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Asie/Proche-Orient

La crise coréenne et le double jeu des puissances

mardi 7 mars 2017 | Europe solidaire sans frontières

Un rapport d’enquête de l’ONU, non encore publié, dénonce la duplicité chinoise. Il détaille comment, tout en prenant officiellement des sanctions contre le régime nord-coréen, Pékin favoriserait un vaste trafic international permettant à la Corée du Nord d’importer et d’exporter en contournant les embargos, que ce soit pour le charbon ou des composants nucléaires. [1].

A en croire l’article de Marie Bourreau du Monde (reflétant sans recul critique l’argumentaire du rapport interne à l’ONU), l’ampleur du commerce clandestin de charbon favorisé par des sociétés-écrans chinoises en 2016 prouverait que la Chine ne « cesse de jouer un jeu de dupes » – sans analyser plus avant les tensions en 2017 entre Pékin et Pyongyang.

Ces tensions sont pourtant évidentes, donnant lieu à une polémique ouverte entre les médias gouvernementaux des deux régimes, et sont traitées dans d’autres articles du Monde [2]. Marie Bourreau n’évoque pas le contexte géostratégique propre à l’Asie du Nord-Est, hors duquel la politique chinoise (de même que la politique US) ne peut se comprendre.

Le « double jeu » chinois n’a en effet rien de mystérieux. D’un côté, la direction chinoise n’a aucune affinité « naturelle » avec la dynastie des Kim qu’elle ne contrôle pas. De l’autre, elle est confrontée à l’alliance entre le Japon, les Etats-Unis et la Corée du Sud. Une alliance qui a pris un tour très agressif durant la présidence de Park Geun-hye : manœuvres militaires conjointes répétées et de grandes ampleurs, implantation du bouclier antimissile Thaad dont le champ d’activité couvre une bonne partie du territoire chinois [3].

Pas question dans ces conditions de risquer une crise de régime en Corée du Nord – d’autant plus que l’appui donné à Pyongyang sert aussi à faire pression sur Washington et Séoul pour favoriser un changement politique en Corée du Sud, avec l’élection d’une présidence moins belliqueuse.

Cependant, ce soutien de Pékin à Pyongyang reste mesuré à l’aune des intérêts stratégiques tels que perçus par la direction du PCC. Vu le caractère explosif du contexte régional, l’interventionnisme débridé du président nord-coréen Kim Jong-un introduit un facteur d’instabilité incontrôlable. La Chine ne veut pas que la Corée du Nord devienne une puissance nucléaire établie. Les sanctions et la crise ne sont pas que de « façade ».

Le « double jeu » des Etats-Unis est tout aussi évident. Washington prétend avoir pour seul objectif de protéger ses alliés de la menace nord-coréenne, alors qu’elle ambitionne de consolider ou de rétablir son hégémonie en Asie orientale – y compris son hégémonie militaire. Dans la longue durée, les Etats-Unis ont été le principal facteur de militarisation dans la région. La politique du « pivot » Asie-Pacifique de l’administration Obama avait un volet militaire et non seulement économique. Comme le dit Christine Ahn, à une zone de libre-échange correspond une zone de « tir libre » [4].

Au-delà de la posture [5], on ne sait trop ce que sera la politique de l’administration Trump – sinon qu’elle sera agressive, avec pour cible la Chine. Il n’y a pas d’un côté la « brute » (Pékin) et de l’autre le « bon » (Washington) – ou vice-versa. La « duplicité » est bien partagée, au service d’un conflit frontal pour l’hégémonie dans cette partie du monde.

Dans l’immédiat, Washington s’empresse de créer un véritable fait accompli en Corée du Sud. Une procédure de destitution est en cours contre la présidente Park Geun-hye, à la suite de scandales et d’un immense mouvement citoyen de protestation [6], il pourrait être validé le 10 mars par la Cour constitutionnelle. La pression de l’opinion publique et la prochaine majorité peuvent amener Séoul à remettre en cause les accords concernant l’implantation du système Thaad. Du coup, les Etats-Unis ont brusquement décidé d’accélérer l’envoi des batteries de missiles d’interception, qui ont commencé à être livrées le 6 mars sur la base militaire US d’Osan, en attendant d’être déployés sur le site de Seongju, au centre du pays.

L’objectif est de rendre le dispositif opérationnel dès avril – avant donc l’élection présidentielle qui pourrait se tenir début mai. Tant pis pour la démocratie sud-coréenne.

Pierre Rousset
P.-S.

* Mise à jour le 8 mars 2017.

Notes

[1] Marie Bourreau, Le Monde du 3 mars 2017. Disponible sur ESSF (article 40474), Tensions en Asie du Nord-Est : Nouveaux tirs de missiles balistiques nord-coréens, campagne en Chine contre Thaad, le bouclier antimissile américano-sud-coréen.

[2] Brice Pedroletti, Philippe Mesmer, Le Monde du 28 février 2017. Disponible sur ESSF (article 40481), Brouille entre Pékin et Pyongyang : la Chine durcit le ton face à la Corée du Nord.

[3] ESSF (article 40428), La Corée du Nord et l’escalade des tensions en Extrême-Orient.

[4] ESSF (article 40480), Obama administration’s Policy – Open Fire and Open Markets : The Asia-Pacific Pivot and Trans-Pacific Partnership.

[5] ESSF (article 40483), North-East Asia : Donald Trump says nuclear threat from North Korea has entered ’new phase’.

[6] ESSF (article 39808), Corée du Sud : le Mouvement des chandelles, la procédure de destitution de la présidente et les enjeux prochains.

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