Cela a changé avec l’invasion de la Cisjordanie palestinienne et de Gaza (et la péninsule du Sinaï, remis à l’Egypte en 1979) en 1967 après la guerre des Six Jours. Maintenant, Israël, avec son plan d’expropriation des terres palestiniennes et de construire des colonies sur celles-ci en violation flagrante du droit international, commençait à être considéré comme un oppresseur colonial avec les retombées politiques que cela impliquait. Surtout parmi les nations qui s’étaient libérées du joug des puissances impériales occidentales dans les années 1950 et 1960. Il n’est pas surprenant qu’il n’y ait pas eu une telle critique d’Israël de la part de ces entités coloniales occidentales, les mêmes qui avaient abandonné les juifs pendant la période de la Shoah.
En réponse à la critique croissante du projet colonial d’Israël, également connu sous le nom de projet duGrand Israël, certains politiciens israéliens ont commencé à élaborer une stratégie pour répondre à cette critique. Il a été décidé de dépeindre la critique de la colonisation par Israël des territoires palestiniens (inhérente au projet sioniste depuis son origine) comme la manifestation de l’antisémitisme : la critique du développement des colonies israéliennes était assimilée au refus de l’autodétermination juive, d’où l’essence même de l’antisémitisme.
Dans un article de 1973 pour le Congrès juif américain, le ministre israélien des Affaires étrangères Abba Eban a accusé « l a nouvelle gauche » d’être responsable d’un « nouvel antisémitisme » qui accepte que « le droit d’établir et de maintenir un État souverain national indépendant est la prérogative de toutes les nations, tant qu’ils ne sont pas juifs. »
Ainsi est né le concept du nouvel antisémitisme lequel serait récupéré par une pléthore de regroupements sionistes pour le compte de la colonisation illégale par Israël des territoires palestiniens occupés. Il est également significatif que dans son discours écrit au Congrès juif américain, Aban ait identifié la gauche comme l’incarnation du nouvel antisémitisme. C’est le leitmotiv que le lobby pro-israélien défend depuis. Avec la complicité de la classe politique et des grands médias.
En effet, compte tenu de ce leitmotiv, il était inévitable que le concept de la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (International Holocaust Remembrance Alliance) devienne un instrument permettant de vaincre toute critique de la politique israélienne grâce à un processus d’intimidation bien planifié et bien appliqué.
À l’origine, la définition de l’IHRA était censée être un cadre conceptuel pour identifier la vraie nature de l’antisémitisme. Au lieu de cela, elle a été élargie pour inclure toutes les critiques de la politique d’Israël envers les Palestiniens. Cette notion falsifiée d’antisémitisme a été développée comme l’instrument par excellence pour attaquer la campagne de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) contre Israël. Des organisations sionistes travaillant en tant qu’agents externes du département israélien des Affaires stratégiques ont réussi à convaincre certains gouvernements d’adopter officiellement la définition de l’IHRA comme politique. Vingt-neuf pays ont adopté la définition de l’IHRA (non contraignante), y compris le Canada.
La tentative d’inclure dans la définition de l’antisémitisme la critique de l’État d’Israël est un phénomène qui fait suite à la campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) contre Israël menée par 170 organisations de la société civile palestinienne en 2005, et par la suite par le rapport Goldstone condamnant l’attaque israélienne contre Gaza de décembre 2008 à janvier 2009 et surtout l’attaque meurtrière contre Gaza en 2014. En effet, plus les appuis à la campagne du BDS contre le système d’apartheid israélien gagnent du terrain, plus la campagne visant à confondre les critiques d’Israël à de l’antisémitisme est en contrepartie devenue vigoureuse.
Tel que décrit par La Conversation :
Lutter contre l’antisémitisme est essentiel, mais les critiques canadiens de la définition de l’IHRA affirment que cette nouvelle formulation risque de « freiner toute velléité de critique politique d’Israël et de soutien des droits du peuple palestinien ».
La définition de l’IHRA est imprécise. Elle fait abstraction du lien entre l’antisémitisme et les autres formes de racisme. Elle semble viser davantage à faire taire les critiques à l’endroit d’Israël qu’à contrer les menaces antisémites des suprémacistes blancs de l’extrême droite.
Nous assistons maintenant à des attaques concertées par des organisations sionistes promouvant la définition de l’IHRA contre des universitaires qui ont écrit ou exprimé des critiques du régime d’apartheid d’Israël. Un exemple typique est le refus de l’Université de Toronto d’embaucher la professeure Valentina Azarova qui a été ciblée parce qu’elle a écrit des articles à la défense des droits des Palestiniens, lesquels critiquent sévèrement la politique israélienne.
Il convient de noter que l’auteur de la définition originale de l’IHRA, Kenneth Stern a lui-même critiqué l’utilisation abusive par ce qu’il appelle des « groupes juifs de droite ». Stern a écrit qu’à partir de 2010 « des groupes juifs de droite ont adopté la « définition de travail », qui contenait quelques exemples sur Israël . . . et ont décidé de la transformer en arme . . . ».
La politisation de la fausse définition de l’antisémitisme de l’IHRA n’est nulle part plus apparente qu’au Canada où le gouvernement Trudeau l’a institutionnalisée. Trudeau a adopté la définition de l’antisémitisme de l’IHRA malgré son attaque contre la nature même de la liberté d’expression. De plus, Justin Trudeau a nommé l’archi-sioniste Irwin Cotler à la tête d’une délégation canadienne pour participer aux forums de l’IHRA avec pour objectif d’« éradiquer » l’antisémitisme, où l’antisémitisme équivaut à la critique d’Israël.
Il existe même un groupe parlementaire ad hoc dont le mandat est de faire pression sur Twitter et Facebook pour qu’ils incluent et appliquent la définition de l’IHRA, ce qui signifie la censure de toute critique d’Israël sur Twitter et Facebook. Les trois membres de ce comité non officiel sont le député libéral Anthony Housefather, le député néo-démocrate Randall Garrison et le député conservateur Marty Morantz. Qu’il suffise de dire que les trois députés sont également membres du Groupe interparlementaire Canada-Israël. Ajoutez au mélange la présence d’un autre archi-sioniste Bob Rae en tant qu’ambassadeur de Trudeau auprès des Nations Unies, et le degré de pénétration du lobby pro-israélien au cœur même du gouvernement Trudeau devient limpide.
Il y a maintenant, cependant, une vigoureuse riposte contre cette manipulation honteuse de la définition de l’antisémitisme, en particulier dans le milieu universitaire où la tentative de faire taire les critiques légitimes d’Israël en intimidant les professeurs se heurte à une vive résistance. La censure actuelle de l’Université de Toronto face au refus d’embaucher la professeure Azarova est tout à fait significative. Il y a des changements sur le terrain. Que la classe politique en prenne note !
Bruce Katz
10 mai 2021
Bruce Katz est membre fondateur et actuel co-président de PAJU (Palestiniens et juifs unis). Il est enseignant à la retraite.
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