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Asie/Proche-Orient

La République Islamique d’Iran : Une dictature capitaliste, réactionnaire et corrompue

Plus d’un an après la signature de l’accord sur son programme nucléaire avec les Grandes puissances, la République Islamique d’Iran reste confrontée à une crise économique et sociale majeure.

tiré de : 2016 - 44 * 29 octobre : notes de lecture, textes, pétitions.

Publié le 27 octobre 2016

Cette crise profonde s’accompagne de tensions permanentes au sein du régime. Le camp conservateur proche du Guide Khameneï voit toujours avec méfiance le compromis sur le dossier nucléaire. Les différentes factions proches des Gardiens de la Révolution l’analysent même comme une défaite diplomatique et une trahison du président Rohani.

La confrontation entre le camp du Guide et les factions dites « modérées » ou « réformatrices » proches de Rohani porte sur « l’ouverture » aux grandes puissances impérialistes et au type d’intégration au marché mondial.

Si le camp du Guide détient la quasi-totalité des leviers de pouvoirs, il n’a pu empêcher le compromis sur le nucléaire et ce en raison des faiblesses même du régime, de sa profonde impopularité, des crises majeures qui traversent la société iranienne, du poids des sanctions internationales et de l’instabilité régionale.

Sur le terrain de « l’ouverture », les courants « modérés » ou « réformateurs » au sein du pouvoir se sont appuyés sur une partie des aspirations populaires exprimées notamment lors des mobilisations de 2009 contre la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la république.

Après l’écrasement du « mouvement vert » incarné par Moussavi et Karoubi en 2009, les factions « libérales » du régime ont appuyé l’élection de Rohani et ont soutenu sa politique de compromis avec l’impérialisme états-unien. Ce ralliement a permis à la République Islamique d’Iran de traiter en interne au sérail les dissensions et a contrecarré ainsi l’intervention directe de la population. Rohani a été l’incarnation du point d’équilibre au sein du régime. Mais cette tentative de stabilisation de la situation politique ne sera pas durable.

En effet, toutes les crises qui ont poussé à la mobilisation populaire de 2009 se sont approfondies. La crise sociale et économique, la misère et le chômage, l’inflation, la négation des droits démocratiques et sociaux, l’absence de perspective pour la jeunesse, se sont aggravés.

Dans les faits, la politique économique et de compromis avec l’impérialisme développée par Rohani est celle de Rafsandjani, un des piliers du régime depuis l’avènement de la République Islamique en 1979 et sans doute l’un des plus corrompus. Mais les « réformateurs » et les « modérés » ne s’affrontent jamais directement avec le camp conservateur et encore moins avec le Guide lui-même.

Cependant, cette confrontation n’en est pas moins réelle. Ainsi, l’accord sur le nucléaire aurait pu laisser envisager un rapprochement diplomatique important avec l’administration Obama sur les divers conflits qui frappent le Moyen-Orient. Or, il n’en est rien. Depuis le compromis sur le dossier du nucléaire, la République Islamique d’Iran a accentué sa confrontation avec les alliés des États-Unis dans la région et notamment avec la monarchie saoudienne. En effet, la politique régionale de la République Islamique d’Iran est aux mains des Gardiens de la Révolution et du Guide Khameneï. Les tensions entre Téhéran et Ryad, que ce soit au travers de guerres par procuration et par forces interposées comme au Yémen, en Irak et en Syrie, ou sur le terrain de la joute verbale sur les lieux saints et le pèlerinage du Hadj, sont de plus en plus violentes. Cela est bien sûr l’expression des conflits d’intérêts qui opposent les deux puissances régionales rivales mais traduit aussi les divergences profondes au sein de la mollarchie. Le Guide faisant tout pour limiter le rapprochement avec Washington afin de circonscrire la progression des factions « modérées et réformatrices » du régime.

Certes, sur le terrain militaire, les convergences d’intérêts sont flagrantes en Afghanistan ou en Irak et certaines interventions des Gardiens de la Révolution ne peuvent se faire qu’avec l’aval et la bénédiction de l’impérialisme états-unien. Ainsi, l’intervention en cours pour reprendre Mossoul à l’État islamique, est mené par les forces irakiennes, les peshmergas de l’autorité autonome du Kurdistan d’Irak, les forces de l’État turc, les milices chiites irakiennes encadrées et financées par la République Islamique d’Iran et avec la participation des forces d’élites des Gardiens de la Révolution, tout ceci avec l’appui aérien et logistique de la coalition internationale dirigée par Washington.

