Selon une nouvelle étude publiée aujourd’hui dans la revue scientifique « The Lancet Planetary Health », les habitants de la communauté autochtone de Grassy Narrows dans le nord d’Ontario sont à risque d’une mort précoce avant l’âge de 60 ans pour avoir été exposés au mercure pendant des années. La présente étude est la première en soi qui supporte ce que nous répète la communauté depuis bien longtemps, « nos gens meurent jeunes en raison de l’empoisonnement au mercure ». Un empoisonnement qui aurait commencé en 1962, quand l’ancienne papetière Dryden Chemical a commencé à déverser 10 tonnes de mercure en aval du réseau hydrographique English-Wabigoon, dans lequel se trouve la communauté. A ce jour, seulement 14% de la population de Grassy Narrows ont reçu une compensation de la part du conseil d’aide aux personnes souffrant d’incapacité due à la contamination au mercure « Mercury Disability Board ».
« Toute personne sans exception à Grassy Narrows a été affectée de près ou de loin par le mercure, que ce soit par la perte d’êtres chers, la maladie, la pauvreté, ou encore par la perte de de la culture » exprime le Chef Rudy Turtle. « Le gouvernement doit faire ce qui est juste et indemniser pleinement tous les habitants de Grassy Narrows pour tout ce que nous avons perdu, et que nous puissions ainsi rétablir l’équilibre dans notre communauté qui était prospère avant que nous ayons le mercure. »
Alors qu’actuellement au Canada, les personnes âgées de plus de 70 ans sont les plus à risque de décéder des complications de la COVID-19, les habitants de Grassy Narrows sont confrontés à une crise, qui perdure depuis des décennies, avec un risque de décéder avant même l’âge de 60 ans.
L’étude scientifique a analysé plusieurs milliers de mesures de mercure dans le sang ou dans les cheveux, qui avaient été recueillies chez 657 membres de la communauté par les gouvernements de l’Ontario et du Canada entre 1970 et 1997. Certains de ces membres sont décédés aujourd’hui. Pour étudier l’hypothèse d’une mort précoce avant 60 ans, la présente étude s’est concentrée sur l’exposition au mercure chez les personnes nées avant 1959 et qui auraient donc pu avoir atteint 60 ans ou plus en 2019.
Les données de cette étude, qui sont depuis longtemps à la disposition du gouvernement, n’ont jamais été analysées pour vérifier l’hypothèse d’une mort précoce. Au contraire, le gouvernement n’a cessé de répéter pendant des décennies qu’il n’y existait aucune preuve que le mercure ait nui à la santé des habitants de Grassy Narrows, alors même qu’ils avaient été exposés au mercure et que la communauté entière avait souffert de perturbations sociales.
Une note d’information du gouvernement du Canada datant de 2017, et obtenue par le biais d’une demande d’accès à l’information, indique que "Selon Santé Canada et son examen des données sur la santé et le mercure accumulées au cours des 45 dernières années, il n’existe aucune donnée à l’heure actuelle permettant de confirmer si le taux d’invalidité ou de problèmes de santé importants est plus élevé que dans les autres Premières nations".
Entre 1970 et 1992, pas moins de 71,842 échantillons recueillis sur 38,571 personnes qui provenaient de 514 Premières nations ont été analysés par Santé Canada. La concentration de mercure la plus élevée avait été mesurée chez une personne de Grassy Narrows, avec un niveau de 660 µg/L dans le sang (Wheatley and Paradis, 1995).
Grassy Narrows était une communauté prospère et autosuffisante, culturellement riche, avec 95% d’emplois principalement dans la pêche commerciale et sportive. Après plus de cinquante ans, maintenant que la pollution au mercure ait plongé la communauté dans une crise qui perdure, cette population résiliente continue à se battre pour la justice et pour restaurer son autodétermination, sa culture et son environnement.
Principales conclusions de cette étude :
– Les différentes approches méthodologiques convergent vers la même conclusion, les décès prématurés à Grassy Narrows, sont liés à une contamination au mercure de longue durée.
– Les personnes décédées avant 60 ans à Grassy Narrows avaient été exposées au mercure presque 5 fois plus sur une même période de temps que ceux qui avaient pu passer 60 ans.
– Les personnes avec au moins un niveau de mercure dans les cheveux de 15 µg/g ou plus présentaient un risque de 155% plus élevé de décéder à un jeune âge que ceux avec des niveaux plus faibles,
– 42% des personnes nées avant 1959 présentaient au moins un niveau de mercure de 15 µg/g ou plus,
– Sur une exposition de mercure de longue durée, la longévité a diminué d’un an pour chaque augmentation de 6,25 µg/g de concentration de mercure dans les cheveux.
L’étude a été rédigée par A. Philibert, M. Fillion et D. Mergler du Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnement (CINBIOSE) de l’Université du Québec à Montréal et de l’Université TELUQ. L’équipe de recherche a été dirigée par Donna Mergler, experte de renommée internationale sur les effets du mercure sur la santé depuis plus de 25 ans.
Le texte complet de l’étude publiée peut être consulté à l’adresse suivante : https://www.thelancet.com/pdfs/journals/lanplh/PIIS2542-5196(20)30057-7.pdf
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PRINCIPAUX RÉSULTATS DE L’ÉTUDE
"La Première nation de Grassy Narrows vit toujours avec les conséquences de l’une des pires catastrophes environnementales de l’histoire du Canada."
"Bien que les enquêtes populationnelles au Canada classent la mortalité précoce avant 75 ans, dans la présente étude, nous avons utilisé 60 ans comme seuil en raison du faible nombre d’individus de plus de 60 ans".
"Nos résultats convergent tous vers une association entre l’exposition à long terme au Hg provenant de la consommation de poissons d’eau douce et la mortalité précoce dans cette communauté autochtone".
"Une approche cas-témoins a démontré que les individus qui étaient décédés prématurément avant l’âge de 60 ans (cas) présentaient une exposition à long-terme au Hg 5 fois plus élevée que les témoins de même sexe et d’âge similaire".
"Le risque de décéder à un plus jeune âge est plus élevé chez les personnes ayant été exposées au moins une fois à 15 μg/g ou plus de Hg (Le risque relatif ajusté de 1.55 [Intervalle de confiance à 95% : 1.11-2.16 ; p=0-0088]) ".
"Parmi les personnes décédées (n = 154), nous avons observé que la longévité diminue d’un an pour chaque augmentation de 6.25 μg/g de mercure à long terme (de la concentration de Hg dans les cheveux (Intervalle de confiance de 95% : 4-35-14-29)".
Cette étude a porté uniquement sur les personnes qui avaient atteint ou auraient pu atteindre l’âge de 60 ans en 2019, mais elle n’a pas considéré les personnes nées depuis [1962] et qui ont été exposées au Hg in utero et pendant la petite enfance ; une période essentielle pour la programmation des fonctions organiques, en particulier pour le système nerveux. "Des études supplémentaires sont donc nécessaires pour étudier les conséquences sanitaires et sociales de ces expositions précoces au cours de la vie".
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