Un statu quo synonyme de capitulation climatique
En clôture de la COP21, même les plus enthousiastes des commentateurs avaient reconnu que les « contributions » des Etats étaient insuffisantes, conduisant la planète vers un réchauffement climatique supérieur à 3°C. Mais l’essentiel n’était pas là, nous avaient-ils assuré. L’important était que les Etats se soient engagés à revoir leurs contributions à la hausse dans des délais relativement courts (2018, 2020 ou 2023 selon les commentateurs) ! En acceptant ce principe, nous a-t-il été dit, les Etats ont ouvert la possibilité de revenir en dessous des 2°C fatidiques. Le discours final de François Hollande, promettant de « réviser au plus tard en 2020 les engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre » de la France, était pris en exemple de cette bonne volonté.
Patatras. Dans sa communication intitulée « la voie après Paris », la Commission européenne balaie d’un revers de la main cette jolie petite histoire qui nous a été racontée, avec plus ou moins d’emphase, depuis le 12 décembre dernier. La Commission estime que l’objectif dont l’UE s’est doté, à savoir une réduction de 40% des émissions de GES d’ici à 2030, est largement suffisant puisque « basé sur des projections mondiales qui sont en ligne avec l’ambition à moyen terme de l’Accord de Paris ». Pour la Commission, l’UE doit donc se limiter à « mettre en œuvre le paquet énergie climat 2030 tel que validé par le Conseil européen ». Rien de plus. Pas question de soumettre auprès de l’ONU une contribution plus ambitieuse d’ici à 2020. La Commission ne laisse même pas cette option ouverte, à la discrétion des ministres de l’environnement ou du Conseil des chefs d’Etat et de gouvernment. Pour la Commission, revoir à la hausse l’ambition des objectifs que l’UE s’est fixée ne fait simplement pas partie des options possibles. La promesse de François Hollande du 12 décembre dernier est déjà à ranger aux oubliettes de l’histoire (la contribution française n’est rien d’autre que la déclinaison nationale des objectifs fixés au niveau européen).
Une proposition irresponsable qui nie les données scientifiques
En osant affirmer que les objectifs fixés sont suffisants, la Commission européenne fait basculer la politique de l’UE dans le déni climatique et le négationnisme scientifique. Les données scientifiques dont nous disposons, notamment celles réunies par le GIEC, sont claires : l’UE, tout comme les autres puissances économiques de la planète, est invitée à s’orienter le plus rapidement possible vers une décarbonisation complète de son économie. Les objectifs fixés ne le permettent pas : un objectif de 40 % de réduction d’émissions d’ici à 2030 revient à une réduction effective d’à peine 33 % compte tenu des surplus considérables de quotas existant sur le marché carbone européen.
Un si faible objectif revient également à repousser à l’après 2030 l’essentiel des efforts à mener pour obtenir une réduction de 80 % des émissions en 2050 par rapport à 1990 – le minimum exigible de l’UE selon les données du GIEC. A supposer que l’objectif de – 40 % d’ici à 2030 soit atteint, il faudrait encore diviser quasiment par trois les émissions de l’UE entre 2030 et 2050. Ce qui revient à planifier une diminution de 5 % par an de 2030 à 2050 – ce que personne ne sait faire et ne peut garantir – alors qu’un effort continu dans le temps permettrait de tabler sur un taux de réduction d’émissions plus raisonnable de 2,5 % par an : pour 2030, le taux planifié est d’à peine 1,3 % par an.
Pour le climatologue Kevin Anderson du Tyndall Centre for Climate Change Research, un si faible objectif pour 2030 montre que l’UE s’affranchit du budget carbone que le GIEC lui a assigné pour rester en deçà des 2°C. Cela revient à donner la priorité à « l’opportunisme politique au détriment de l’intégrité scientifique », écrivait-il dans une lettre ouverte rendue publique en octobre 2014. C’est au nom de cette intégrité scientifique que la majorité des ONG en Europe réclament de l’UE un objectif minimal de 55% de réduction d’émission de GES d’ici à 2030. C’est donc en toute connaissance de cause, hypothéquant de fait les objectifs assignés par l’Accord de Paris, que la Commission refuse de revoir ses objectifs à la hausse.
