Édition du 17 décembre 2024

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International

Brèves internationales

La lutte continue au Wisconsin ; l’Iran, le mauvais ennemi ; la gestion d’Haïti par les Américains ; l’élection d’Ollanta Humala au Pérou.

1- La lutte continue au Wisconsin

La résistance magistrale des syndiquéEs de l’État soutenus par la population et les éluEs démocrates, contre la loi anti syndicale du gouverneur Walker avait donné un premier résultat positif. Une juge de la Cour du circuit de Dane County avait établit que la procédure suivie pour promulguer cette loi qui retire la majorité des droits syndicaux aux employéEs de l’État était illégale. Devant l’absence de quorum à la législature lors du vote, les éluEs démocrates ayant quitté l’État pour empêcher l’adoption de cette loi, le gouverneur et les membres républicains ont invoqué un article applicable en temps d’extrême urgence. Cet article stipule que le gouvernement de l’État peut, dans certaines circonstances, adopter des mesures indispensables sans le quorum normalement requis. La juge Maryann Sumi avait rejeté cet argument et la loi ainsi adoptée ne pouvait s’appliquer tant que sa légalité n’était pas correctement établie. La Cour suprême de l’État vient de renverser ce premier jugement. Depuis le 14 juin donc, la loi s’applique dans toute sa rigueur. Le droit de négocier toute autre clause que monétaire est retiré à l’ensemble des employéEs de l’État sauf aux policiers et pompiers. Les syndicats ont intenté une nouvelle poursuite contre l’administration républicaine du Wiskonsin auprès d’une cour fédérale cette fois, pour contester le caractère discriminatoire de cette loi qui selon eux, crée deux classes de travailleurs-euses. Les manifestations de rue ont spontanément recommencé. Il se peut fort bien que la Cour suprême américaine finisse par être saisie de ce litige un jour ou l’autre. Car le gouverneur Walker fait école et d’autres législatures lui emboitent le pas.

2- L’Iran, le mauvais ennemi (1)

Dans un récent article publié dans le New-Yorker, le journaliste d’enquête Seymour Hersh soutient que les Etats-Unis se trompent d’ennemis quand ils épinglent l’Iran pour sa politique nucléaire. Son travail l’amène à conclure que l’atmosphère qui domine dans les milieux officiels à ce sujet est du même calibre que celle qui a mené à l’invasion de l’Irak en 2003 avec les « preuves » d’armes de destruction massive invoquées alors. Il révèle que malgré tous les efforts déployés par le personnel hautement qualifié des agences d’investigation américaines et par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), il n’existe aucune preuve que les Iraniens transgressent les règlements internationaux et leur signature du Traité de non prolifération des armes nucléaires en enrichissant de l’uranium à d’autres fins que civiles. Toutes les opérations sont d’ailleurs exécutées sous les caméras de l’AIEA dont la vigilance ne faiblit pas. Même les Israéliens seraient d’accord avec ces conclusions.
Donc le programme de sanctions contre l’Iran le punit, et punit le peuple, pour des actes qui ne sont pas commis.

Seymour Hersh souligne qu’il est bien commode de continuer à s’attaquer à ce faux ennemi alors que l’Arabie Saoudite mène le jeu contre les révolutions populaires dans le monde arabe. Et ce n’est pas demain que les Etats-Unis se mettront à critiquer cette monarchie gardienne de leur plus grande réserve de pétrole. Pas plus que les autres monarchies du Golfe qui tremblent sur leur trône en ce moment et sont prêtes à tout pour empêcher leurs populations d’avancer vers plus de liberté.

