Le discours mondial s’est rallié autour de ce slogan, voir la possibilité d’un autre monde qui serait une alternative à la mondialisation néolibérale et au capitalisme. Les médias du monde ont qualifié cette révolte de super puissance de l’opinion publique mondiale. Les mouvements sociaux des peuples ont amené sur la scène internationale, la résistance à cette mondialisation néolibérale et ont constitué la base pour toutes les mobilisations dans les forums sociaux.
Quinze ans plus tard, la situation mondiale a changé, essentiellement suite à la victoire partielle de cette résistance, malgré le fait que cela n’ait pas été reconnu. Des partis populaires ont pris le pouvoir dans plusieurs pays ; dans plusieurs pays aussi, les mouvements sociaux se sont retrouvés avec la possibilité d’influencer et d’établir les politiques, s’ils le désiraient. Le monde n’a pas changé de manière dramatique, mais la société civile mondiale, l’antimondialisation, les mouvements anticapitalistes et les partis politiques ont créé un espace et ont trouvé une voix dans plusieurs parties du monde. Certains partis qui avaient supporté activement le Forum social ont été portés au pouvoir. Les gouvernements de la gauche et du centre ont eu à tenir compte des demandes des mouvements populaires. Si le parti au pouvoir était réfractaire, les partis d’opposition ont établi des alliances avec les mouvements populaires. La question à laquelle ils ont tous eu à faire face fut : À quoi cet autre monde ressemblera-t-il dans la réalité ? Comment pouvons-nous construire un nouveau monde ?
Lorsqu’un parti populaire de gauche arrive au pouvoir, il est confronté à l’obligation de transformer sa vision globale en politiques. Il est incapable de le faire et cela est perçu comme un échec, car il n’a pas pu livrer la marchandise ou du moins pas assez rapidement. Alors le fossé entre le parti au pouvoir et les mouvements sociaux s’élargit. Les mouvements sociaux se doivent de représenter les électeurs, mais il est très difficile pour eux de passer de la résistance à l’élaboration d’alternatives. La plupart d’entre eux soutiennent que c’est au gouvernement de trouver le moyen. Les politiques et les étapes sur le terrain sont l’affaire du parti au pouvoir. La question à laquelle on doit faire face aujourd’hui est celle-ci : Cette position est-elle encore tenable ? Nous ne pouvons pas être convaincants si nous sommes incapables de répondre aux questions suivantes : Notre vision a l’air de quoi sur le terrain ? Comment règle-t-elle les grands problèmes ? Comment les gouvernements peuvent-ils mettre leur projet en application ? Que doit-on faire en premier et que doit-on remettre à plus tard ? Si nous n’avons pas de réponse, il faut remettre notre vision en question, sans peur ni favoritisme. La question qu’on nous posera alors — et pas seulement dans le discours dominant — sera : Est-ce la vision elle-même qui présente un problème ? Ou bien est-ce le mécanisme de sa mise en application ? Ou bien est-ce le passage de la vision aux politiques ? Est-ce un problème de démocratie, la difficulté de rassembler à l’intérieur d’une vision d’ensemble, des points de vue différents et opposés ? Quelle devrait être la politique envers l’élite qui possède encore le pouvoir économique ? Quelle est la réaction lorsqu’elle se mobilise ? Les solutions peuvent-elles être uniquement basées sur le pouvoir politique ou militaire ?
Le temps est venu de déballer une vision d’un autre monde. Il est temps de passer sans heurts des rêves à la planche à dessin.
Les partis au pouvoir font face à une ou plusieurs difficultés critiques : la question de la démocratie, tant à l’interne que dans la gouvernance. D’ailleurs, l’acceptabilité et l’efficacité des partis monolithiques et même des partis uniques semblent révolues. Ce qui a eu du succès est une alliance politique avec une certaine diversité autour d’un programme commun. Ceci se rapproche davantage des méthodes et des pratiques des mouvements sociaux, et non de celles des plus vieux et plus traditionnels partis politiques. La démocratie interne peut aussi « changer la donne ». Il est de plus en plus évident que les partis politiques comme les mouvements sociaux se doivent d’instaurer, en leur sein même, une démocratie interne organisée de façon à être véritablement efficaces, forts, populaires et pertinents. La participation populaire et la démocratie interne sont les deux plus grands défis auxquels font face les partis de gauche. C’est cependant plus facile à dire qu’à faire dans cette culture où prévalent la tradition et une hiérarchie qui plombent plusieurs partis de la gauche.
Le FSM est un forum dans lequel ces questions primordiales peuvent être traitées, en faisant appel à un immense réservoir d’expériences et de connaissances en provenance du monde entier. Ceci, premièrement, en favorisant un discours axé sur des alternatives et des solutions complètes et concrètes, et non seulement sur des stratégies de résistance. Deuxièmement, le FSM est un exercice démocratique important. Il permet des débats sur divers points de vue et représente un exercice de prise de décision démocratique basé sur un consensus. Il permet également d’établir des alliances les plus larges possibles. C’est l’occasion de traiter de questions critiques concernant a) des méthodes pour l’instauration d’une démocratie interne et b) un engagement ferme en vue d’une participation populaire non seulement dans les politiques publiques, mais dans les politiques du parti.
C’est la raison pour laquelle le FSM sera encore pertinent aujourd’hui s’il s’engage à traiter directement de ces questions. Nous ne sommes pas encore rendus à ce point critique où le forum social sera complètement dépassé, même si cette idée est très attrayante. Cependant, l’espace public devra choisir certains sujets d’intérêt en lien avec les changements qui se produisent sur la scène mondiale, dès maintenant et de temps à autres.