Mais là où elle excelle dans la langue de bois, c’est lorsqu’on lui rappelle que Enbridge se réfère à la décision de l’Office national de l’énergie (ONÉ, fédéral) qui prévaudrait advenant un conflit entre les positions de Québec et d’Ottawa. De la part d’une ministre souverainiste, on se serait alors attendu à une déclaration sur le droit du Québec de disposer de son propre territoire en fonction des besoins et de la volonté des Québécois, avec ou sans l’approbation de Harper. Elle aurait pu aussi ajouter que la Colombie Britannique s’est opposée farouchement et efficacement aux récents projets de pipeline sur son territoire, preuve qu’une province canadienne peut se tenir debout face à Harper et aux pétrolières. Mais nenni, Madame la Ministre s’est contentée de répondre que la pétrolière a besoin de l’acceptabilité sociale pour réaliser son projet, sans plus de précision sur les moyens dont disposent les citoyens pour approuver ou non le projet d’inversion.
Le comble est atteint lorsque, interrogée sur les projets de TransCanada (pipeline, port pétrolier à Cacouna), Zakaïb répond que ce n’est pas son dossier et qu’on verra rendu là. On verra rendu là, alors que ces projets sont déjà en branle malgré les reports ! C’est dire que, dans le dossier des hydrocarbures, le gouvernement fait du cas par cas. Comment croire que le gouvernement a une véritable politique énergétique globale si, concernant les hydrocarbures, il n’a pas de vision et de direction globales incluant tous les projets et tous les aspects de la question, soit : besoins réels du Québec en approvisionnement pétrolier, particulièrement dans le contexte actuel où le gouvernement annonce une décroissance drastique de notre dépendance au pétrole ; évaluation réaliste des fluctuations économiques à court et long terme, notamment en ce qui concerne le prix véritable que devront payer les raffineries québécoises et les consommateurs lorsqu’on aura écoulé les surplus albertains, alors que les pétrolières albertaines annoncent depuis longtemps viser le prix des marchés mondiaux ; et surtout, surtout, surtout, évaluation des impacts environnementaux (prospection, exploitation, transport, consommation) ? Mais on verra rendu là, n’est-ce pas !
Et il y a le Ministre de l’environnement Blanchet qui claironnait récemment encore qu’il n’y a pas mieux qu’une commission parlementaire pour évaluer le projet de Enbridge, croyant ainsi justifier le refus gouvernemental de faire un BAPE sur la question. Certes, d’un point de vue strictement juridique, dans le cas du projet Enbridge, un BAPE n’a pas plus de valeur décisionnelle qu’une Commission parlementaire, puisque c’est l’ONÉ qui détient le pouvoir en la matière. Par contre, contrairement aux audiences de la Commission et à celles de l’ONÉ, un BAPE aurait permis à tous les citoyens de s’exprimer et d’approfondir réellement tous les aspects du projet, ce qui leur aurait conféré un plus grand pouvoir citoyen face à la pétrolière et aux gouvernements.
Et Blanchet de proclamer à l’unisson avec Zakaïb et Marois que le projet se fera uniquement s’il est sécuritaire. Croit-il vraiment duper les citoyens par ces propos ? On se croirait revenus aux beaux jours du Gouvernement Charest et de la langue de bois des ex-ministres Normandeau et Arcand qui fustigeaient avec mépris les citoyens s’opposant à leurs projets de gaz de schiste.
Parlons-en de cette Commission ! Annoncée à peine deux semaines à l’avance et tenue dans le branle-bas d’avant les Fêtes, alors que le débat sur la Charte de la laïcité accapare presque toute l’attention du public ; ferme position gouvernementale pro-Enbridge antérieure au début des travaux, donc audition pour la forme de quelques groupes environnementalistes ; sabotage par le Gouvernement de l’intervention de Vigilance oléoducs, seul groupe citoyen admis en audition…de justesse ; rapport publié dès la fin des travaux de la Commission, donc écrit d’avance. Il est par ailleurs significatif que la Commission n’étudie pas les impacts environnementaux en amont et en aval du projet Enbridge, en irrespect de l’esprit même de la Loi sur le développement durable qui spécifie que tout projet doit être évalué depuis sa conception jusqu’à la fin du processus d’exploitation et la remise en état des sites.
