz à effet de serre ; il faut donc soutenir les productions locales, nationales et régionales et autoriser la protection des marchés. L’OMC doit être démantelé et les accords bilatéraux de libre-échange stoppés.
• L’annulation de la dette des pays pauvres, qui les contraint à favoriser les productions d’exportation au détriment du bien-être de leurs populations.
• La réforme totale du système financier avec notamment l’interdiction pour les banques de créer de la monnaie via le crédit.
Nos gouvernements actuels, englués dans la corruption, ne sont pas ceux par qui le changement aura lieu. Ils jouent tout juste le rôle de marionnettes dociles aux mains du pouvoir économique et financier. L’enjeu majeur des mobilisations de Copenhague est de bouleverser le rapport de force entre les multinationales et les populations, de reprendre le pouvoir (Le nom de l’action du 16 décembre est « Reclaim Power ! »), de mettre en lumière la duperie monstrueuse que représente Kyoto et le marché du carbone pour que des milliers, des millions de personnes, rejoignent les luttes pour la réappropriation des territoires, des savoirs, pour des vies dignes et solidaires.
Décembre 2009 n’est qu’une étape dans le processus de renforcement de ce mouvement. Qu’un accord soit signé ou non à Copenhague, nous sommes maintenant en marche.
* Morgan Ody, agricultrice, critique vivement la logique des négociations de Copenhague, qu’elle perçoit comme hypocrite. Elle a travaillé à Bruxelles pour le bureau européen du syndicat agricole international Via Campesina. Elle est membre de Reclaim The Fields, un réseau de jeunes paysans européens qui veulent retrouver le contrôle de la production alimentaire. Elle vient de s’installer comme agricultrice en Bretagne, en maraîchage avec un projet d’AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne). Elle collabore au site Altermonde-sans-frontières.
1. World Energy Outlook 2009, novembre 2009, http://www.worldenergyoutlook.org
2. Des paysans victimes du commerce de carbone sur les forêts, 11 décembre 2008, communiqué de la Via Campesina.
3. Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière, rapport de GRAIN, Octobre 2008.
(9 décembre 2009)