Priorité numéro un des gouvernements depuis l’atteinte des surplus budgétaires, le remboursement de la dette nous est présenté comme inévitable. Inévitable ? Ce n’est pas ce que croit Louis Gill, professeur d’économie à l’UQÀM. Gill s’attaque aux mythes tenaces de la dette publique dans son livre au titre sans appel : Rembourser la dette publique : la pire des hypothèses.
L’univers de la dette n’est pas accessible au premier venu. Des chiffres, des formules et un lexique hautement rébarbatifs rebutent facilement les non-initiéEs. La vaste méconnaissance des calculs et conceptions économiques, y compris parmi les journalistes, rend inaccessible la chaire du haut de laquelle les prophètes du marché nous enjoignent de faire un énième sacrifice.
Mythe no 1 : La dette augmente de manière affolante
La dette publique du Québec est brandie comme un épouvantail par les partisans du Manifeste des lucides, dans lequel on peut d’ailleurs lire qu’elle est « la plus élevée du continent ». En y regardant de plus près, la dette du Québec en rapport au PIB (incluant sa part dans la dette fédérale) est de 73% en 2005, se situant légèrement en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE, à 78% du PIB.
Deuxième mise en perspective : le poids relatif de la dette publique diminue de lui-même depuis 10 ans. En regardant le poids de la dette fédérale note en rapport au PIB, on s’aperçoit que de 68,4% du PIB en 1996-1997 (563 G$ en chiffres absolus), elle est passée à 35,1% du PIB en 2005-2006 (482 G$). Ce ne sont pas les quelque 81 milliards de remboursement en neuf ans qui ont contribué le plus à cette baisse, mais bien la seule croissance du produit intérieur brut. Par la seule croissance économique, sans aucun remboursement, le poids relatif de la dette fédérale aurait décru de lui-même pour atteindre 41,1% du PIB.
Mythe no 2 : Le remboursement de la dette contribue à des économies budgétaires
Rembourser la dette coûtera plus cher à l’État québécois que de ne pas la rembourser ! C’est la conclusion étonnante à laquelle arrive l’économiste Louis Gill. Le remboursement de la dette publique est la « pire des hypothèses » selon lui. En prenant le meilleur des scénarios, si le Québec remboursait de 2 G$ par année sa dette publique, il faudrait attendre 2035-2036 pour que les économies d’intérêts rattrapent les coûts cumulatifs du remboursement. D’ailleurs, selon l’économiste, au fédéral, les coûts de neuf ans de remboursement ont été de 81 milliards $, alors que les économies en frais d’intérêts n’ont été que de 28 milliards $ !
Il est étonnant que cette évidence comptable ne soit (plus) partagée par les esprits lucides. Lors du Sommet socio-économique en 1996, Lucien Bouchard soutenait lui-même que l’important était le déficit zéro, mais que le remboursement de la dette n’était pas nécessaire, le poids relatif de celle-ci diminuant de lui-même. note
Mythe no 3 : Le Fonds des générations et l’équité intergénérationnelle.
Ces chiffres démontrent bien que toutes les sommes destinées au remboursement de la dette seraient bien plus judicieusement investies en santé et en éducation. Ce sont les programmes sociaux et les infrastructures publiques qui sont le meilleur héritage à laisser aux générations futures. En constituant, l’année dernière, un Fonds des générations, le gouvernement Charest a peut-être nui énormément aux générations futures en prétextant les aider. En assignant des sommes colossales à ce fond, le Québec ne réduira pourtant pas sa dette avant 20 ans. Or, si les bonnes finances se poursuivent, seul le temps et la croissance auront fait baisser la part de la dette totale de 42% à 29% du PIBnote. À ce moment, le fameux Fonds des générations ferait baisser de seulement 4 points le rapport dette/PIB.
En conclusion, Louis Gill critique avec vigueur la tendance à la domination financière qui s’exerce sur les pouvoirs publics. L’obligation d’obtempérer à un remboursement de la dette, les fonds de pension prévisionnels ou les autres placements sur les marchés boursiers font partie d’un large mécanisme de financiarisation de l’économie réduisant la capacité des États à encadrer l’économie.
Livre brillant par son esprit de vulgarisation, mais surtout nécessaire par son propos, la plaquette (117 pages) de Louis Gill devrait faire office de manuel de l’économiste débutant. Le professeur Gill part donc du début en exposant posément les composantes de la dette et les diverses actions comptables effectuées par l’État. Armé des quelques notions de base de l’univers de la dette, on saura critiquer les mythes de la catastrophe économique appréhendée et de l’injustice faite aux générations futures. Comme l’écrivaient les étudiants de l’UQÀM en grève en 2005, « Libérons l’avenir d’un futur déjà présent ».