Une vision anthropocentrique domine encore, comme si nous étions les seuls à être revêtus de dignité. Comme l’affirment de grands spécialistes des sciences de la cosmologie, si l’esprit nous habite c’est qu’il résidait auparavant dans l’univers, et que nous en sommes un fruit et une partie.
Une tradition qui remonte à de lointaines traditions ancestrales a toujours considéré la Terre comme une mère qui nous crée et nous donne tout ce qu’il nous faut pour vivre. Les sciences de la Terre et de la vie ont fini par confirmer cette vision par des moyens scientifiques. Selon cette vision, la Terre est un super organisme vivant, que l’on nomme Gaïa, qui se régule elle-même de façon à pouvoir toujours maintenir la vie sur la planète. La biosphère elle-même est un produit biologique qui trouve ses origines dans la synergie des organismes vivants avec tous les autres éléments de la Terre et du cosmos. Par conséquent, on peut non seulement dire qu’il y a de la vie sur la Terre, mais que la Terre elle-même est vivante et qu’elle possède à ce titre une valeur intrinsèque. Elle mérite le même respect que celui que l’on accorde à tous les êtres vivants. C’est l’un des attributs de sa dignité et le véritable fondement de son droit à exister et à être respectée comme n’importe lequel autre être.
Les astronautes nous ont légué cet héritage : quand on les regarde de l’au-delà, la Terre et l’humanité forment une entité unique qu’on ne peut séparer. La Terre est un moment dans l’évolution du cosmos, et la vie humaine, un moment récent dans l’évolution de la vie. C’est pour cette raison que nous sommes en droit d’affirmer que l’être humain est précisément ce moment où la Terre a accédé à la conscience, à la sensation, à la pensée et à l’amour. Nous sommes la partie consciente et intelligente de la Terre.
S’il est vrai que les êtres humains, selon un consensus qui s’est généralisé, possèdent de la dignité et des droits, et que la Terre et les êtres humains constituent une unité indivisible, nous pouvons alors dire que la Terre participe à la dignité et aux droits des êtres humains.
C’est pour cette raison qu’elle ne saurait tolérer l’agression, l’exploitation et la dégradation systématique d’une civilisation qui la conçoit seulement comme une chose sans intelligence et qui interagit avec elle sans aucun respect, dans le seul but d’accumuler des biens matériels, et en la privant ainsi de son autonomie et de sa valeur intrinsèque. C’est une offense à sa dignité et une violation de son droit à demeurer entière, propre, et en possession de capacités reproductives et regénératives. C’est pour cette raison qu’à l’ONU on a discuté de l’opportunité de créer un Tribunal de la Terre susceptible de punir ceux et celles qui violent la dignité de cette Terre, qui la déboisent, qui détruisent des écosystèmes vitaux pour la conservation des systèmes climatiques et de la vie.
Finalement, il y a un dernier argument issu d’une vision quantique de la réalité. Si l’on suit Einstein, Bohr, et Heisenberg, l’univers à son niveau le plus profond est énergie de densité différente. La matière elle-même est une énergie hautement interactive. La matière, depuis les hadrones jusqu’aux topquarks, ne possèdent pas seulement de la masse et de l’énergie ; tout être est également porteur d’information. Le jeu des rapports entre tous les êtres fait se modifier ceux-ci et emmagasiner de nouvelles informations concernant leurs rapports. Chaque être entre en relation avec les autres d’une façon qui lui est propre, jusqu’à faire apparaître des couches de subjectivité et de données historiques.
Tout au long de sa longue histoire de plus de quatre milliards d’années, la Terre retient la mémoire ancestrale de la trajectoire de son évolution. Elle possède une subjectivité et une histoire. Et logiquement, cette subjectivité et cette histoire sont différentes de celles de chacun des humains, la différence n’en étant pas une de principe (tous les humains sont liés entre eux) mais de degré (tous le sont chacun à sa façon).
Les données des sciences cosmologiques les plus avancées apportent une raison de plus de considérer la Terre comme un être qui possède de la dignité, et à ce titre également des droits. Il nous incombe alors de veiller sur elle, de l’aimer et de la maintenir en santé afin qu’elle puisse continuer à engendrer et à nous prodiguer les biens et les services qu’elle nous a toujours fournis.
Il est grand temps que s’amorce cette bio-civilisation dans laquelle la Terre et l’Humanité retrouveront leur dignité et leurs droits et reconnaîtront qu’elles appartiennent réciproquement l’un à l’autre, et qu’elles ont une origine et un destin commun.
Leonardo Boff
23 avril 2010