Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

La crise agricole a rejoint le Québec… fin prêt à l’accueillir et l’envenimer

Comme en Inde et Europe, c’est le clash agro-industrie versus climat La crise agricole a rejoint le Québec — si le Premier ministre le dit ! — après avoir soulevé les agriculteurs de l’Inde et de l’Union européenne. Le vent européen a frappé l’Est du Québec avant de toucher la plaine montréalaise. C’est le signal qu’il faut des changements structuraux au-delà « des indemnisations historiques en assurance récolte » de cette année. Les fermes familiales québécoises, malgré le phénomène marginale des micro-fermes maraîchères vendant directement aux consommatrices, fusionnent historiquement comme ailleurs. Même devenant agroindustrielles, elles restent cependant plus modestes que celles canadiennes ou étatsuniennes. Avant même le dernier été catastrophique de pluies trop abondantes ou de sécheresse, de hausse du prix des engrais due à la guerre contre l’Ukraine et, last but not least, de la hausse des taux d’intérêt, elles étaient au bord du gouffre.

7 avril 2024

Au Québec la politique de soutien du lait pour le marché intérieur, principale production québécoise, est fort différente de celle du porc vendu mondialement. La volatilité des prix mondiaux favorise les « intégrateurs » porcins qui réduisent les fermiers à la sous-traitance par manque de capitaux sans toutefois leur enlever le risque de marché. Quant aux quotas, « l’une des plus lourdes hypothèques qui pèsent sur l’agriculture québécoise » (Rapport Pronovost, 2008), ils lestent de 60% la valeur marchande de la ferme laitière moyenne, ce qui handicape tant les investissements productifs que la relève. En résulte un « endettement sans précédent des agriculteurs », relativement plus important de 50% qu’en Ontario et plus du triple qu’aux ÉU et qui « a doublé au cours des dix dernières années » d’ajouter le rapport Pronovost, ce qui provoque « la baisse des revenus agricoles ». Cette baisse a obligé les ménages agricoles, particulièrement la conjointe, à travailler à l’extérieur de la ferme pour les deux tiers de leurs revenus afin de se maintenir à flot.

Le rapport Pronovost n’ayant pas été appliqué sauf à la marge, l’agriculture québécoise est devenue fragile aux bouleversements mondiaux, dussent-ils être climatiques, géopolitiques et économiques, qui ont convergé sur le monde postpandémie. Éclatait le printemps passé sur la scène publique la crise du porc qui n’a pu être colmatée que sur le dos du prolétariat sous-payé et en partie racisé du monopsone Olymel, des petits éleveurs porcins et du contribuable… mais pas suffisamment selon le président de l’UPA. Pour la production maraîchère mal assurée, grande ou petite, c’est la crise totale à faire pleurer. Si on en juge par leur participation aux actuelles mobilisations, les producteurs de lait, du moins la relève, bénéficiant de la protection des quotas acquis à prix d’or, tirent aussi le diable par la queue.

Plus ça change… plus est sacrifiée l’agriculture à la filière batterie

De constater le président de l’UPA au congrès de décembre dernier : « Nos coûts sont plus élevés, on s’endette plus, pour moins de profit. C’est ça la réalité ». Plus ça change….

Depuis 2015, la dette des agriculteurs québécois a plus que doublé, connaissant une hausse de 115 %, pour atteindre 29,4 milliards de dollars. Sur la même période, leurs revenus ont baissé de 38 %, d’après des données de la Financière agricole citées par Martin Caron [président de l’UPA]. […] Près d’une famille agricole sur deux dépendrait aussi d’un revenu extérieur, une proportion en hausse depuis quelques années. […] À ces pressions économiques se sont ajoutés les événements environnementaux extrêmes de l’été. Gel tardif au printemps, feux de forêt, sécheresse ou pluies abondantes ont affecté les récoltes, selon les régions.

Des mesures d’urgence sont en cours nous dit-on soit « le travail de réforme du programme d’assurance récolte […], la demande au gouvernement fédéral que soit déclenché le programme Agri-relance [qui vise spécifiquement à aider les producteurs agricoles touchés par une catastrophe naturelle, NDLR] et le grand chantier que Québec a entrepris pour alléger le fardeau administratif des agriculteurs et qui devrait apporter des résultats d’ici l’automne. » C’est indispensable mais l’agriculture a surtout besoin d’être sortie du « business as usual » de l’agro-industrie carnée vers l’agroécologie végétarienne en commençant par la préservation des terres agricoles de la menace tant du capital financier, que réclame Québec solidaire, que de l’industrie éolienne :

Au Québec, la superficie des terres en culture est de 0,24 hectare par habitant. C’est le taux le plus bas au sein de l’OCDE [l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui regroupe 38 pays développés]. Aux États-Unis, ce taux est de 1,52 hectare par habitant. La zone agricole est constamment grugée et grignotée par des développements de toutes sortes. En plus des superficies exclues de la zone agricole, des milliers d’hectares ont été sacrifiés pour des « utilisations non agricoles » (UNA) en zone verte. Depuis 25 ans, la perte réelle représente 57 000 hectares [570 km2 , soit plus que l’île de Montréal]. Les UNA sont une approche sournoise. Les terres visées par leur implantation demeurent comptabilisées en zone verte. Or, elles perdent leur vocation agricole et, plus souvent qu’autrement, de manière irrémédiable.