3- La gestion d’Haïti par les Américains et leurs alliés (2)

Début juin courant, Wikileaks a publié conjointement avec les journaux Haïti liberté et The Nation aux Etats-Unis, des courriers du personnel de l’ambassade américaine de Port-au-Prince, dont l’ambassadeur, à leurs supérieurs au Secrétariat d’État à Washington. Cette ambassade est d’ailleurs la quatrième plus importante de toutes les ambassades américaines dans le monde. Ces documents font peu de révélations, mais bien des confirmations de ce qui a été soupçonné depuis longtemps. Un des journalistes qui les a examiné souligne comment l’ambassade américaine exerce une véritable micro gestion d’Haïti. L’ambassadeur, avec un niveau d’arrogance peu commun, se permet de repousser le président haïtien et son gouvernement, leur disant qu’ils ne savent pas quoi faire, comment s’y prendre, qu’ils ne comprennent pas les intérêts du pays….

*En partant du plus récent au plus ancien, ces documents démontrent que, oui les dernières élections étaient frauduleuses. Premièrement, le Conseil électoral provisoire(CEP) a exclu, sans motif valable et sans explication le parti Fanmi Lavalas(FL) de J.B. Aristide de la course électorale. Il exigeait que le chef du parti fasse une demande officielle signée de sa main et refusait les documents expédiés par fax ! J.B. Aristide était toujours en déportation en Afrique du Sud ! Or, l’Agence canadienne de développement international (ACDI) dirigeait la Mission internationale d’observation des élections jusqu’en 2009. Cette mission avait pour mandat de « soutenir le processus démocratique en appuyant le CEP ». Son mandat a été prolongé à cause du report des élections dans la foulée du tremblement de terre de janvier 2010.

Deuxièmement, l’Union européenne et le Canada ont soutenu l’achat de temps de radio, par exemple, pour soutenir les candidatures venant d’autres partis que la FL avant son retrait de la course. L’ambassadeur américain, M. Merten, s’inquiétait de ce que l’exclusion de FL en fasse un parti martyr dans la population et qu’elle pense que M. Préval manipulait l’élection. Ce qui fut le cas effectivement. La population ne s’est pas laissée duper et moins de 23% des électeurs-trices inscritEs se sont prévaluEs de leur droit de vote. Le plus bas taux de participation de tout l’hémisphère depuis 1945.
Les résultats du premier tour donnaient le candidat du gouvernement en place, M. Jude Célestin en tête devant Mme Manigat et M. Martelly en troisième position. Une contestation populaire s’est élevée. La perspective que M. Célestin devienne président pour continuer les politiques du gouvernement sortant en indisposait plusieurs.

Washington et la dite Communauté internationale, voyant les résultats du premier tour contestés, ont commandé une évaluation du vote par l’Organisation des États américains(OÉA) qui a désigné le candidat le plus populaire, (pas nécessairement celui qui avait reçu le plus de votes), Michel Martelly comme adversaire de Mme Manigat qualifiée de néo-duvaliériste. Le Canada a contribué à la pression sur cet organisme, sur le gouvernement haïtien à qui on fait valoir un éventuel retrait des aides, sur le parti au pouvoir et sur son candidat, M. Jude Célestin, deuxième dans la course selon le CEP, pour qu’il se désiste. L’OÉA a produit un rapport disant que M. Martelly était en tête et qu’il passait au second tour contre Mme Manigat.
Finalement, le CEP s’est divisé sur le résultat. Seuls quatre des huit membres du conseil ont voté pour. Or, pour que ses décisions soient valides, elles doivent être adoptées à la majorité simple. Cela n’est jamais venu et le deuxième tour s’est malgré tout tenu avec le résultat que l’on sait : le candidat de la droite, de la classe possédante haïtienne et de la dite Communauté internationale, M. Martelly, est maintenant président du pays.

Le Canada a investi six millions de dollars dans ce seul épisode de son aide à Haïti. Ce sont des investissements pour empêcher le peuple haïtien de choisir librement ses dirigeants.

