Édition du 12 novembre 2024

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Élections municipales

La bataille de Montréal

Au moment où la campagne électorale municipale entre dans sa phase cruciale, les alignements se précisent. Deux grosses « pointures » sont en lice : Valérie Plante, mairesse en poste et cheffe de Projet Montréal, et Denis Coderre, ancien maire de Montréal de 2013 à 2017 et chef du parti Ensemble Montréal. Parallèlement, un certain nombre de personnes annoncent leur candidature aux postes de conseillers et conseillères de ville ou d’arrondissement, de même qu’à la mairie de chacun des 19 arrondissements. Actuellement, les deux principaux partis semblent opter pour une stratégie d’arrondissement et présentent des équipes à la mairie d’arrondissement et aux autres postes de conseillers.

Professeure au département de géographie à l’Université du Québec à Montréal.

13 septembre 2021 | Extraits d’un texte paru dans les Nouveaux Cahiers du socialisme no. 26, automne 2021.

Une concentration de pouvoirs

L’automne sera chaud à l’échelle municipale montréalaise ! Il y a fort à parier que l’attention des médias se concentrera surtout sur la campagne à la mairie de la ville. Au-delà de la popularité médiatique de Valérie Plante et de Denis Coderre, rappelons que la personne élue à la tête de la métropole occupe également la présidence de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), celle du Conseil d’agglomération de Montréal, ainsi que la mairie de l’arrondissement de Ville-Marie, le secteur politico-administratif du centre-ville. En d’autres mots, la mairesse ou le maire de la Ville de Montréal cumule la présidence des trois principaux lieux de gouvernance municipale. De facto, cette personne détient donc un poids politique très important aux divers paliers de l’institution municipale, d’autant plus qu’elle désigne les conseillers et conseillères qui siègent avec elle à ces instances. Porter ces quatre chapeaux offre certainement l’occasion de rendre plus cohérents la planification et l’aménagement à l’échelle de la région métropolitaine, de l’île, de la ville et de certains arrondissements. En revanche, on peut y voir une concentration de pouvoir plutôt importante.

Par ailleurs, le ou la mairesse de Montréal est le vis-à-vis des gouvernements provincial et fédéral lorsque les dossiers concernent la métropole, et il ou elle représente la métropole au sein de différents regroupements de grandes villes qui partagent les mêmes préoccupations.

La métropolisation de Montréal

Depuis que Montréal s’est vu accorder en 2017 le statut de métropole par le gouvernement du Québec, elle a obtenu une plus grande autonomie dans certaines sphères d’activités, notamment en matière d’aide aux entreprises et de développement commercial, de services d’accompagnement et d’intégration des immigrants et immigrantes, de construction de logements sociaux et abordables, d’entretien d’immeubles détériorés, de patrimoine et de culture. De plus, elle a acquis le droit de préemption sur les immeubles en vente sur son territoire[1]. Ce droit constitue un outil politico-juridique important qui permet à la Ville d’acheter des immeubles ou des terrains au prix offert par un acheteur. La Ville a commencé à avoir recours à cet outil, dans le but de contenir le coût des loyers. Bref, le statut de métropole confère à la ville une plus grande reconnaissance politique du gouvernement du Québec et un peu plus de pouvoir, bien que Montréal demeure assujettie au gouvernement provincial, notamment en ce qui concerne ses revenus.

Au-delà des convergences, deux visions de l’espace urbain montréalais
Si on parcourt Retrouver Montréal, le livre de Denis Coderre[2] paru au printemps 2021, on y retrouve sensiblement les grands thèmes auxquels toute métropole du XXIe siècle doit faire face : le vivre ensemble, le développement économique urbain, la mobilité durable, l’environnement, le transport collectif, de même que l’aménagement et la « diplomatie urbaine ». Ces grands enjeux sont également pris en compte par Valérie Plante et Projet Montréal. En fait, il est difficile pour ne pas dire impossible de conquérir la mairie d’une métropole comme Montréal sans se prononcer sur des questions liées à des transformations sociétales dans un contexte mondial marqué par une crise globale où la pandémie exacerbe les inégalités déjà présentes.

S’il existe une certaine convergence de préoccupations entre Valérie Plante et Denis Coderre, leurs différences ne sont toutefois pas qu’une affaire de style qui distinguerait une femme blanche relativement jeune, branchée, qui s’assume comme féministe, écologiste et antiraciste, et un homme blanc un peu plus âgé, qui joue la carte populiste, pratique la boxe, échange avec les sans-abris ou s’affiche avec des personnes racisées. Coderre est un « vieux routier » de la politique ; ancien député fédéral, il connaît bien les rouages du jeu politique et les dédales gouvernementaux. Il entretient de nombreux contacts avec des personnalités et des réseaux influents. Il profitera sans doute durant la campagne électorale de l’appui de la « machine libérale » sur les plans logistique et organisationnel. Quant à sa relation au parti Ensemble Montréal, outre la dette qu’il y a laissée lors de sa défaite en 2017, soulignons qu’il est revenu à la tête de ce parti un peu comme il l’a quitté, c’est-à-dire sans même que l’ensemble des membres n’en soient informés de façon officielle. Bref, Ensemble Montréal semble le « véhicule » politique de quelques personnalités comme Denis Coderre, Lionel Perez et Allan DeSouza plutôt qu’un parti constitué d’associations locales qui participent aux orientations du parti.