Mais cela ne se traduit pas sur le terrain diplomatique et politique. Le Guide de la Révolution refuse toute avancée en ce sens. Il s’oppose ainsi sur le plan intérieur à la politique souhaitée par une partie du régime, notamment par Rafsandjani, mais aussi par les factions « modérées » et « réformatrices ».

Plus largement, sur la scène régionale, la République islamique d’Iran participe avec le Hezbollah libanais et la Russie à la coalition qui soutient activement le régime criminel de Bachar El Assad. Bien entendu, depuis l’intervention militaire directe de Moscou en Syrie, le rôle de la République Islamique est passé au second plan. Néanmoins, sans le soutien financier de la théocratie réactionnaire de Téhéran et sans l’appui des Gardiens de la Révolution, le régime sanguinaire de Damas ne serait pas en capacité de se maintenir. La Syrie est un sujet majeur d’affrontement entre les puissances impérialistes US et russe, tout en étant un terrain de confrontation indirect entre la Mollarchie et la Monarchie des Saoud. Les deux puissances régionales les plus réactionnaires s’affrontent par forces interposées en mettant la Syrie, mais aussi l’Irak et le Yémen à feu et à sang. Cette opposition barbare est le résultat des ambitions régionales antagoniques de deux régimes dictatoriaux. La lutte contre DAESH n’est qu’un prétexte et permet à la République islamique d’Iran et à l’Arabie Saoudite de s’ingérer en profondeur dans la destinée des peuples de la région. La religion n’étant qu’un prétexte idéologique à la rivalité économique (au sein de l’OPEP notamment), géostratégique et politique. Dans leur confrontation, Ryad et Téhéran n’hésite pas à instrumentaliser et à encourager la religiosité et les sectarismes qui se développent sur fond d’une misère croissante dans la région. Les reculs de DAESH, voire sa défaite totale ne mettront pas fin au terreau de misère sur lequel prospère les sectarismes et les guerres civiles, ni aux ambitions antagoniques de la République Islamique et de l’Arabie Saoudite.

La politique régionale de la République Islamique est rejetée par la majorité de la population. Le coût financier est exorbitant pour le pays alors même que les besoins élémentaires d’une grande partie des Iraniens sont loin d’être satisfaits. Par ailleurs, cette politique est vécue par certaines couches de la population comme un frein à la « normalisation » des relations entre le pays et les grandes puissances.

L’opposition entre « modérés » et conservateurs masque des divergences d’intérêts
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Derrière l’opposition entre les factions « modérées » et le camp des conservateurs, du Guide et des Gardiens de la Révolution se cache un affrontement pour la mainmise sur l’économie et les ressources du pays. En effet, la politique de Rohani et de ses alliés est tournée clairement vers la levée des sanctions internationales, pour une ouverture du marché iranien aux multinationales et aux puissances occidentales. Or, le camp du Guide s’est justement enrichi grâce aux sanctions et au marché noir qu’il organise. Il s’enrichit de son contrôle total sur le système bancaire du pays, alors même que l’ouverture au marché mondial implique une intégration des banques iraniennes au système financier international. Enfin, l’intégration de la République Islamique dans le système économique international supposerait des réformes fiscales profondes qui menaceraient les Fondations. En effet, ces Fondations (Bonyad), à la comptabilité opaque, ne sont pas redevables d’impôt et ne rendent de compte qu’au Guide et à son cabinet.

Ces Fondations, à vocation officiellement caritative et religieuse, constituent de richissimes holdings, regroupant parfois plus d’une centaine d’entreprises. Elles jouent un rôle majeur dans la redistribution clientéliste d’une partie des richesses du pays et dans l’organisation de la corruption.