*Au lendemain du terrible tremblement de terre de janvier 2010, la première aide qui s’organise et se pointe aux abords d’Haïti dévasté, ce sont les troupes américaines et canadiennes. Avec un peu d’aide humanitaire mais surtout bien armées. On assiste à une véritable invasion du pays. Ces amis d’Haïti étaient convaincus qu’un soulèvement populaire se produirait et que la première urgence était de la contenir. Le gouvernement canadien a ainsi de beaucoup retardé le départ d’équipes d’aide humanitaire pour donner la priorité à l’armée. Des avions de Médecins sans frontières ont été déroutés par l’armée américaine qui avait pris le contrôle de l’aéroport de Port-au-Prince. Les médias français ont dénoncé à l’époque cette invasion. À eux seuls, le Canada et les États-Unis ont déployé 12,000 soldats. Donc, alors que les populations canadiennes et autres se mobilisaient comme jamais pour soutenir le peuple haïtien en détresse, seules des considérations stratégiques déterminaient nos gouvernements.

*On découvre aussi dans ces documents que le pétrole et la gestion de l’énergie sont des éléments extrêmement importants dans les motivations des nations qui s’ingèrent ainsi dans la vie d’Haïti. Les diverses administrations américaines ont toujours tout fait pour empêcher le développement de ce pays. Ainsi, au cours de son premier mandat, le président Préval avait réussi à négocier un contrat d’achat du pétrole avantageux avec le Venezuela. L’État allait épargner cent millions par année soit 10% de son budget qui devait, selon le contrat, aller à l’électrification d’une plus grande partie du pays à commencer par les quartiers de Port-au-Prince qui étaient toujours sans électricité.

Cuba apportait aussi son aide en fournissant des techniciens et du matériel pour remettre en état des stations à l’arrêt faute de capacité financière à les entretenir. Un des documents publiés par Wikileaks révèle que même l’ambassade américaine reconnaissait, à l’époque, les bienfaits de cet arrangement avec PetroCaribe. Le chargé d’affaires déclare que « c’est une bonne affaire pour le pays où Port-au-Prince, Gonaïves et Cap-Haïtien ont maintenant l’électricité, que les livraisons de pétrole se font régulièrement aux 15 jours, que 3 stations de production fonctionnent à nouveau et que le travail se poursuit ». L’aide de Cuba devait également faire épargner 70 millions de dollars à l’État haïtien.

Tout cela n’est pas du goût des compagnies américaines de pétrole, Chevron, Mobil, Exxon Mobil, et bien sûr de l’ambassade et du gouvernement. L’ambassadrice de l’époque, Mme Janet Sanderson s’est adressée au président Préval et au peuple haïtien pour leur dire qu’ils ne se rendaient pas compte du niveau d’opposition de son gouvernement au Venezuela et réclamait de mettre fin à cette entente.

Le Venezuela avait fait une telle proposition au président Latortue installé au pouvoir par le gouvernement américain en 2004, après le coup d’état contre J.B. Aristide. Comme il avait bien intégré sa mission, il avait repoussé l’offre et demandé au Mexique de se mettre sur les rangs. Ce qui fut fait. Le Mexique a produit un plan appelé « de Puebla ». (L’histoire vient de se répéter au Honduras avec les mêmes résultats).

Et du pétrole, il y en aurait en Haïti, dans le sous-sol….. ! Certains documents (pas ceux de Wikileaks) soutiennent que des explorations exécutées par des compagnies américaines dans les années 50 ont démontré la présence de pétrole en quantité appréciable. Les quelques puits ainsi créés ont été colmatés et réservés pour des temps futurs, quand les ressources du golfe persique s’épuiseraient. Ce pétrole serait une réserve stratégique pour les États-Unis. Dans son plan de développement au début des années 2000, le président Aristide faisait état de cette ressource comme de l’or et autres métaux précieux et entendait voir à leur exploitation en partenariat public-privé. Le gouvernement américain a immédiatement paniqué devant une éventuelle nationalisation de ces richesses comme ce fut le cas ailleurs en Amérique latine.

