L’appel est tombé dans le vide. Il y eut aussi au début de la campagne l’expulsion comme candidat du Parti libéral dans Saint-Léonard/Saint-Michel de l’imam d’origine libanaise Hassan Guillet en raison de propos jugés antisémites. En fait, il semble qu’on ait assisté à une lutte de clans au sein des milieux libéraux locaux, le comté étant vu comme un fief libéral où des groupes d’ascendance italienne exercent une influence dominante. Certains d’entre eux n’auraient pas digéré qu’un imam libanais soit désigné comme candidat à la place d’un Italien. Les libéraux se sont empressés d’étouffer l’affaire.
Le silence des principaux partis sur le sujet brûlant du conflit israélo-palestinien, en particulier ceux à vocation de pouvoir : les libéraux et les conservateurs est confondant mais si révélateur des contradictions de notre époque sur la scène internationale. Il peut être instructif de jeter aussi un coup d’oeil sur les propositions du Nouveau parti démocratique (le NPD), du Bloc québécois et du Parti vert en la matière.
Il faut dans tout ce dossier distinguer très nettement les principes et la politique concrète. Libéraux et conservateurs ont ceci en commun qu’ils appuient en paroles la création d’un État palestinien indépendant, coexistant en paix avec son voisin israélien. Ils condamnent la colonisation israélienne en Cisjordanie et dans le cas des libéraux, à Jérusalem-Est. Ceux-ci reconnaissent le droit aux Palestiniens et Palestiniennes d’avoir Jérusalem-Est comme capitale, tout dépendant du résultat des négociations avec Israël. Par conséquent, ils ont refusé de transférer l’ambassade canadienne de Tel-Aviv à Jérusalem, alors que les conservateurs d’Andrew Scheer, eux, se déclarent prêts à accepter Jérusalem tout entière comme capitale « unie et indivisible » de l’État hébreu.
Cependant, les les deux formations politiques majeures, suivant en cela la tendance dominante parmi les classes politiques occidentales, soumettent le droit à l’autodétermination des Palestiniens et Palestiniennes à des négociations hasardeuses avec l’ennemi israélien. Elles font mine d’oublier que la liberté ne se demande pas, mais se conquiert.
Les actes ne suivent pas les principes. En effet, les gouvernements qui se sont succédé à Ottawa, peu importe leur couleur partisane, n’ont pas fait la moindre pression sur Tel-Aviv pour qu’Israël relâche sa pression sur la Cisjordanie et Jérusalem-Est et qu’il entame de véritables négociations avec la Palestine. Les conservateurs paraissent plus pro-israéliens que leurs vis-à-vis libéraux, comme le démontre la déclaration d’Andrew Scheer favorable au déménagement de l’ambassade canadienne de Tel-Aviv à Jérusalem, mais peut-être sont-ils simplement plus francs et moins sophistiqués que le Parti libéral.
Qu’en est-il maintenant des partis qui ne peuvent espérer accéder au pouvoir, c’est-à-dire le NPD, le Bloc québécois et le Parti vert ? Commençons notre petit tour d’horizon par le Nouveau parti démocratique. On pourrait penser que ce dernier, en tant que parti de centre-gauche bien affirmé défend sans ambiguïté la cause palestinienne. Mais l’examen de son évolution à ce propos se révèle aussi surprenant que décevant en raison de son caractère fuyant.
Évidemment, tout comme les libéraux et les conservateurs, le NPD se prononce en faveur du droit des Palestiniens et des Palestiniennes à l’autodétermination, cela va de soi. Mais plusieurs ont cru constater un certain « recentrage » du parti en direction d’Israël lors de l’arrivée à sa tête de Thomas Mulcair ; du moins ce fut la cause de la démission de la députée québécoise Sana Hassaina en 2014. Au congrès d’orientation de 2018, le Bureau du parti a manoeuvré pour éviter tout débat sur treize résolutions abordant le conflit israélo-palestinien. Le nouveau chef, Jagmeet Singh a aussi refusé de les commenter, pas plus qu’il n’a voulu se prononcer sur un éventuel boycott des produits fabriqués par Israël dans les territoires palestiniens occupés. Pourrions-nous parler de lâcheté à son propos sur ce thème hypersensible ?