D’après le quotidien économique iranien Sarmayeh, les fondations contrôleraient 35 à 40 % du PIB iranien, qui s’élève à 120 milliards d’euros. La plupart de ces fondations ont vu le jour après la révolution de 1979. Elles furent chargées par le nouveau régime de saisir les avoirs des grandes familles proches du Shah afin, officiellement, de redistribuer l’argent au peuple via des œuvres caritatives. Mais très rapidement, elles sont devenues des piliers économiques, sociaux et politiques de la République Islamique. Elles ont étendu leurs activités à des secteurs aussi variés que l’immobilier, la construction, le textile, l’agroalimentaire, la pharmacie, les hôpitaux, les universités, bien sûr le pétrole… Ces fondations contrôlent même certaines zones franches. Ainsi, la Fondation Astan-e Qods Razavi, chargé de gérer le tombeau de l’Emam Reza à Mashhad, est propriétaire d’une centaine d’entreprises et de la zone franche de Sarakhs à la frontière avec le Turkménistan. Créée en 1996, cette zone franche est une véritable cité industrielle, plaque tournante du commerce légal et du marché noir « institutionnel » vers les pays d’Asie Centrale disposant même d’un aéroport.

« L’argent n’ayant pas d’odeur », ces Bonyad souvent dirigées par la hiérarchie des Gardiens de la Révolution et marquées par leur religiosité idéologique, ont également investis dans des complexes touristiques de luxe et dans le secteur des loisirs. Ainsi, la Fondation des Déshérités (l’une des plus importantes) est propriétaire du téléphérique, des pistes de ski et des restaurants qui accueillent à la montagne la jeunesse dorée de Téhéran. La capacité d’autofinancement secrète de ces grandes fondations permet aussi, de financer des activités cachées, par exemple des réseaux non officiels de renseignement et d’actions extérieures liés aux Gardiens de la Révolution.

Les divergences d’intérêts constituent donc une fracture importante qui traverse les sommets de la mollarchie. L’accord sur le programme nucléaire avec les grandes puissances, la levée progressive des sanctions et l’ouverture, même timide, du marché iranien accentue les contradictions à l’œuvre au sein du sérail. Cependant, l’ensemble des protagonistes et courants politiques internes du régime partagent l’intérêt de maintenir en place le carcan capitaliste et réactionnaire qu’est la République Islamique.

La République Islamique et l’impérialisme : les affaires reprennent au grand jour

Ainsi, la République Islamique qui doit faire face à un mécontentement généralisé de la population, mène dans le même temps une politique sociale violente en détruisant notamment le code du travail et en supprimant les maigres protections sociales des salariés du secteur privé et des fonctionnaires.

En effet, dans cette période post accord nucléaire, l’obsession du gouvernement Rohani est de rendre le marché du travail attractif pour les multinationales et les investisseurs étrangers. La modification du code du travail en discussion prévoit notamment la possibilité de rétablir le travail des enfants de moins de 15 ans. Les protections en matière de contractuel seront levées et la possibilité « d’établir » des contrats oraux sera étendue, les salaires seront « négociés » directement entre l’employeur et le salarié, le niveau du salaire minimum sera instauré entreprise par entreprise, en fonction de la « réalité économique ». C’est dans ce contexte que des grandes multinationales renouent avec Téhéran. Ainsi, Peugeot tend à reconquérir sa position de leader occidental sur le marché automobile iranien. Le lancement en octobre 2016 d’un joint-venture nommé IKAP (Iran Khodro Automobiles Peugeot) vient sceller le retour de la marque française sur le marché iranien.

De son côté, Renault également a créé une coentreprise avec Iran Khodro et Saipa (marques iraniennes dans le capital desquels les Gardiens de la Révolution se retrouvent actionnaires).

Airbus a quant à lui, signé un protocole d’accord avec la République Islamique portant sur 114 moyen-courrier (A320) et des long-courriers (A330). Sur le plan commercial, le « Grand Satan » n’est pas en reste. Ainsi, la société états-unienne Boeing a annoncé la signature d’un accord avec Iran Air portant sur la vente de 80 appareils et sur la location de 29 autres.

La Mollarchie : une dictature contre les travailleurs, les femmes et les peuples

Dans ce contexte, les droits démocratiques et sociaux restes bafoués systématiquement.

Face aux aspirations légitimes des travailleurs, de la jeunesse, des femmes et des minorités nationales, le pouvoir n’a qu’une seule « arme » en sa possession : celle de la répression. Ainsi, la République Islamique d’Iran se situe en deuxième position (derrière la Chine) dans le sinistre tableau des records du nombre d’exécutions de prisonniers, notamment des mineurs. En ce qui concerne le nombre de peines capitales, le pays est même devant l’Arabie saoudite.