*Et le renversement du président fut décidé ! Il fut décidé lors de la table ronde que le gouvernement canadien a convoquée en janvier 2003 à Ottawa. Tous les amis d’Haïti y étaient : les États-Unis, la France avec le gouvernement canadien. Treize mois plus tard le président était déporté en Afrique et l’administration du pays était confiée aux Nations Unies.

4- L’ÉLECTION D’OLLANTA HUMALA : la revanche de l’autre Pérou (3)

Le 5 juin dernier, le candidat de la gauche a été élu avec 51,6% des votes exprimés contre 48,4% pour son adversaire Mme K. Fujimori. Le lendemain, la bourse de Lima plongeait de 12,5%.

Le Pérou est maintenant un pays riche ! Un pays où la croissance de 2010 a été de 9% avec une moyenne de 5% au cours de la dernière décennie. Ce sont les ressources minières dont ce pays est largement pourvu qui sont la base de ce développement sans précédent. Il est le premier producteur mondial d’argent et le deuxième pour le cuivre. Les prix actuels de ces matériaux sur le marché international, constitue un pactole pour les entreprises minières étrangères à qui ont été accordés les droits d’exploitation. Les compagnies chinoises largement présentes dans ce marché comptent bien assurer l’approvisionnement de leur pays grand demandeur de ces matériaux.

Cette richesse a singulièrement favorisé la classe dominante et la classe moyenne blanche, concentrée dans les villes, principalement à Lima. Elles ne sont pas prêtes à partager les avantages acquis. Leur atout actuel : leurs représentants dominent le parlement. Il faudra donc un talent peu commun au gagnant pour appliquer son programme. Il veut implanter une sorte de « capitalisme à visage humain » avec une augmentation du salaire minimum, une réforme des retraites, le renforcement de la présence de l’État dans les grands travaux et une rationalisation des aides sociales pour qu’elles bénéficient réellement à la population. Mais, il est attendu au détour !

Car le Pérou est un des pays le plus inégal d’Amérique latine. 39,6% de la population est pauvre et ce pourcentage atteint 60% en zone rurale. L’extrême pauvreté affecte entre 13 et 16% des 30 millions de péruviens. Le modèle de développement libéral s’est fait sans aucune redistribution. Les salaires ont chuté de 10% au cours de ces dernières dix années alors que les bénéfices des grands groupes s’envolaient de 30% !

Ce sont les populations pauvres des montagnes et des forêts qui ont élu un des leurs, un Indien. Ils en attendent autre chose qu’une déception.

L’investiture de ce nouveau président aura lieu le 28 juillet prochain. Quoiqu’il arrive une nouvelle page péruvienne est ouverte.(4)

Notes :

[1] Interview de l’auteur par Democracynow.org, le 3 juin 2011

[2] L’ingérence étrangère en Haîti, Yves Engler, Mondialisation.ca, 11 juin 2011, tiré de Dissident Voice et traduit par D.Muselet, Le grand soir. Vilileakds Haiti, Cable Depicts Fraudulent Haiti election, Dan Coughlin and Kim Ives, The Nation, 8 juin 2011, Wikileakds Cables Reveal, "Secret History" of U.S.Bullying in Haiti at Oil Companies’Behest, interview de Kim Ives d’Haïti Liberté et de Dan Caughlin ex employé du service de presse de l’ONU pour Haïti et actuellement directeur exécutif du Manhattan Neighborhood Network, sur democracynow.org, le 3 juin 2011.

[3] Titre emprunté < Bernard Guetta sur France Inter, le 7 juin

[4] Autres sources : Pablo Biffi, Clarin, Pérou : un pays de plus bascule à gauche, dans Courrier International, 12 juin 2011, J.M., Leonel Rocha, Epoca, Pérou : Humala dans le rôle de Lula, dans Courrier International, 14 juin 2011, Philippe Revelli, Pérou, d’une arrière-cour à l’autre, Le Monde diplomatique, site internet, juin 2011.

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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