L’implantation de parcs éoliens en zone agricole est un exemple type d’UNA. Imaginez 3000 à 5000 éoliennes sur le territoire agricole du Québec, soit le nombre nécessaire pour répondre à la demande d’Hydro-Québec. […] Avec près de 3000 éoliennes de cinq mégawatts installées pour atteindre les objectifs de demande […], c’est près de 100 milliards $ qui seront versés aux promoteurs éoliens au cours de cette période [30 ans]. Tout dépendamment de leurs marges bénéficiaires, ce sont des centaines de millions de dollars de profits que nous nous apprêtons à leur accorder chaque année.

Soulignons qu’il s’agit ici d’assurer en toute sécurité, donc dans une perspective de souveraineté alimentaire, au peuple québécois la nourriture quotidienne soit la base de son existence. À cet égard, le président de l’UPA « estime que les gouvernements fédéraux et provinciaux doivent accroître la part de leur budget consacré à l’agriculture. D’après des données de l’UPA, cette proportion était de 1,47 % au fédéral en 2013, elle est passée à 0,42 %. Au provincial, la proportion du budget réservée à l’agriculture et à l’agroalimentaire est passée de 1,47 % il y a 10 ans à 0,98 % aujourd’hui. » De répondre Québec solidaire aux maniaques de la lutte contre la dette publique pourtant nettement sous contrôle malgré les apparences et sachant que billionnaires, multimillionnaires et grandes entreprises sont loin de payer leur juste part :

Quand c’est le temps de donner des milliards pour des multinationales étrangères pour faire des batteries, il ne manque jamais d’argent. Mais quand vient le temps de soutenir les hommes et les femmes qui nourrissent le Québec, le gouvernement de François Legault leur réserve moins de 1% du budget. (Discours de Gabriel NadeauDubois lors de la manifestation de St-Jean-sur-Richelieu)

La révolution agrobiologique passe par le rejet du joug financier du libre-échange

Il faudrait cependant pousser plus loin la coche de la critique comme le fait l’organisme de gauche paysanne mondiale Via Campesina en réaction aux manifestations agricoles européennes :

À cette situation s’ajoutent de nouvelles ambitions en matière de transition écologique et de lutte contre le dérèglement climatique. L’Union européenne a souhaité mettre en place le Green deal, un pacte vert en vue de réduire l’utilisation des émissions de carbone, de pesticides, promouvoir des systèmes alimentaires durables, augmenter les surfaces en bio, etc. Le Copa-Cogeca [fédération européenne des grandes entreprises agro-industrielles] s’y est tout de suite opposé alors que ECVC [Coordination européenne de Via Campesina] de son côté a salué les objectifs en déplorant le manque d’outils de mise en œuvre. La montée en gamme engendre forcément une augmentation des couts de production, et elle ne peut pas se faire dans le cadre du libre-échange. On a ainsi un pôle qui défend le business contre la transition, et un autre qui défend la sortie du libéralisme pour pouvoir mettre en place des politiques écologiques. À l’heure actuelle on a clairement perdu une bataille, même si un débat intéressant a émergé au niveau européen.

Face au discours anti-paperasse des protestataires, on a parfois l’impression d’un mot-code anti-écologie bien qu’iels ont cent fois raison de réclamer un soutien majoré pour s’y conformer. Et il va falloir soulever la pression du libre-échange qui y est pour beaucoup dans la crise du porc et l’est en sous-main pour ce qui est de la production maraîchère et même céréalière. L’épuisement des sols, la pollution aquatique et les émanations de GES de l’agro-industrie s’acheminent à la vitesse grand V vers un clash, tout en y contribuant, eu égard aux crises du climat et de la biodiversité. On est encore loin du compte d’une solution structurelle de la crise.

Sans une remise en cause de l’endettement des fermes familiales et de leur concentration/transformation en fermes capitalistes, de la monopolisation des industries en amont et en aval de la production agricole, en particulier de l’hyperconcentration de la distribution soit trois distributeurs dont deux hors Québec contrôlant de 90 à 95% du marché, on sera coincé entre le Charybde du libreéchange et le Sylla du protectionnisme. Historiquement, le recours au coopératives dans un environnement capitaliste a été un échec. Desjardins, Coop fédérée/Olymel et Agropur participent comme les autres banques et autres fournisseurs à l’étouffement de la ferme familiale, sans compter leur antisyndicalisme notoire. On a du pain sur la planche.

Marc Bonhomme, 7 avril 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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