Depuis l’accession de Rohani à la présidence de la République en juin 2013, le régime a exécuté plus de 2000 prisonniers.

Les luttes ouvrières sont systématiquement réprimées et les dirigeants arrêtés, condamnés, torturés.Très récemment plusieurs syndicalistes et activistes du mouvement ouvrier ont été condamnés à de longues années de prison ferme. C’est le cas notamment d’Ebrahim Madadi, Davoud Razavi, Reza Shahabi, tous membres de la direction du Syndicat Vahed (Régie de transports en commun de Téhéran et sa banlieue). Ce dernier, a été de nouveau condamné à un an de prison ferme, après avoir purgé une peine de 6 ans, sous prétexte d’« agissements contre la sécurité nationale ». La liste des syndicalistes condamnés depuis le début de cette année 2016 ne cesse de s’allonger.

Les militants des droits de l’Homme ne sont pas mieux lotis. Ainsi, Narges Mohammadi, journaliste,avocate, directrice du Centre pour les défenseurs des droits humains (CDDH), a été condamnée à seize années de prison pour avoir « formé et dirigé un groupe illégal » qui appelle à l’abolition de la peine capitale. Emprisonnée depuis mai 2015, Narges Mohammadi avait été condamnée une première fois en avril 2016 dans un procès entaché d’irrégularités, sous l’influence du ministère des Renseignements. Narges Mohammadi est très populaire en Iran et avait reçu en mai 2016 une médaille de la ville de Paris pour son travail en faveur de la défense des droits de l’Homme.

Depuis l’accession au pouvoir de Rohani, aucun progrès n’a été enregistré quant à la situation faite aux femmes. Pire, d’autres lois rétrogrades et « anti-femmes » ont été adoptées. L’une d’elles en l’occurrence a suscité l’indignation générale : la légalisation du mariage entre un père et sa fille adoptive. Cette loi a été mise en œuvre par le gouvernement Rohani le 19 novembre 2013. Une loi où le rôle du père est confondu avec celui du mari et avec laquelle les enfants ne peuvent être en sécurité, une loi qui légalise la pédophilie et normalise le crime, selon les militants des droits humains.

Au-delà des inégalités institutionnalisées par la théocratie réactionnaire de Téhéran, les femmes subissent une violence sociale majeure. A titre d’exemple, l’agence officielle Mehr (proche des conservateurs et des gardiens de la révolution) a annoncé fin août 2016 que la majorité des détenus en Iran sont des femmes. Et plus de 50% d’entre elles sont en attente de jugement depuis plusieurs années parfois.

Les minorités nationales et religieuses, notamment les Kurdes, les Azéris, les Baloutches, les populations arabes et sunnites du sud de l’Iran, sont quant à elles toujours opprimées et durement réprimées par le régime et son bras armé, les Gardiens de la Révolution.

Enfin, les réfugiés afghans continuent de subir un effroyable racisme d’État. Quand ils ne sont pas surexploités, les jeunes réfugiés afghans font office de « chair à canon » du régime et sont enrôlés de force dans des milices envoyés sur les fronts syrien ou irakien. C’est avec le cynisme sans nom qui caractérise les grandes puissances impérialistes, qu’en mars dernier l’Union européenne a entamé des discussions avec la République Islamique afin de contenir l’immigration afghane en Iran. Ainsi, dans l’accord prévu, l’UE se propose d’allouer d’urgence 6,5 millions d’euros supplémentaires d’aide humanitaire aux Afghans qui s’étaient retrouvés en Iran, y compris 1,5 millions d’euros pour scolariser les enfants afghans dans ce pays. Ces accords interviennent au moment où le gouvernement afghan vient de protester énergiquement contre la République Islamique pour avoir mis en cage et exhibé publiquement des dizaines de réfugiés afghans à Shiraz. Leur crime était d’être entré illégalement sur le territoire iranien…

En mai 2017, la République Islamique organisera de nouvelles élections présidentielles. Rohani se présentera sans aucun doute pour un second mandat. Il va de soi que, quel que soit le vainqueur de cette sinistre mascarade, les élections ne changeront rien à la situation des peuples d’Iran. Seule une perspective laïque et socialiste sera de nature à freiner l’avancée de la barbarie dans la région.

Babak Kia, Octobre 2016

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