Même l’aile gauche du parti, surtout incarnée par Svend Robinson affiche une certaine ambiguïté là-dessus. Par exemple, s’il appuie l’idée de mesures économiques contre Israël, Robinson ne soutient pas le mouvement BDS parce que ce mouvement milite entre autres objectifs pour le droit au retour dans ce qui est aujourd’hui Israël de tous les réfugiés palestiniens, ce qui pourrait y placer les Juifs en minorité. Cette position revient à donner priorité au nationalisme israélien au détriment du droit plein et entier à une patrie pour la multitude de réfugiés palestiniens qui croupissent dans des camps depuis 1948. De plus, Robinson refuse de qualifier (comme il le fait pour le régime qu’endurent les habitants et habitantes de Cisjordanie) d’apartheid au sujet des Arabes israéliens. L’aveuglement volontaire...
Pour résumer, la position néo-démocrate sur les droits des Palestiniens et Palestiniennes se révèle plus tiède qu’on aurait pu s’y attendre.
Et le Bloc alors ?
Là aussi règne un certain flou. Bien entendu, le parti soutient la fondation d’un État palestinien et l’ancien député Mario Beaulieu a déjà exprimé l’opinion que la politique colonisatrice d’Israël en Cisjordanie constituait un obstacle au processus de paix, en plus de former un terreau favorable au « terrorisme ». Pour un parti qui défend l’indépendance du Québec, appuyer celle de la Palestine est la moindre des choses. Mais pas plus que ses adversaires libéraux, conservateurs, néo-démocrates et verts, l’actuel chef du Bloc, Yves-François Blanchet n’a fait de ce problème un thème électoral.
Et les Verts dans tout ça ? Ils ont longtemps maintenu une position de neutralité à l’égard de ce confit. Mais leur orientation sur cette question a évolué et elle ressemble beaucoup à celle des autres partis (il est impossible de contredire de front le droit d’un peuple à l’autodétermination) : la chef Elizabeth May appuie le droit des Palestiniens à l’autodétermination tout en affirmant le droit à l’existence et à l’autodéfense d’Israël. Mais elle condamne en bloc ce qu’elle qualifie elle aussi de « terrorisme » (palestinien, bien sûr). En 2016, elle a menacé de démissionner si sa formation ne révoquait pas son soutien à BDS. Elle et le parti en sont arrivés à un compromis boiteux et illogique : oui au soutien aux objectifs de BDS, mais non à BDS lui-même. May a ainsi pu conserver son poste.
Quant au Parti populaire de Maxime Bernier... un ersatz d’extrême-droite du Parti conservateur, j’ignore sa position sur ce dossier mais elle doit être très proche de celle des conservateurs, si tant est que Bernier ait jamais réfléchi à la question (ou même qu’il réfléchisse tout court). De toute manière, ce parti n’a pas accouché d’un véritable programme en général à ce que je sache.
Que conclure de ce survol des positions partisanes fédérales en ce qui regarde les Palestiniens et Palestiniennes ?
À l’encontre de ce qu’on pourrait penser, la politique canadienne à leur endroit est assez tiède et ce, tous partis confondus. Ils reconnaissent en principe le droit de la nation palestinienne à un État, mais ils le soumettent à des négociations par définition inégales avec leur ennemi israélien et ne proposent aucune mesure concrète pour forcer Tel-Aviv à négocier d’égal à égal avec eux. Cela se vérifie en particulier du côté des formations à vocation de pouvoir, les libéraux et les conservateurs, mais aussi de celui des autres partis d’opposition. Cette constatation confirme bien de l’incroyable solidité de l’allégeance de la classe politique canadienne dans son ensemble à la cause israélienne. Aucun parti ne s’aventure à reconnaître le droit des Palestiniens et Palestiniennes à la résistance et surtout pas à la résistance armée. Les organisations palestiniennes qui la pratiquent sont d’emblée qualifiées de « terroristes » par tous les partis. Les gouvernements canadiens ont toujours refusé tout contact avec elles. Dans cette veine, ils ont soigneusement évité de traiter de cet épineux dossier tout au long de la campagne électorale qui vient de finir.
Ils font semblant de ne pas comprendre une chose : on fait la paix avec des ennemis, pas avec des alliés. Pour y parvenir, il faut construire des ponts, pas en interdire la construction.
Jean-François Delisle
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