Procrastination institutionnalisée pour de nouveaux crimes climatiques
Ce statu quo voulu par la Commission européenne dynamite le story-telling construit autour de la COP21. Alors que l’Accord de Paris « note avec préoccupation que les niveaux d’émission globales de GES en 2025 et 2030 estimés sur la base des contributions prévues déterminées au niveau national ne sont pas compatibles avec les scénarios au moindre coût prévoyant une hausse de la température de 2°C » (point 2.17 de la décision), la Commission européenne institutionnalise la procrastination : elle repousse à plus tard ce qui devrait être fait aujourd’hui. Elle invite ainsi tous les grands pollueurs de la planète, des Etats-Unis à la Chine, à faire de même ! Bravo l’exemple !
Or, en matière de dérèglements climatiques, l’important n’est pas le niveau d’émissions une année donnée, mais l’accumulation des GES dans l’atmosphère au cours des années. Pour le dire autrement, l’important n’est pas tant de savoir quel sera le niveau d’émissions en 2050 que de connaître le chemin qui sera emprunté. Plus les émissions sont réduites fortement en début de période, plus le montant d’émissions accumulées dans l’atmosphère est faible. Plus on attend la fin de période pour réduire les émissions, plus le montant accumulé sera important. En repoussant à l’après 2030 l’essentiel des efforts, la Commission européenne maximise la quantité totale d’émissions que l’UE va accumuler dans l’atmosphère au cours de la période 2020-2050. Et elle invite tous les grands pollueurs de la planète à en faire autant.
Au final, le résultat est connu d’avance. On ne compte plus les rapports et études qui le montrent avec clarté : ce sont les populations les plus démunies, celles qui sont le moins à-même de faire face aux dérèglements climatiques – et qui n’en sont pas à l’origine – qui paieront le prix fort de l’inertie des politiques climatiques européennes et mondiales. C’est donc en toute connaissance de cause que la Commission européenne planifie ce qui s’apparente à de nouveaux crimes climatiques.
C’est inadmissible et intolérable que des telles propositions soient faites en notre nom. Au nom des populations européennes.
Les ministres européens de l’Environnement avaient la possibilité de modifier l’orientation de cette communication lors de leur réunion de ce vendredi 4 mars : si certains se sont exprimés en faveur de plus d’ambition, la manjorité d’entre eux n’a rien dit à ce sujet. A commencer par Ségolène Royal.
Les Chefs d’Etat et de gouvernement des Etats-membres auront une nouvelle possibilité d’inverser la tendance lors du Conseil européen des 17 et 18 mars.
Le story-telling de la COP21 ne va plus fonctionner très longtemps.
Le voile va se lever sur la sincérité des paroles prononcées à Paris.
François Hollande voulait que la COP21 pose les jalons de la « révolution climatique ». Si révolution climatique il doit y avoir, c’est à Bruxelles qu’elle doit débuter.
François Hollande et Ségolène Royal ne pourront pas, cette fois-ci, se retrancher derrière de beaux discours – ni derrière la mauvaise volonté de la Pologne.
Des actes, il n’y a que cela qui compte.
Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France.
Auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition,Seuil, coll. Anthropocène.
@MaximCombes sur twitter
PS : je vous passe les autres inepties contenues dans la contribution de la Commission européenne. Signalons tout de même :
1. l’erreur consistant à dire que 98% des émissions mondiales sont couvertes par l’accord de Paris alors qu’au bas-mot 10% des émissions mondiales ne le sont pas, puisque les émissions liées au secteur de l’aviation civile, du transport maritime et des armées ne sont pas assignées aux Etats et ne sont donc pas couvertes par l’Accord de Paris.
2. l’importance donnée aux enjeux de compétitivité, de croissance, d’investissements et de marchés des capitaux, au détriment des politiques de sobriété et d’efficacité énergétiques ;
PPS : les journalistes et commentateurs, y compris ici sur Médiapart, qui ont expliqué que fixer un objectif de long terme à 1,5°C permettait de « consacrer l’idéal du dépassement des intérêts nationaux particuliers et de court terme » vont-ils revoir leur jugement ? ;-)