Projet Montréal, le parti de Valérie Plante, se distingue par sa vie associative dynamique. Des associations locales et des comités de travail se penchent sur des thèmes précis qui reflètent les préoccupations des membres ; les questions de diversité, d’inclusion, d’antiracisme et d’équité ont leur place aux côtés des questions écologiques, de mobilité et d’aménagement. Cela dit, des élues ont quitté Projet Montréal en cours de route ou se sont fait montrer la porte du fait de certaines pratiques qui relèvent de l’éthique et de politique, notamment Sue Montgomery et Christine Gosselin. Les voix dissidentes semblent être étouffées rapidement !

Denis Coderre, ancien député du Parti libéral du Canada, tire avantage de l’appui d’une grande partie des élites économiques québécoise et canadienne friandes de grands projets urbanistiques, de mégaéquipements et d’infrastructures. Il adhère à une vision du développement économique urbain qui mise sur les grands projets destinés à attirer des promoteurs et des investisseurs internationaux ainsi que le tourisme international, même si son appui à la formule E lui a coûté cher[3]. Malgré les désaccords et les critiques soulevés par ce projet, l’ancien maire a persisté et fait preuve d’un manque d’écoute de la population et d’un manque de transparence quant aux coûts et aux revenus. L’ancien maire sait combiner paternalisme et autoritarisme comme un « bon père de famille ». Au début de l’été 2021, on l’a vu aisément transformer (ou cacher ?) la réalité, alors qu’il était pris en photo au volant de sa voiture, cellulaire à la main.

Métropole et ville…

Montréal, pour Denis Coderre, c’est la métropole, alors que pour Valérie Plante, c’est la ville centre et ses quartiers. Il ne s’agit pas ici d’une différence terminologique, mais plutôt d’une divergence concernant la conception de l’espace urbain. Pour le premier, l’enjeu essentiel des grandes villes dans un monde globalisé consiste à se positionner à l’échelle internationale afin d’attirer les grands promoteurs et investisseurs. Cette lecture implique une articulation cohérente entre la ville centre et des banlieues où les noyaux d’activité économique et la concentration des travailleurs et travailleuses sont complémentaires plutôt que concurrentiels. En d’autres termes, les grappes industrielles (notion mise de l’avant dans les années 1990 par Gérald Tremblay alors qu’il était ministre de l’Industrie, du Commerce et de la Technologie) spécialisées en biotechnologies et sciences de la vie à Laval, en aérospatiale ou en pharmaceutique à Longueuil, font partie d’une même grande région et contribuent à renforcer la capacité d’attraction de la métropole et son degré de compétitivité vis-à-vis des autres métropoles. Voilà ce que nous dit Denis Coderre lorsqu’il parle de la métropole. Il reproche d’ailleurs à sa principale rivale son manque de leadership à ce sujet.

Pour sa part, Valérie Plante priorise la transformation de la ville et de ses quartiers de façon à améliorer la vie des Montréalaises et des Montréalais. Pour elle, cette amélioration passe par une offre de transport collectif diversifiée, dont la fameuse ligne rose de métro pour connecter des secteurs géographiques orphelins, et un accent sur la mobilité active comme la marche et le vélo. Son administration a pris le taureau par les cornes et investi de façon substantielle dans des travaux d’infrastructures en matière de voirie et d’aqueduc – d’où les innombrables cônes orange –, ce qui n’avait pas été fait depuis de trop nombreuses années. En fait, depuis son arrivée au pouvoir, la plus grande partie des investissements de son administration est consacrée à ce secteur, ce qui lui permet à la fois de revoir le réseau routier et la trame urbaine, et de transformer les quartiers centraux de la métropole. On prend ici toute la mesure d’une planification urbaine « renouvelée », loin de l’improvisation, mise de l’avant par les jeunes élu·e·s de Projet Montréal, entourés de professionnel·le·s bardé.e.s de diplômes en urbanisme et en environnement qui partagent cette vision de la ville. On observe cependant une tension entre ce que certains voient comme une forme d’autoritarisme en matière de planification et la nécessaire participation des citoyens et citoyennes au moyen de dispositifs de consultation et de participation publiques.

Désormais, la Ville et un certain nombre d’arrondissements tiennent des exercices de budget participatif ; la Ville a créé la plate-forme Réaliser Montréal pour donner une plus grande visibilité à ces exercices. Il ne faut pas être naïfs cependant, nous sommes loin des expériences de démocratie participative expérimentées à Porto Alegre au Brésil à partir des années 1990. Les espaces consacrés à la participation citoyenne active sont ici bien encadrés et se résument à des projets sympathiques dont l’importance n’est pas réellement déterminante pour la gestion de la ville.

