Une telle conception est juste dans un monde équilibré où l’accès à l’information est égal pour tous. Notons toutefois que le travail d’objectivité du journaliste n’exige pas de lui qu’il porte des jugements, mais qu’il confronte les déclarations à la véracité des faits.
En effet, le simple rapport des déclarations ne peut que renforcer les discours de ceux qui ont les moyens de les répéter sans cesse et la force de les imposer.
Dans les débats sur la justice sociale, quand l’un des camps prétend que les impôts sont trop élevés au Québec, on peut le rapporter sans le juger. Quand ce même camp prétend qu’ils ont augmenté, on peut vérifier que les impôts des entreprises ont en fait diminué de moitié dans les dernières décennies et que les échelons d’impôts des particuliers ayant été réduits, certaines couches de salariés plus nantis en paient moins alors que certains couches moyennes en paient plus.
Faire ce genre de vérifications objectives permet au destinataire de l’information de mieux connaître la réalité et donc au travail journalistique d’accomplir pleinement son rôle d’éclairage des citoyens.
Les chroniques, les émissions de personnalités où l’objectif est la confrontation flamboyante ne s’attardent pas à la critique de fond et entretiennent dans le public une confusion entre l’information et le divertissement. Mettre sur le même pied les discours des uns et des autres sans les mesurer à l’épreuve des faits ne peut que renforcer les préjugés de part et d’autre sans faire avancer le débat public.
La confrontation avec la réalité est nécessaire pour éviter que des porte-paroles répètent ad nauseam des contre-vérités, car il existe une technique de propagande qui consiste à répondre la même chose qu’on vient tout juste de déclarer pour répondre à l’objection qui y est présentée.
J’en veux pour preuve deux répliques données à des arguments avancés la semaine dernière à propos des « étudiants socialement responsables ». On a argué qu’on ne sait pas comment ces porte-paroles ont été élus. La réponse fournie est qu’ils ont été élus par un petit groupe et que maintenant que ce petit groupe est devenu plus grand, on refera des élections pour que plus de monde y participe.
C’est passer à côté de la question véritable : les élus des associations étudiantes sont les représentants légitimes des étudiantes et étudiants puisqu’ils ont été choisis dans les instances chargées de représenter les étudiantes et les étudiants. Tout groupe qui se constitue n’a pas le même caractère représentatif au motif que les décisions de son association ne lui plaisent pas.
Le deuxième exemple concerne le fait paradoxal de s’appeler « socialement responsables » quand on renvoie chacun à lui-même. La réponse qui a été faite est de dire qu’il est socialement responsable que chacun fasse sa part, donc on a répété exactement la même chose : on renvoie chacun à lui-même pour défrayer ses droits de scolarité. La meilleure façon que chacun fasse sa part est pourtant de passer par la fiscalité progressive qui fait en sorte que chacun contribue selon ses moyens quand il en a les moyens aux services offerts par la collectivité.
Derrière les discours qui sont répétés sans être critiqués au sens noble du terme, c’est-à-dire passés au crible de l’analyse et de la vérification, il y a les mécanismes de maintien et de reproduction du pouvoir par ceux qui dominent.
LAGACÉ Francis