Parallèlement à tout ce « greenwashing » c’est plutôt l’image publicitaire qui demeure l’objet premier de ces modifications. Que le concept soit tendance, cela ne fait aucun doute, et ceux-ci l’ont bien compris. À partir du moment où notre système capitaliste commercialise ou permet de rentabiliser une étiquette « verte », accolée à quiconque peut prouver qu’il ou elle a à coeur la question environnementale, le produit peut connaître un véritable succès. Comment, néanmoins, cette approche managériale et technocrate peut-elle nous sortir de l’impasse actuelle qui nous projette tout droit dans le mur de la crise écologique ? La réponse est claire. D’aucune façon.
Le développement durable est aujourd’hui un outil de markéting « vert » qui vise à se réapproprier la critique écologiste afin de redorer l’image d’une politique ou d’une entreprise polluante. À cet effet, l’exemple d’un mémoire déposé sur les sables bitumineux et dans lequel le concept de développement durable est accolé à cette première forme éhontée d’exploitation de ressources naturelles est criant[1]. D’ailleurs, si l’on considère le lourd passé du concept de développement, soit celui d’une politique recherchant incessamment la croissance économique et la modernisation technique, ne peut-on pas considérer le « développement durable » comme un oxymore[2] ? Un euphémisme, puisqu’il tend à rappeler l’importance de la croissance, pilier central de la survie du capitalisme, tout en considérant la possible durabilité du processus d’exploitation des ressources naturelles et des humains ?
Le développement durable est, lorsqu’utilis par les politiques publiques ou entrepreneuriales, une approche technocrate et intrinsèquement moderniste qui considère essentiellement la possibilité de palier aux problèmes d’émissions de gaz à effet de serre par une alternative technologique, tout en demeurant consumériste. Il n’offre en aucune manière une lecture critique des structures politiques et sociales engendrées par le système capitaliste, premières coupables de la dégradation de notre environnement[3].
Eh oui, nous y revenons ! Car le véritable parasite de notre société c’est l’homo consumerus – je consomme donc je suis ! – dépendance que le capitalisme ne peut négliger dans sa recherche incessante de croissance et de concentration des profits. Comment peut-on voir dans le concept de développement – qui fait d’ailleurs drôlement référence à celui de croissance – une modification de notre rapport à l’écologie, si l’on ne remet pas en question le sens même de cette croissance et de cette consommation ? Comment peut-on considérer modifier les pratiques, disons en matière d’utilisation d’énergie, en remplaçant les véhicules qui consomment des énergies fossiles au profit de voitures électriques ? Qui seront les acteur-trices qui pourront se dire « vertEs » ? Ceux et celles qui ont les moyens de se payer la voiture électrique, le gilet « écoresponsable » ou encore le voyage « d’écotourisme » au Costa-Rica ? La réponse renvoie à notre critique du départ : le développement durable n’est pas plus durable que le modèle capitaliste et consumériste actuel.
Cet article est l’expression d’un certain ras-le-bol vis-à-vis des questions environnementales qui sont mises de l’avant depuis plusieurs années. Le changement de nos pratiques et notre rapport à l’environnement doivent passer par une réflexion en profondeur de nos modes de vie, de notre alimentation et de nos rapports sociaux. Par où commencer ? La question n’appelle certainement pas à une réponse simpliste. Néanmoins, elle ne passe certainement pas par une « consommation durable » dans un premier temps. L’agriculture urbaine et communautaire, les logiques de décroissance, les cuisines redistributives et collectives, la réutilisation et la réparation, le partage, la décentralisation, etc., peuvent offrir certaines alternatives. Bref, passer par une réflexion sur le rapport entre l’humain et son environnement, qu’il soit non-humain ou social.
Si j’écris ces mots en cette période des Fêtes, c’est qu’avec grande désolation, on constate que la société actuelle aura amené à réfléchir une période de festivités, moment privilégié à partager avec ceux et celles qui nous tiennent à coeur, plutôt comme un moment idéal pour offrir à ces dernier-ères ce qu’ils ou elles désirent depuis si longtemps. Belle façon d’envisager nos rapports sociaux. Si l’humain a besoin d’une attention matérielle pour sentir une reconnaissance de l’autre, c’est que notre société individualisante aura très certainement réussi à détruire toute forme de partage et d’entraide qui ne devrait pas posséder de date sur un calendrier. Sur ce, bon Noël durable !
[1] Rapport du Comité permanent des ressources naturelles, Les sables bitumineux : vers un développement durable, Canada, Mars 2007. En ligne :
http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=2614277&Language=F&Mode=1&Parl=39&Ses=1
[2] Latouche, Serge. « L’imposture du développement durable ou les habits neufs du développement »,Mondes en développement, 1, 121(2003) ; 24.
[3] Le lien entre le modèle économique capitaliste et la dégradation de l’environnement a été démontré à plusieurs reprises. Nous retiendrons une citation de P. Charbonnier à cet effet ; « [a]utrement dit, alors que toute forme sociale et économique « classique » façonne l’environnement dans des proportions limitées, seul le capitalisme le façonne à l’échelle mondiale » ; Charbonnier, Pierre. « Le rendement et le butin. Regard écologique sur l’histoire du capitalisme ». Actuel Marx, 1, 53 (2013) ; 102.
Jean-Philippe Bernard