Sur le plan urbanistique, les élu·e·s et les professionnel·le·s de Projet Montréal s’inspirent d’expériences menées ailleurs, à Barcelone notamment, où la ville est vue comme une mosaïque constituée de quartiers centraux et péricentraux considérés d’abord et avant tout comme des milieux de vie. La trame urbaine est organisée de façon à ce que les automobilistes contournent les quartiers où vivent les ménages et où se trouvent les commerces et services de proximité, de même que les équipements et infrastructures publics, d’où le recours aux rétrécissements des rues par des saillies, l’élargissement des trottoirs, l’imposition de sens uniques, bref des mesures visant à dissuader les automobilistes d’entrer à l’intérieur des quartiers. Ce réaménagement est aussi l’occasion de créer des places publiques et de penser à de nouveaux aménagements de façon à encourager le lien social et la vie culturelle.

Cette vision urbanistique, qui peut être associée, dans une certaine mesure, à la nécessaire transition écologique, laissera la marque de Projet Montréal sur la ville. Par ailleurs, en matière de développement économique, Valérie Plante voit une autre raison d’investir dans le transport en commun et privilégie l’expansion du métro vers l’est notamment. Elle privilégie aussi l’approche du développement économique local et communautaire, en offrant, par exemple, aux commerçants une réduction de taxes afin de compenser les pertes de revenu dues aux travaux de réfection des artères commerciales. Elle apparaît sans grand enthousiasme lors des conférences de presse des promoteurs qui annoncent leur intention d’investir dans de grands projets, comme celui de stade de baseball de Stephen Bronfman. Elle se tient à distance du fameux projet Royalmount, sur lequel elle a peu de pouvoir dans la mesure où ce projet s’érige sur le territoire d’une municipalité indépendante.

Lors de la campagne électorale de 2017, Valérie Plante a promis un programme d’accès à la propriété afin d’attirer à Montréal de jeunes familles de la classe moyenne. De plus, elle a annoncé la construction de 12 000 logements sociaux et abordables. Mais il faudra investir davantage dans ce domaine, car la pandémie a mis en lumière l’ampleur de la crise du logement à Montréal. Cette fois, Montréal, du fait de son statut de métropole et de ses pouvoirs, a davantage de moyens pour intervenir. De plus, sa fameuse politique du « 20-20-20 [4] », qui repose sur un principe de mixité sociale, invite les promoteurs immobiliers à faire leur part dans le financement du logement social. À première vue, cette formule semble intéressante, mais on comprend rapidement que les promoteurs font tout pour la contourner, et ne veulent surtout pas de logement social sur le même site que les condos ! De plus, la formule ne semble pas suffisamment mordante pour freiner la construction de tours à condos alors que la construction de logements sociaux est toujours aussi lente. Bref, même si l’on doit reconnaître certains efforts en matière de logement sous l’administration de Valérie Plante, il reste beaucoup à faire.

Il est difficile de tracer un bilan juste des réalisations et accomplissements de la présence de Valérie Plante à la mairie de Montréal. Convenons qu’une mairesse nouvellement élue a beaucoup à apprendre et à absorber les premiers mois de son mandat. Alors qu’elle prenait son envol, la pandémie a frappé, ce qui a retardé ou interrompu de nombreux projets. Une question demeure donc : Valérie Plante a-t-elle été « l’homme de la situation » comme le voulait son fameux slogan lors de sa campagne électorale[5] ? Et comment fera-t-elle face à la pugnacité de Denis Coderre qui semble prêt à tout pour « retrouver sa ville » ?

Notes

[1] Selon le dictionnaire juridique, « Le “droit de préemption” est l’avantage qui est donné à quelqu’un, soit par la loi soit par une disposition contractuelle, de pouvoir se substituer à l’acquéreur d’un droit ou d’un bien pour en faire l’acquisition à sa place et dans les mêmes conditions que ce dernier », <www.dictionnaire-juridique.com/defi...> .
[2] Denis Coderre, Retrouver Montréal. Qualité de vie. Qualité de ville, Montréal, Éd. La Presse, 2021.
[3] Il s’agit d’une course de voitures électriques dans les rues de Montréal à l’été 2017. Critiqué, ce projet a sans doute constitué un facteur de sa défaite.
[4] Si un promoteur veut construire un projet de plus de X appartements, il doit s’engager à construire 20 % de logements sociaux, 20 % de logements abordables et 20 % de logements familiaux, ou placer une somme d’argent équivalente dans un fonds qui permettra de financer le logement social.
[5] Pendant sa campagne électorale, des affiches présentaient Valérie Plante comme l’homme de la situation, voulant ici faire un clin d’œil au fait qu’elle pouvait être la première femme à accéder à la tête de la ville.

Anne Latendresse

Professeure au Département de géographie de l’UQAM et directrice du Centre d’études et de recherche sur le Brésil (CERB). Elle collabore à la revue Relations.

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