Une farce à la Charest, même condescendance et même mépris au chapitre de la consultation citoyenne, aucune différence entre libéraux et péquistes !
Quant à Enbridge et sa prétention à la transparence et à la fiabilité, voici une de ses nombreuses incongruités. En page 12 de la présentation de son projet d’inversion à la Commission, on lit : « Sont également erronées les allégations qui prétendent que les déversements de dilbit (bitume dilué) sont plus difficiles à nettoyer…les allégations à l’effet que le dilbit…aille donc couler au fond des plans d’eau ne sont pas fondées. »
Or, son pipeline transportera du pétrole lourd bitumineux et du pétrole de schiste de la formation de Bakken (obtenu par fracturation hydraulique). Celui-ci est le type de pétrole que transportait le train de Lac Mégantic. Sur Wikipedia (1) : « …À la suite de l’accident ferroviaire de Lac-Mégantic, où le train transportait du pétrole de cette formation…On a également observé… que ce pétrole se dissociait dans l’eau et que des particules lourdes se déposaient dans le fond de la rivière, rendant le nettoyage extrêmement difficile… »
Et sur le site de Dogwood (2), à propos de la position du gouvernement de la Colombie britannique concernant le projet de pipeline de Enbridge vers la côte ouest (en traduction libre) : « … toute la prémisse aux cinq conditions de la Province est que le pétrole lourd comporte des risques spécifiques parce qu’il peut couler dans la colonne d’eau ou partout sur le fond de la rivière ou de l’océan…la présentation (de Enbridge) le démontre clairement. Enbridge reconnaît qu’elle ne connaît aucune technique pour récupérer efficacement le pétrole dilué dans la colonne d’eau, déclare le gouvernement, ajoutant (que Enbridge) reconnaît que la proportion du volume total du pétrole immergé peut excéder 50% et que les mesures de mitigation et de récupération pour le pétrole immergé sont limitées. »
Faire confiance en Enbridge dans ces conditions, c’est faire de l’aveuglement volontaire.
Le gouvernement aura beau annoncer d’une main d’excellents projets durables, comme celui de la valorisation des matières végétales forestières en Mauricie, qui permettrait d’économiser 70 000 tonnes de GES, si de l’autre main il favorise la production de GES en faisant la promotion indirecte des sales sables bitumineux (et de la fracturation hydraulique), il ne fait que changer 4 trente sous pour une piastre, c’est kif-kif. Marois et Harper main dans la main contre l’environnement, je n’aurais jamais cru voir ça !
Et dire qu’il y a quelques jours à peine, Marois déclarait devant un auditoire de politiciens et gens d’affaires réunis à Monaco, que Harper ne fait pas suffisamment pour diminuer les GES. Non seulement celui-ci ne fait en réalité rien pour les diminuer, mais il fait tout pour augmenter les GES. Et ce n’est certainement pas en favorisant l’acheminement de ce pétrole vers l’est que Madame Marois se dissociera des folleries de Harper.
Madame la Première Ministre, il est encore temps de rectifier le tir. J’ajouterais : si mon vote vous intéresse.
Robert Duchesne, Trois-Rivières
(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Formation_de_Bakken
(2) http://dogwoodinitiative.org/blog/six-things
…the whole premise of the Province’s five conditions is that heavy oil poses special risks because it can sink into the water column or all the way to the riverbed or seabed — but the submission makes these risks crystal clear. "[Enbridge] acknowledges that it knows of no techniques to effectively remove dissolved oil from the water column," the government says, adding : "[Enbridge] acknowledges that the fraction of the total oil volume that sinks can exceed 50%," and "recovery and mitigation options for sunken oils…are limited."