Tout d’abord, il est intéressant de se pencher sur ce phénomène, maintenant mondial, celui de la montée des forces fascisantes et conservatrices. Il faut séparer les deux catégories, l’extrême-droite et la droite, mais il ne faut pas non plus nier que l’extrême-droite, subrepticement ou directement, dans tous les pays, fait des progrès.
L’élément pivotal de cette montée des forces fascisantes a été l’élection frauduleuse de George W. Bush en 2000. Je tiens à mentionner que cette élection, comme la seconde par ailleurs, a été entâchée de vices démocratiques évidents en Floride. La seconde élection du néo-dictateur, elle aussi viciée, a été gagnée par des subterfuges en Ohio.
Ce précédent majeur de fraude pré-électorale aux États-Unis a été suivi par l’élection, elle aussi frauduleuse, de Felipe Calderon au Mexique en 2006 – immédiatement reconnu par Bush, et dénoncé par Chavez. Ces perversions de la démocratie représentative, comme si le système n’était parfois pas lui-même pervers, sont désolantes.
Et ensuite, il faut voir, dans la foulée d’une accession frauduleuse au pouvoir, ce qui s’est passé par la suite. Une véritable catastrophe mondiale dans le cas de la politique de George Bush, et un cataclysme national non moins détestable et autoritaire avec celui que les Mexicains ont surnommé « El usurpador ».
Et ce n’est pas tout, car les États-Unis, étant le pays le plus puissant dans les affaires matérielles du monde, le changement de pouvoir, son durcissement, a tendance à créer un effet d’entraînement sur d’autres pays ; naturellement, si l’empire vire à droite, les satellites et autres pays virent aussi à droite.
Cela nous amène au satellite canadien, avec Stephen Harper, clone albertain du texan Bush. Je ne dirai pas que l’élection présidentielle française est si directement liée, mais je ne peux m’empêcher, à défaut d’une relation de cause à effet, d’y voir une corrélation. Comme Bush avec les intégristes chrétiens à sa droite, Sarkozy a les gens du Front national à sa droite.
Que signifient cette montée et ce pouvoir obscur des extrémismes en Occident ? Je crois que c’est plus le fruit de forces structurelles importantes que de simples élans idéologiques. Ces forces structurelles sont celles du capitalisme débridé et des intérêts matériels occidentaux vis-à-vis des trois-quarts du monde – mon appellation pour le tiers monde.
Il me semble en effet de plus en plus évident que la gauche se trouve dans les trois-quarts monde, et que la droite du quart de riche, elle, domine l’Occident. Cela me semble aussi logique : les prolétaires mondiaux sont à gauche, et les bourgeois de la Terre sont à droite. Rien de surprenant, en fait. Rien de suprenant non plus de voir ces bourgeois brutaliser les non-citoyens cheap labor – des néo-esclaves – qui viennent faire rouler leur économie et de les voir mener des guerres contre le bouc émissaire post-hitlérien : l’Islâm.
Après tout, la guerre contre l’Islâm est facile à justifer des deux côtés du spectre idéologique. D’un côté, la gauche, on peut dire qu’on est contre la religion, et de l’autre, la droite, on peut dire qu’on est contre les non-chrétiens ou les non-nationaux. Bush a trouvé un ennemi commun sur lequel tous les Occidentaux bien-pensants des deux côtés du spectre idéologique peuvent s’entendre. La gauche ne frappe pas, mais elle se tait.
L’Occident, donc, comme les élites économiques, défendrait ses intérêts de droite, qui l’avantagent matériellement, tandis que les trois-quarts du monde, en revanche, là où c’est possible, défendraient des idées de gauche, car ces idées l’avantagent comparativement à l’Occident. Bien sûr, une telle vision est schématique, réductrice, mais c’est néanmoins dire qu’il y a des causes structurelles, à mon avis, à cette montée de la droite plus fascisante.
Il ne faut pas oublier qu’avant toute cette croisade pétrolière occidentale avec les dommages culturels collatéraux que l’on connaît, les questions économiques structurantes commençaient à peser fort sur les élites économiques occidentales. Le conflit justifie les ruptures démocratiques, la guerre justifie la dictature. Mais il serait naïf, à mon avis, de n’y voir que le polissage culturel et d’oublier les causes économiques au fondement de cette dérive occidentale vers la droite.
Trotsky dirait : Le fascisme est une des mutations naturelles des démocraties bourgeoises. Il est aussi possible que ce soit le cas, c’est-à-dire que les démocraties bourgeoises, dans certaines circonstances, sous certaines pressions, virent en fascisme. C’est cependant un constat trop grave pour des consciences fragiles acculturés à cette démocratie.
Un retour à la présidentielle française
L’autre point que je voulais développer, c’est celui de la perversité du scrutin français, car, en réalité, l’homme qui avait la majorité contre Sarkozy, c’est François Bayrou, avec l’appui de la gauche. La gauche aveugle n’a pas su suivre les conseils des Rocard et cie, et s’est lancée derrière l’incompétente Royal, déroulant le tapis rouge pour l’entrée de Sarkozy à l’Élysée.
Il faut le dire, en France comme au Québec, la démocratie est viciée par le scrutin. Un scrutin préférentiel Condorcet aurait donné la victoire légitimement à Bayrou. Or, ce scrutin uninominal à deux tour lui dit : "Tu battrais chacun des candidats, mais bipartisme oblige, tu es battu avant eux !" C’est cependant la France qui a été battue dimanche.
On verra bien si les faillites de nos systèmes démocratiques mèneront à pire que ce que nous avons maintenant, mais ce qui est sûr, c’est que la lutte pour davantage de démocratie au Québec et ailleurs n’est pas qu’une lutte de lendemain d’élection, c’est une lutte qui doit être systématique.
On ne peut plus tolérer ces systèmes de démocraties mal-représentatives pervers qui minent complètement la volonté populaire au détriment des intérêts de quelques élites. Il faut absolument ouvrir les portes et les ornières de certains à la possibilité de rénover en profondeur les systèmes démocratiques, de toute évidence inachevés, qui sont les nôtres.
Il faut, je crois, pour cela, se pencher vers la démocratie délibérative et la sélection alétoire de citoyens pour constituer des corps politiques capables de représenter ce que le corps citoyen est véritablement. Cette formule, je crois, est la clé qui permettra d’éviter les dérives de la démocratie élective outrancièrement polluée par les intérêts privés.
C’est peut-être aussi une clé contre ce qui semble être un dernier soubresaut du capitalisme sauvage. Je l’espère du moins, car malgré le respect que j’ai pour les Trotskys de ce monde, je ne crois pas qu’ils avaient la solution achevée, je crois qu’égalité politique et égalité économique doivent aller main dans la main.
David Litvak